Jineth Bedoya Lima journaliste combattante qui a été enlevée, torturée et violée par des paramilitaires Colombiens sur lesquels elle a mené une enquête en 2000 dans le cadre de son journalisme d'investigation vient d'être nominée au Prix Nobel de la Paix! J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur sa longue histoire et sur le courage dans les épreuves qu’elle a traversées. Jineth s'est dressée devant l’immense mur de la justice avec pour seule arme la force qui la fait rayonner comme un feu pur et souverain. Malgré les situations auxquelles elle s'est trouvée confrontée, elle n'a pas cédé à l’inertie dépassant l’obstacle. Cette nomination est donc un aboutissement après une âpre lutte intérieure et extérieure qui lui permet de triompher.
Une mère courage aussi a été nominée : Luz Marina Bernal, leader de la cause des mères "Madres de Soacha" et dont l'enfant a été victime du mouvement faux positifs (falsos positivos), une pratique instaurée par le gouvernement sanguinaire d'Alvaro Uribe Velez, que je continue à contester et sur lequel je me suis longuement exprimé ici. Elle était la mère de Leonardo Fair, jeune handicapé disparu en Janvier 2008 qui a été trouvé en Septembre de la même année dans une fosse commune à Ocaña dans le Nord de la Colombie. Fair a été faussement présenté comme chef de la guérilla tué au combat, mais la lutte de sa mère a permis de révéler qu'il a été exécuté par des membres des forces de sécurité. Les mères résistantes ont la grandeur de l’impulsion qui les traverse plus qu’elles ne la maîtrisent. Leurs enjeux moraux refusent tout ajournement. Ces mères qui savent aimer et cherchent leur enfants courent après les larmes qu’elles n’auront pas le temps d’aimer. C’est leur extrême vulnérabilité qui donne à ces mères une chance de salut. Elles refusent les complaisances de la lassitude, les compromissions de la fatigue, les mille petites lâchetés de l’inquiétude. Elles se battent pour ne pas succomber à la grandeur de leur vocation et ne gravissent pas impunément la montagne qui fait passer l’homme au-delà de l’homme. La force de ces mères n'est pas meurtrière ; elles triomphent de l’image de la douleur et font retomber sur les hommes la lumière bouleversante du monde et de la Paix qui vient.
L'autre femme s'appelle Constanza Turbay victime des FARC pour enlèvement et violence. Ses frères et sa mère ont aussi été tués par ces mêmes forces armées. Sa chair est son âme sont marquées jusqu’à l’os du stigmate des violences qui se sont exprimées au-delà de toute raison. Pourtant elle a su pardonner en sachant que les circonstances de la vie, si cruelles soient-elles, laissent encore le loisir de songer à un monde meilleur, un monde où la douleur n’est plus vécue comme une tare mais comme une chance de croissance inouïe, et qui donne la plénitude d'une conscience renouvelée par la grandeur du mystère de l’être.
Sont aussi nominés: José Antequera Guzman, fils du chef politique de l'Union patriotique, José Antequera, tué en Mars 1989 à l'aéroport El Dorado et Leiner Palacios un leader de la communauté de Bojayá qui a été victime d'une bombe qui a provoqué un masacre. Leur résistance éclairent les inventions des hommes qui apparaissent avec netteté comme autant de stratagèmes pour ne pas se perdre dans le grand dédale du possible. Avec cette nomination leur épreuve transcende la violence dans les actions.
Le Parlement norvégien a également nominé à Rodrigo Londono-Echeverry Timoléon Jimenez "Timochenko", une nomination controversée mais incontournable au regard de l'Histoire. La seule source de Paix ne peut venir que de la réconciliation des parties. Dans leur lutte au nom de leurs idéaux, lui et ses troupes ont maintenu la grandeur de leur énigme. Cependant maintenant il n'a plus pour objectif de soumettre le monde au mouvement qui le porte au cœur du possible, et la volonté de signer la Paix lui confère une dimension plus humaine qui ne conteste plus la possibilitéd’un autre prisme.
Et bien sûr l'autre nominé est le Président Juan Manuel Santos. Bien que je me suis exprimée dans le passé d'une manière assez véhémente sur lui, surtout lorsque j'ai investigué les temps où il était le ministre de défense de l'affreux gouvernement Uribe, cet homme, Santos, passera à l'histoire, que les gens le veuillent ou pas! Il a utilisé l'arme la plus puissante qui est de s'assoir et parler. Le courage de sa pensée est de porter au-delà du visible sa provision depossible; il fustige et fustigera ces âmes troubles qui veulent déranger la paix aux plus profondes extrémités. Il ne suffit pas de s'engager pour faire preuve de courage, il faut encore être capable de puiser dans cet engagement la force d’une métamorphose nouvelle. Sur cette Paix colombienne une nouvelle société plus juste, moins cruelle, plus égalitaire devra émerger.
Ainsi comme l'Histoire est de son côté, gageons que les vents de l'Histoire soufflent la brise du renouveau de cette Paix. La Comisión de Esclarecimiento de la Verdad, de la Convivencia y de la No Repetición pourra enfin permettre de suivre les quatre chemins vers le Pardon que le Prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, directeur de The Truth and Reconciliation Commission (TRC) en Afrique du Sud, décrit dans son livre " The Book of Forgiving: The Fourfold Path for Healing Ourselves and Our World" écrit avec sa fille la Révérende Mpho Tutu : Raconter son Histoire, Nommer la Blessure, Pardonner, Renouveler ou lâcher les Relations avec ceux qui nous ont Blessés.
La dignité de la Réconciliation oblige à vivre au-delà des conditions de son époque.