Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

135 Billets

1 Éditions

Billet de blog 2 mai 2022

Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

Armand Robin et la propagande obsessionnelle : note de lecture

Une libre lecture du livre « La fausse parole », d'Armand Robin (1912-1961) sur la propagande d'hier (et à réexaminer aujourd'hui). A propos de la Russie et de ses médias, des médias occidentaux aussi. Morceaux choisis.

Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La biographie d'Armand Robin :

voir sa page https://fr.wikipedia.org/wiki/Armand_Robin

Armand Robin (1912-1961), né à Plouguernevel dans les Côtes du Nord (aujourd'hui Côtes d'Armor) est connu pour sa poésie et ses idées libertaires. Génie des langues (il en connaissait une quinzaine), il est aussi connu pour ses traductions et son inlassable écoute des radios étrangères, en particulier soviétiques (qu'il ne portait pas dans son coeur) et il en rédigeait des comptes rendus pleins d'ironie, qu'il livrait à divers clients, dont des journaux, l'Élysée et même le Vatican.

Selon sa page Wiki, il a aussi travaillé entre mai 1941 et juillet 1943, comme collaborateur technique au ministère de l'Information du Régime de Vichy, tout en alimentant en parallèle la résistance. En 1945, il est placé sur la liste noire des écrivains, mais des journalistes et résistants tels que Gilles Martinet prennent sa défense. Il meurt dans des circonstances non élucidées (un passage à tabac?) en 1961 à l'infirmerie du dépôt de la Préfecture de police de Paris.

La fausse parole :

C'est là qu'Armand Robin est toujours d'actualité, plus de 60 ans après sa mort. La Fausse parole est un livre de réflexion (1) à partir de son métier d'écouteur de radios étrangères, en particulier en russe, qu'elles soient soviétiques ou anti-soviétiques (notamment américaine).
C'est d'actualité au sens où la guerre menée par la Russie en Ukraine s'accompagne d'une « propagande obsessionnelle » de la part du maître du Kremlin et de médias qui lui obéissent au doigt et à l'oeil, les médias indépendants de Russie étant pratiquement réduits au silence. Ceci dit, l'empathie envers le peuple ukrainien, affichée par les démocraties occidentales, ne saurait cacher le profit qu'elles en tirent, en particulier leur complexe militaro-industriel ou encore les compagnies gazières concurrentes de la Russie.

Chaque nuit, Robin écoutait jusqu'à la nausée et au matin, réalisait des notes de synthèse de ce qu'il avait entendu. Factuellement, il notera le culte de la personnalité autour de Joseph Vissarionovitch Staline : « " Staline, tu es la Parole ! Staline, tu es la Paix ! Staline, tu es la Vérité et la Vie !" ... Qui ne sait aujourd'hui que la caractéristique essentielle de toute l'humanité est de tout tenter pour se faire proclamer divine ? Mais enfin, tous ses rivaux en appétit de puissance, qui s'affichent ses ennemis, voudraient bien se livrer comme lui aux mêmes cabrioles de singe de Dieu : seulement ils n'osent pas ! »... « Les radios russes intérieures ressemblent aussi exactement qu'il est possible de l'imaginer aux "moulins à prières" du Thibet. C'est un déchaînement scientifiquement calculé de forces mentales obsessionnelles »...

« La radio russe nous révèle la séparation entre une humanité qui ne veut rien entendre et des maîtres qui, possédés par leur propre furie, essaient désespérement de se faire écouter ». Dans ce cas, il resterait un peu d'espoir, au sens où personne en Russie ne semble croire en la propagande, y compris ses commanditaires. La vitesse à laquelle s'est désagrégée l'Union soviétique à la fin des années 1980 semble a posteriori confirmer le dire d'Armand Robin.

Puis survient la mort de Staline et un peu plus tard sa déchéance. Le culte de la personnalité autour de Staline s'estompe sur les radios soviétiques. La forme change aussi, mais le contrôle d'État est toujours bien présent : « se détournant brusquement du langage stalinien, les actuels dirigeants du monde russe ont eu tout intérêt à adopter une "tactique de l'osmose" avec les façons de penser et de parler des dirigeants du monde occidental. Se mettant soudain à s'exprimer comme nos gouvernants et nos journalistes, ils ont pu regagner en peu de temps une partie du crédit que Staline leur avait fait perdre »...

« il est exclu qu'un gouvernement veuille renoncer de lui-même au pouvoir ou le faire " dépérir" ; il est dans la nature des dirigeants des nations de travailler non seulement pour leur puissance, mais pour l'accroissement du concept de Puissance »...

« Les classes ou castes dirigeantes n'ont jamais hésité dans le cours de l'histoire à déclencher des guerres, persuadées qu'elles étaient que ces destructions ne les atteindraient pas elles-mêmes. Si les gouvernements américain et russe, à leur échelon suprême, ont tourné [nous sommes en 1955] le dos à la guerre atomique et thermo-nucléaire, c'est tout simplement qu'ils ont été pris de crainte pour eux-mêmes et pour la notion même de pouvoir : en une telle guerre, il n'y aurait plus moyen de garder de gouvernement ».

Nous sommes en 2022 et voici que la menace nucléaire (que beaucoup d'entre nous avaient presque oubliée) resurgit avec Mr Poutine. Et, Le Drian, ministre français des Affaires Étrangères, de répondre que « L'Alliance atlantique est aussi une alliance nucléaire ». Toujours présente cette menace de tout faire péter.

Mais revenons à Armand Robin :
« j'entendais toujours, à des mois et à des années d'intervalle les mêmes déferlements d'immenses nappes verbales. Jamais aucun espoir de rencontrer une parole évadée, sauvée. Des univers géants de mots tournaient en rond, s'emballaient, s'affolaient, sans jamais embrayer sur quoi que ce fût de réel ».

nous sommes toujours dans les années 1950 et voilà qu'intervient la télévision. Un peu groggy de ses nuits d'écoutes, Robin la regarde : « Pour me distraire, je convoquai chez moi la machine à voir. Elle vint, luisante et avenante. Jeunette encore, elle se tenait modestement. Elle commit pourtant, sans tarder, quelques imprudences qui m'instruisirent.

L'engin à images ne fait, pour l'instant que plaire ; mais si peu qu'on y réfléchisse et qu'on ait en l'esprit le conditionnement d'ensemble de cette époque, il est logiquement appelé à servir de redoutables opérations de domination mentale à distance ; il ne se peut pas qu'à travers lui ne soient tentés des travaux visant à dompter, à magnétiser de loin des millions et des millions d'hommes ; par lui, une chape d'hypnose pourrait être télédescendue sur des peuples entiers de cerveaux, et cela presque subrepticement, sans que les victimes cessent de se sentir devant d'agréables spectacles ».

Je ne saurais dire si Robin a lu George Orwell, mais on retrouve de ça dans son livre et aussi un côté Guy Debord.
Il faut lire Armand Robin. Il doit exister encore de ce livre en vente dans les bonnes librairies.

1 : Armand Robin, La fausse parole, éditions Le Temps qu'il fait, préface, postface et notes de Françoise Morvan.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.