« Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser », disait Manuel Valls, premier Ministre en 2016, après la série d'attentats djihadistes de 2015, Charlie Hebdo, Hypercasher en janvier, puis le Bataclan en novembre.
A chacun de ces attentats commis au nom d'une vision radicalisée de l'Islam contre un occident décadent succède une flambée d'anathèmes, d'injonctions à se démarquer en direction de musulmans qui ne demandent rien à personne. Et à chaque fois, l'extrême droite en récolte les fruits, sans avoir à lever le petit doigt. Ce qu'on appelle la « communauté musulmane » peut aussi s'en effrayer et certains de ses membres se réfugier dans une pratique religieuse « austère ».
Ainsi, les « identités » se figent et la tentation de séparatisme est forte. Ce désir de séparation marque aussi bon nombre de « majoritaires », avec le vote RN, mais aussi LR ou Renaissance (les plus fortunés arrivent toujours à se séparer de la populace en investissant des quartiers sécurisés).
Le mythe des « majoritaires » confrontés au wokisme :
Les « majoritaires » : l'extrême-droite s'en fait la porte-parole et dénonce avec virulence une soi-disant interdiction d'exprimer leurs affects, de jouir d'un certain mode de vie. Par inversion des stigmates, ce serait elles et eux qui seraient mis en accusation par le « wokisme », mot valise pour dénoncer les soi-disant prises de pouvoir par les minorités et censures en tout genre, de manière à ce que les « majoritaires » se sentent devenir minoritaires, face aux « décoloniaux », aux « végans », aux « féministes coupeuses de couilles », aux « LGBTQi+ », aux « Soulèvements de la Terre », aux « climato-warriors », aux « antifas » et autre « black-blocs », etc. « On peut plus rien dire », se plaignent encore ces « majoritaires » ou en tout cas, les éditorialistes qui prétendent s'exprimer en leur nom.
Ainsi, le vote RN est une réaction à cela : « on est chez nous quand même !». Un message bien reçu par la Macronie, qui a voté la loi « séparatisme » et multiplié les dissolutions d'associations. Un message reçu en écho par les « majoritaires » comme la justification de leurs hantises. Et l'extrême-droite de s'en réjouir et de surenchérir.
En fait, c'est cette notion de « majoritaires », défendue notamment par Michel Onfray, qui pose question. En entretenant le mythe d'une cohésion sociale selon les origines ethniques, cohésion qui serait en danger qui plus est, elle sous-entend qu'il y aurait des Français plus français que d'autres, selon un critère d'ancienneté et de lignée familiale. Elle sous-entend qu'il existe des paroles plus légitimes que les autres. Elle ne peut qu'ouvrir la voie à un racisme décomplexé et violent.
La force du ressentiment :
Si le vote à l'extrême-droite traverse aujourd'hui toutes les classes sociales, on ne peut qu'être atterré qu'elle séduit autant parmi les classes populaires qui constatent que leurs conditions de vie, de travail, de logement, de perspectives d'avenir se détériorent. En parallèle, les profits de la classe capitaliste n'ont jamais été aussi importants. Mais cette évidence d'une société de classes est vécue par beaucoup comme une loi contre laquelle il serait vain de s'élever. Au demeurant, les forces politiques qui se succèdent depuis une vingtaine d'années (droite et gauche sociale-libérale, puis « macronie ») n'ont rien changé : au contraire, elles ont renforcé l'emprise capitaliste sur nos vies.
Ainsi, puisque la remise en cause de l'exploitation capitaliste est compliquée et que la nature a horreur du vide, il fallait trouver d'autres cibles pour manifester son ressentiment : en haut, les élites et en bas, les étrangers et assimilés plus les « cassocs », soit les « profiteurs du système ». L'accusation se nourrit de préjugés comme celui de prestations sociales privilégiant des populations non méritantes , etc. Pourtant, ces affirmations maintes fois répétées n'ont aucun fondement : les immigrés (et leurs descendants) sont autant, sinon plus, concernés par les jobs pénibles et précaires, les faibles rémunérations et les difficultés d'accès au logement. Mais les idées reçues ont la vie dure, surtout quand elles servent de moteur à une socialisation autour du partage d'expériences de difficultés sociales et de frustrations.
Quant aux « élites », souvent assimilées autant aux élites politiques et financières qu'aux populations aisées et « éduquées » des centres-villes, elles sont considérées comme « bien pensantes », « déconnectées », loin du « pays réel ». Il y a dans leur rejet par les votes RN un aspect jubilatoire (le côté « Coluche président » en 1980/1981), un côté « anar de droite », une volonté de « donner un grand coup dans la fourmilière ». Tout ceci relève du « spectacle » avec un Bardella sympatoche tel un acteur de télé-réalité et quasi-apolitique sur les réseaux sociaux tik-tok, sans compter des sondages d'opinion servant de prophéties autoréalisatrices au sens où un tel niveau d'enthousiasme peut faire basculer de l'abstention vers le vote. Evidemment, Bardella n'est pas Coluche : avec lui, on s'éloigne de toute forme d'anarchisme, il est proche de la « GUD connection ». Avec Bardella, ça sent plutôt la matraque et le pétainisme 2.0.
L'abandon des mesures sociales initialement annoncées pour attirer le chaland :
Sur les retraites (pas d'abrogation de la loi de 2023), le pouvoir d'achat par la baisse de la TVA, c'est marche arrière toute. Au mieux, le RN renvoie à un audit des comptes publics pour enterrer définitivement les mesures annoncées.
Comme l'écrivait Romaric Godin, « le cœur de la vision économique du parti d’extrême droite reste bien la « préférence nationale » et la répression du monde du travail ». C'est une entreprise de division du monde du travail qui est à l'oeuvre, réaliser des économies en privant de droits des travailleurs immigrés, voire en les expulsant quand ils sont au chômage depuis plus d'un an. Et comment faire la promotion des services publics tout en promettant des baisses de cotisations sociales (pour soi-disant augmenter les salaires nets) ?
De la démagogie pure qui pourrait au final se résumer aux seules mesures discriminatoires, car le RN n'entend pas imposer des mesures contraignantes au patronat français.
L'insécurité vécue et/ou ressentie :
L'insécurité est avant toute sociale. Les questions de sécurité et d'insécurité des personnes et des biens traversent néanmoins la société. Même si des chercheurs indiquent que le phénomène d'insécurité n'est pas nouveau ou pas en évolution exponentielle, l'insécurité est un facteur clé du vote RN, notamment autour du raccourci « immigration=insécurité » (la figure des « racailles ») et du sentiment que les phénomènes de grand banditisme gagnent les villes moyennes et les campagnes, notamment autour du trafic de drogues et des violences parfois meurtrières autour de ce trafic. Il est loin le temps (tout aussi meurtrier) du banditisme à l'ancienne, ses soi-disant codes d'honneur et le banditisme actuel où il n'y aurait plus de règles. Même là, « c'était mieux avant ».
Le RN surfe sur l'insécurité et la demande d'ordre exprimée par son électorat.
Pour l'électeur RN, Macron, Dupont-Moretti et Darmanin ont échoué malgré les mesures prises. C'est promis, l'ordre tant désiré viendra par Bardella et Le Pen. Par les mesures qu'ils prendront en « urgence », on peut être certain que les pratiques policières de contrôles, d'interpellations, parfois de tirs et de mauvais traitements, se durciront encore.
L'esprit colonialiste n'est pas mort : il est dans l'ADN des extrêmes droites.
Le fait colonial, les méfaits coloniaux sont redevenus centraux en 2023/2024, avec les « événements tragiques » qu'ont constitués les tueries du 7 octobre 2023 par la branche armée du Hamas, suivies par l'anéantissement de la Bande de Gaza par l'armée israélienne. Des mois de bombardements sur Gaza, une famine organisée pour soumettre le peuple palestinien.
A cela, s'est ajoutée la situation de quasi-guerre civile et d'émeutes en Nouvelle-Calédonie en mai et juin.
En France, il faut constater que de la Macronie à l'extrême-droite, l'empathie s'est portée sur les colonisateurs plutôt que sur les colonisés. A contrario, contester la politique criminelle d'Israël a pratiquement été décrit par ces forces politiques comme relevant de l'antisémitisme.
L'émotion a probablement fait progresser les partisans de la défense de l'occident et de l'ordre. La macronie étant discréditée, c'est le RN, prétendument pourfendeur de l'antisémitisme qui a tiré les marrons du feu. Le RN est bien l'héritier du FN, fondé entre autres par des nostalgiques de l'Algérie française.
Reste la question de l'écologie et du climat :
pour le RN, il ne saurait être question d'écologie. L'écologie est présentée comme « punitive », comme les ZFE (zone à faible émission) dans les grandes agglomérations ou les diagnostics de performance énergétique sur les logements. L'éolien est dénoncé pour outrage aux paysages. Le RN veut faire plus fort que la macronie en matière de construction de centrales nucléaires. Tant pis si l'EPR de Flamanville a explosé les coûts (19 milliards d'euros) et délais prévus initialement (Coût : + 479 %, durée : + 250 % selon la Cour des Comptes). Nous sommes en 2024 : d'éventuelles centrales nucléaires ne seraient opérationnelles qu'au minimum en 2040. C'est de la folie compte tenu de l'urgence climatique.
Pourtant, les zones d'influence du RN sont particulièrement confrontées aux conséquences du dérèglement climatique : le Nord-Pas de Calais pour les méga-inondations, idem pour les Alpes Maritimes. Quant aux Pyrénées Atlantiques ou l'Aude, c'est d'une sécheresse continuelle dont souffrent ces départements.
En fait, le RN, par démagogie, choisit le camp des lobbyistes agricoles et des nucléaristes qui crient aux normes insupportables. Vive le nucléaire, vive les mégabassines, vive l'agriculture chimique et... vive les forces de l'ordre pour casser les mouvements de résistance.
Dans la continuité de la macronie en fait, mais en pire.
« On n'a jamais essayé », disent les personnes qui veulent voter RN. Il existe des aventures plus stimulantes que de mettre un bulletin de vote dans une urne, ici une véritable boîte de pandore.
Ça fait longtemps qu'on n'a pas tenté la révolution sociale non plus ! Le vote RN nous en éloigne alors que tous les ingrédients de la révolte sont là : gardons ça dans un coin de notre tête.