Ce discours fleuve est disponible sous : https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-20238-fr.pdf
D'un côté, Macron répète aux préfets sa volonté de « renforcer notre politique de lutte contre l'immigration clandestine à nos frontières », « réformer nos procédures pour pouvoir aller beaucoup plus vite, et c'est indispensable » : « il faut pouvoir aller beaucoup plus vite avant toute chose pour lutter contre toutes les pratiques dilatoires parce que le phénomène que nous avons aujourd'hui, c'est que des femmes et des hommes utilisent la procédure d'asile dans laquelle quasiment tout le monde passe, mais du coup, font attendre des femmes et des hommes qui le méritent et sont vraiment des combattantes et des combattants de la liberté, des femmes et des hommes qui fuient la misère. Nous devons réussir à mieux différencier les procédures, mais accélérer leur instruction ». Macron, un homme pressé !
Macron ajoute « Nous devons ensuite intégrer beaucoup plus vite et beaucoup mieux celles et ceux qui ont même un titre provisoire par la langue et par le travail. Et là aussi, nous faisons moins bien que nombre de nos voisins ». C'est bien de le reconnaître.
« Vous [Les préfets] aurez une responsabilité, avoir une politique profondément différente de répartition sur le territoire, des femmes et des hommes qui sont en demande de titre et y compris de celles et ceux qui les ont reçues. Notre politique aujourd’hui elle est absurde, elle consiste à mettre les femmes et les hommes qui arrivent, qui souvent ne parlent pas notre langue, qui sont dans la plus grande misère dans les quartiers où il y a de l'hébergement d'urgence qui sont déjà les quartiers les plus pauvres de la République ».
Ailleurs, dans son discours, Macron indique que l'hébergement d'urgence « ce n'est pas une politique soutenable », car « plus des trois quarts de cela (2 milliards d'euros sur les politiques d'hébergement d'urgence) était en fait pour accueillir des personnes qui étaient en attente d'instruction de la procédure ou en situation irrégulière ».
Retenons donc de tout ceci que les politiques d'hébergement d'urgence ne sont pas « soutenables », même s'il reconnaît qu'en ayant « mis les moyens, c'est d'ailleurs à ce moment-là qu'il y a eu moins de personnes dans la rue ».
Mais parmi ces personnes étrangères, Macron reconnaît qu'« Il y a des femmes, des hommes qui réussissent. Il se trouve qu'il doit intégrer et faire réussir plus de femmes et d'hommes que les quartiers les plus cossus de la ville où nous nous trouvons, et que des quartiers de grandes villes, mais aussi que d'espaces ruraux qui eux, sont en train de perdre de la population. Et là où je pense que nous avons, si nous savons l'organiser sur le territoire, une formidable opportunité. C'est que les années qui viennent seront des années de transition démographique. D'ores et déjà, nous sommes en train de perdre des élèves dans nos écoles et nos collèges. Cette année, je passe sous le contrôle du ministre environ 60 000. L'année prochaine, 95 000 ».
Alléger le nombre d'élèves par classe et améliorer les conditions de travail des enseignants, ce n'est pas dans l'imaginaire du président : « J'ose à peine imaginer, plusieurs d'entre vous sont dans des territoires ruraux. Quels que soient les engagements pris, nous devrons fermer des classes et vraisemblablement des écoles et des collèges. Si nous savons offrir de l'hébergement, de l'urgence et de l'intégration dans ces régions à des femmes et des hommes qui arrivent sur notre sol, les conditions de leur accueil seront bien meilleures que si nous les mettons dans des zones qui sont déjà densément peuplées, avec une concentration de problèmes économiques et sociaux massifs ».
En résumé, le principe d'une immigration choisie est toujours valable pour l'exécutif (mais ça dure depuis des décennies). Macron adhère à cette idée de la réussite individuelle et du dynamisme de personnes étrangères dont le pays ne saurait se priver. Pour lui et ses amis (et ses prédécesseurs), il y a les « bons » et les « mauvais » immigrés, ces derniers n'ayant pas vocation à rester sur le territoire français.
Mais voici qu'il rajoute une exigence qui est de repeupler nos campagnes plutôt que de rajouter de la population dans des « zones déjà densément peuplées »... « je veux qu'on mobilise aussi l'intelligence collective et là-dessus, qu'entre nos régions, on puisse créer un système de répartition bien meilleur justement, de celles et ceux qui arrivent sur notre sol ». Ce faisant, ça évite d'aborder la question de la ségrégation sociale dans les villes et de toucher aux beaux quartiers.
Que des personnes immigrées dynamisent des territoires ruraux, l'idée n'est pas saugrenue, mais si c'est un choix de vie auquel elles adhèrent (voir l'encadré sur l'affaire de Callac). On a pu constater, par exemple en Italie, la redynamisation de villages quasi-abandonnés par des migrants (voir notamment cet article : https://www.infomigrants.net/fr/post/43810/sans-eux-on-ne-serait-plus-la—en-calabre-un-petit-village-survit-grace-aux-migrants), sur l'exemple du village de Riace, village italien connu pour sa politique d'accueil des migrants, mais dont l'ancien maire, Domenico Lucano, dit Mimmo, fut ensuite poursuivi (par Salvini) pour « aide à l’immigration clandestine » et condamné en septembre 2021 à 13 ans de prison pour être soi-disant « coupable d’association de malfaiteurs aux fins d’immigration irrégulière, de pratiques frauduleuses, de détournements de biens publics et d’abus de fonction publique » (pour l'instant, il est toujours en liberté, ses avocats ayant déposé un recours).
La question des moyens pour redynamer un espace, urbain ou rural, est de toute manière décisive. Macron est-il prêt à cela ? On peut en douter, quand on entend son Ministre de l'économie, Bruno Lemaire, dire que « la France est à l'euro près ». En tout cas, pour les politiques sociales, on le sait depuis le début du premier quinquennat Macron, quand celui-ci évoquait en 2018 un « pognon de dingue » à propos de politiques sociales.
Sans cela, du discours de Macron, ne restera que la surenchère sur les mesures anti-immigrées (je ne résiste pas à copier toute la tirade) :
« Enfin, nous allons améliorer l'efficacité de nos politiques de reconduite. Ce n'est pas à vous que je vais le plaider, mais je veux simplement envoyer un message clair. Nous sommes en train et nous avons commencé à renforcer très fortement nos politiques en conditionnant davantage - et il fallait le faire, je l'assume totalement même si parfois ça fâche - à l'octroi des visas, à l'esprit de coopération pour reprendre les étrangers en situation irrégulière, à commencer par celles et ceux qui troublent l'ordre public. Ça contrarie les habitudes. Mais je pense que nul ne peut expliquer à nos compatriotes qu'on puisse faire différemment.
Comment accorder des centaines de milliers de visas par an à des pays qui vous refusent de reprendre deux personnes qui troublent l'ordre public et qui n'ont pas leurs titres sur notre territoire ? C'est impossible. Nous serons très fermes là-dessus, mais on va aussi améliorer l'efficacité de ces politiques d'éloignement parce que c'est ce qui nous permettra d'avancer.
"Ne désarmez pas les dispositifs parce que je sais par trop que toutes et tous, parfois combien il est difficile d’avoir de laisser-passer consulaire, qu’on finit par mettre moins de monde en CRA, renoncer à demander les OQTF, etc. Tant d’acronymes qui vous sont familiers, qui passeront pour un jargon affreux à celles et ceux qui peut-être nous écouteraient dehors. Mais ne désarmez pas le dispositif amont parce que nous sommes plutôt en train d’améliorer l'efficacité du dispositif aval pour parler joliment ».
« Joliment » vraiment ? Bizarrement, là, l'exécutif trouve de l'argent pour construire des CRA, créer des forces de police dédiées, etc.
Macron annonce en particulier porter « une attention toute particulière » envers la Guyane et Mayotte : « Sur ce point, les ministres ont commencé de faire des annonces fortes, de déployer des moyens, de faire des annonces, qui, d'ores et déjà donneront lieu à des changements législatifs. Je vais être très clair avec vous, il faudra sans doute aller plus loin et changer les règles avec beaucoup de force ».
Non, le Ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, ne joue pas en solo : Macron et lui sont à 100% en phase.
Ainsi, il y a une ambiance xénophobe à laquelle l'exécutif (Président, ministres, préfets) participe sans tabou tout en s'appuyant sur un « nul ne peut expliquer à nos compatriotes qu'on puisse faire différemment », le « there is no alternative » à la Macron.
Hervé
Encadré : L'affaire de Callac :
Le samedi 17 septembre, deux jours après ce discours de Macron aux préfets, la ville de Callac (Côtes d'Armor, entre Guigamp et Carhaix) a été le lieu de manifestations : une à l'appel de groupes d'extrême-droite bretonne dont le parti de Zemmour, la seconde de contre-manifestants de gauche contre les premiers.
Sans surprise, à l'extrême-droite, se font entendre des discours sur le « grand-remplacement, qui, après avoir transformé nos grandes villes, va s'attaquer à nos villages », jouant aussi sur un certain sentiment de déclin et de frustrations parmi la population locale.
Les contre-manifestants tenaient à rappeler que la Bretagne était « une terre d'accueil et de solidarité ».
Le projet Horizon, dit Jean-Yves Rolland, le maire de Callac, consiste à « faciliter l'intégration de réfugiés par le travail et revitaliser un territoire rural en perte d'habitant ». L'idée est d'accompagner, sur plusieurs années, quelques dizaines de personnes d'origine étrangère auxquelles l'Etat français « a accordé le statut de réfugié politique et qui bénéficient à ce titre d'une autorisation de séjour de dix ans ». A l'origine du projet, une fondation philanthropique familiale, le fonds de dotation Merci créé en 2009 pour des actions de solidarité. Le village "Horizon", dont Callac devrait constituer le prototype avant une dizaine d'autres est le plus récent projet de cette fondation.
S'il est nécessaire et sain de ne pas laisser l'extrême-droite prendre l'initiative, on peut aussi s'interroger sur ce genre d'actions philanthropiques où finalement les premiers/ières intéressés subissent la situation (notamment une localisation et des possibilités de mobilité qui peuvent ne pas leur convenir).
Quant à la population locale de ces communes en voie de désertification, il ne faut pas balayer d'un revers de main ses questionnements, qui sont éminemment politiques et exigent une réponse politique (autre que celle d'extrême-droite), par exemple par la persistence de services publics, d'emplois locaux, de culture vivante, etc.
Au final, il faut rappeler fermement que les réfugiées statutaires disposent du libre choix de poser leur valise où bon leur semble. C'est ça l'enjeu.