Ce slogan fut d'ailleurs repris par la fachosphère. La politisation des inquiétudes, on la constate dans la progression des extrêmes-droites partout dans le monde, comme les MAGA aux États-Unis, l'AfD en Allemagne, le Reform UK de Nigel Farage au Royaume-Uni, Vox en Espagne, Chega au Portugal, le RN et Reconquête en France, Fratelli d'Italia en Italie ou encore du parti d'Orban en Hongrie, etc.
C'est le cas aussi au Japon où le parti Sanseito, fondé il y a cinq ans avec pour mot d'ordre « Les Japonais d'abord », a fait une percée électorale en juillet dernier. On l'a vu aussi en Argentine avec l'homme à la tronçonneuse Javier Milei, élu en novembre 2023 sur un programme dit « anarcho-capitaliste », en fait rien d'anarchiste, mais complètement capitaliste.
On le voit en Israël avec le gouvernement Likoud de Nétanyahou et ses partenaires d'extrême-droite Ben Gvir et Smotrich, qui mènent une politique génocidaire à Gaza et en Cisjordanie.
On pourrait y rajouter par exemple la Tunisie de Kaïs Saïed qui reprend à son compte la théorie du « grand remplacement » dénonçant des « hordes de migrants clandestins » qui déferleraient sur la Tunisie depuis l'Afrique subsaharienne.
Et bien sûr, la Russie de Poutine, qui se réclame à la fois du tsarisme et du stalinisme, sans oublier de la religion orthodoxe.
De toute manière, des systèmes autoritaires s'appuyant sur le nationalisme (avec des revendications territoriales notamment), ça fait longtemps que ça existe, sans qu'il soit nécessaire de les caractériser d'extrême-droite. Exemple : l'Inde de Modi qui s'appuie sur le nationalisme hindou ou la Chine dite populaire, aujourd'hui gouvernée par Xi Jinping. Ou encore le Vénézuéla de Maduro, qui revendique une partie du Guyana.
Focus sur ces idées d'extrême-droite, ce qu'elles ont en commun d'un pays à l'autre :
cette « politisation » se traduit par le nationalisme, aujourd'hui illustré par la doctrine MAGA (Make America Great Again) et ses avatars un peu partout, dont la « préférence nationale » en France. L'idée est d'accorder la primauté à la nation vue comme communauté politique et culturelle. Le nationalisme est l'exacerbation de l'idée de nation, perçue comme entité politique en compétition avec d'autres États-nation. Très vite, la compétition peut devenir violente.
Violente, elle l'est manifestement quand elle prolonge l'appartenance nationale par des contenus raciaux, ethniques, voire religieux. Le nationalisme conduit au racisme, avec ses conséquences : les discriminations, les expulsions, les déportations, jusqu'aux crimes de masse.
Violente, elle l'est aussi et particulièrement quand l'État-nation se permet d'annexer d'autres territoires pour en tirer des bénéfices, bénéfices au moins pour sa classe dirigeante et aussi la population de colons qui y verraient une opportunité. Ce colonialisme, qui commence par des opérations militaires des plus violentes (en Afrique, aux Amériques, en Asie, au Proche-Orient) est aussi caractérisé par le racisme, ce sentiment de supériorité vis-à-vis des populations autochtones, voire leur « animalisation ».
Nationalisme, racisme : pour compléter la caractérisation de ce qu'est l'extrême-droite, il manque encore quelques ingrédients, comme l'autoritarisme, le culte du chef, la désignation d'ennemis intérieurs ou extérieurs à mépriser et haïr. Et aussi le sexisme, le fait que parfois des femmes sont à la tête de mouvements d'extrême-droite (RN, AfD, Fratelli d'Italia) ne fait pas illusion.
Ajoutons-y une fascination pour le passé, soit un passé idyllique à retrouver, soit un passé fait d'humiliations dont il faudrait se venger (c'est tellement clair chez Poutine par rapport à la chute de l'URSS, Xi Jinping par rapport à la guerre de l'opium au 19ème Siècle, Trump dans son slogan MAGA, mais aussi Retailleau vis-à-vis de l'Algérie perdue).
A chaque époque ses ennemis : avant la seconde guerre mondiale, c'était les judéo-bolchéviques et francs-maçons. Aujourd'hui, ce sera les « wokistes », les « héritiers de mai 1968 », les « assistés », etc. On notera que la « droite républicaine » de Retailleau et Wauquiez répond à tous les critères de ce qu'est l'extrême-droite.
La même histoire en creux : histoires de contexte.
C'est peut-être ici que ça devient intéressant.
Que signifie cette « politisation des inquiétudes » ? En quoi ces idées d'extrême-droite paraissent séduire autant de gens ?
Je retiendrai quelques points :
a) une grande frousse par rapport à l'avenir, sécuritaire en premier lieu, mais aussi matérielle (difficultés d'accès aux biens et services, qu'ils soient les plus essentiels ou les plus superflus), climatique et environnementale (la possibilité de plus en plus forte d'être victimes de catastrophes naturelles ou industrielles), démographique et culturelle (la peur d'un prétendu « grand remplacement » par exemple). A la peur, s'associe la colère, colère d'être « abandonnés par les élites », mais colère aussi contre les personnes supposées étrangères, les « cassos », les « bonnes âmes » qui les soutiennent.
b) ces angoisses signifient aussi que l'idée de progrès est caduque. Le progrès matériel peut même apparaître comme menaçant, comme L'IA et les robots par exemple.
c) les forces éditoriales et technologiques de milliardaires au service de ces idées jouent certainement un grand rôle, en appuyant les thématiques réactionnaires, racistes, ultra-libérales.
d) quant aux promesses de gauche de la seconde partie du XXème Siècle, elles ont mis trop le focus sur une expansion matérielle infinie, accompagnant ainsi la marche du capitalisme. Ces promesses consuméristes sont impossibles à tenir, alors que les besoins fondamentaux ne sont toujours pas satisfaits.
En résumé, il y a cette idée qu'on ne vivra plus comme avant, qu'il n'y a plus rien de durable, qu'on est continuellement sur le fil du rasoir, qu'il faut s'accrocher à ce qu'on a.
Ça peut signifier qu'il faut essentiellement « se protéger » (en feignant d'oublier que l'insécurité, c'est d'abord l'insécurité sociale), c'est la thèse des extrêmes-droites, mais à force de se calfeutrer, on risque l'asphyxie.
Ça peut aussi être une bonne occasion de réfléchir à l'essentiel, à la notion de richesse, à la notion de commun, au respect du vivant, à des valeurs comme l'entraide, la coopération, l'égalité, la liberté, la solidarité.
Plutôt que de céder à une sorte de « panique morale » face aux extrêmes-droites, mieux vaut se concentrer sur les actes et les pratiques capables de faire alternative à ce monde capitaliste et à ses crises multiformes.
Application pratique, le 10 septembre, on se compte et on leur fiche la trouille :
On part de loin. Il est possible que les mouvements « on bloque tout » du 10 septembre prochain ouvrent la voie à une prise de conscience que l'on peut gagner quand on revendique collectivement. Puisque ces appels sont partis de la médiocre copie du budget de Bayrou, uniquement basé sur des mesures austéritaires et aucune mesure visant à faire payer les ultra-riches, une première victoire serait de démolir ce dogme selon lequel la fiscalité fait fuir les ultra-riches, la seconde serait de disposer d'un budget répondant aux besoins de santé, d'éducation, de logements, la troisième serait d'augmenter les salaires, etc.
Et s'il faut trouver des pistes d'économies, il n'est pas difficile d'en imaginer sur quelques dépenses somptuaires de l'État, tels que les JO d'hiver 2030, des travaux autoroutiers ou LGV et aussi stopper le développement incessant des équipements militaires.
Et bien entendu, il faudra remettre en cause les « subventions » faites aux entreprises comme les crédits d'impôts, dont le CIR (Crédit impôt recherche).
Pour avoir travaillé dans le secteur informatique, je peux témoigner que ces boîtes consacrent des équipes pour faire des dossiers de demandes de CIR pour la moindre petite innovation, voire astuce de programmation. Il se crée même des entreprises dont la seule finalité économique est l'aide aux dossiers de CIR. Vérifiez sur un moteur de recherche en saisissant « estimation credit impot recherche » et vous serez ébahis du nombre de sociétés de conseils qui se font du beurre sur le Crédit impôt recherche. Des vautours qui s'engraissent sur l'argent public. Une gabegie !
Ce mercredi 10 septembre, nous avons l'occasion de secouer le cocotier politicien et capitaliste. Il faudra veiller à ce que cette journée, qui en appelle d'autres, ne se traduise pas finalement en « débouché politique » partidaire, mais soit réellement l'expression politique de celles et ceux qui en ont ras le bol de ce monde basé sur la prédation et le profit.