Je suis plutôt profane par rapport aux sciences de l'éducation, mais plein de respect vis à vis des enseignants. Ceci dit, les résultats de cette enquête m'interpellent, en tant que citoyen lambda.
On trouvera la note de synthèse de cette enquête ici :
https://dauphine.psl.eu/fileadmin/mediatheque/agenda/2022/Note_F_S_IPP_Finale.pdf
En voici les principaux constats :
« Les filles ont le même niveau en mathématiques que les garçons en début de cours préparatoire (CP) mais décrochent dès le milieu de cette première année d’école primaire alors qu’elles conservent un avantage sur les garçons en français. Le décrochage des filles en mathématiques se poursuit, de sorte qu’à l’entrée au cours élémentaire de première année (CE1), leur rang ou centile moyen (lorsque l’on classe les élèves en centiles selon leurs performances et où 100 est la plus haute valeur), passe de 50e en CP à 44e en fin de CE1 ».
« Ce phénomène » serait « commun à tous les contextes sociaux, familiaux et territoriaux ».
A contrario des maths, l'enquête révèle « Des écarts en faveur des filles en français ».
Il s'agirait d'un phénomène quasi-général, auquel échappent seulement les réseaux d'éducation prioritaires.
« Concernant les caractéristiques des écoles, le décrochage est légèrement plus faible dans les réseaux d’éducation prioritaires (entre + 0,8 et 1,1 rang de gagné en REP et REP+). Le décrochage est en revanche comparable au sein des écoles publiques et privées, dans les écoles confessionnelles et laïques et quel que soit le type de pédagogie utilisé (par exemple, entre les écoles à pédagogie « classique » et les écoles Montessori ou Freinet) ».
C'est dans la conclusion qu'on apprend que les chiffres indiqués proviennent « des évaluations nationales menées sur l’ensemble des élèves scolarisés en CP entre 2018 et 2022, soit plus de 2,5 millions d’élèves ».
Ces évaluations s'appuient sur une directive de 2018 du Ministère de l'éducation nationale, dirigé alors par un certain Jean-Michel Blanquer.
« Créées par le ministère de l’Éducation nationale en 2018, les évaluations Repères de CP-CE1 sont des évaluations nationales standardisées exhaustives (contrairement aux enquêtes PISA ou TIMSS) qui ont pour but de détecter les difficultés d’apprentissage. Elles concernent tous les élèves de CP et CE1 scolarisés dans les écoles publiques et privées sous contrat ».
En me promenant sur ce site gouvernemental, j'entrevois combien le « cadre » pédagogique est sévèrement fixé. Ça ne rigole pas chez les responsables académiques. A ce niveau, c'est plus un carcan qu'un cadre. Il faut évaluer « les compétences des élèves de CP en français et en mathématiques, fin septembre, puis de nouveau lors un point d'étape fin janvier ».
« Les élèves passent deux séquences de 8 et 10 minutes ainsi que deux épreuves individuelles d'une minute chacune en français »... « Les élèves passent deux séquences de 8 et 13 minutes en mathématiques ».
Le chrono pour évaluer les performances, ça ne vous rappelle pas le taylorisme ?
Et c'est probablement aussi un carcan pour les professeur-es des écoles, mais je ne peux pas m'exprimer en leur nom : « La saisie des réponses des élèves est réalisée par les enseignants sur un portail numérique ».
Non, mais vraiment ! L'éducation nationale se réduirait-elle à une « matrice » où les élèves sont formaté-es, « compétencé-es » et in fine évalué-es ?
L'enquête ne fait que constater des résultats genrés d'évaluations se voulant « objectives », mais n'explique en rien ce « décrochage » des filles en mathématiques. Ne faisant pas partie du milieu, je ne sais pas ce qu'en pensent les enseignant-es et aussi les élèves. Il n'y a pas de cause « naturelle » dans le fait que les filles seraient moins « matheuses » que les garçons.
D'ailleurs, dans l'apprentissage d'une langue, ici le français, il ne faut pas non plus manquer de logique. La grammaire et la syntaxe sont aussi des sciences. On les enseigne autant dans les études littéraires que dans les études informatiques.
En fait, l'éducation genrée commence dès la naissance. Petite fille ou petit garçon, on baigne déjà dans un monde dominé par les adultes (avec eux-mêmes leurs stéréotypes de genre) et on baigne aussi dans un système étatico-marchand basé sur la compétition et l'accaparement des richesses par les dominants.
Une hypothèse : et si ce décrochage en mathématiques des petites filles des classes de CP n'était pas un signe de rébellion, une forme de rejet de ces évaluations et du stress que celles-ci leur causent ?

Certes, on pourra me retourner l'idée que « casser le thermomètre ne fait pas baisser la fièvre ».
Mais ici, il s'agit de dispositifs standardisés de contrôle des connaissances. Ces dispositifs, on les retrouve tout au long de la vie, notamment professionnelle avec les « entretiens annuels » dans les entreprises, entretiens que beaucoup de salarié-es redoutent, car ils signifient aussi « évaluations » avec des échelles de notation 1 à 4 ou 1 à 5 et une individualisation des salaires basée sur l'évaluation. On n'en sort pas.
Pour revenir à l'école, les enseignant-es ont à cœur de jauger si les notions sont comprises par leurs élèves. C'est légitime. Mais on peut aussi s'inquiéter de l'approche formatée exigée par l'institution et le (vieux) monde qu'elle représente.
Une fois dit ceci, il convient évidemment de donner à nos mômes de l'appétence pour les sciences, la logique, le raisonnement. C'est une question de citoyenneté.
Au passage, je salue la bonne phrase du Pr Philippe Mérieu, le jeudi 9 janvier, à l'émission « à voix nue » de France Culture : « Prendre les gens comme ils sont ne signifie pas laisser les gens comme ils sont ».