Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

140 Billets

1 Éditions

Billet de blog 17 juillet 2023

Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

« Redonner du sens au travail »

Ce livre co-écrit par le statisticien et économiste Thomas Coutrot et la socio-économiste Coralie Perez (aux Editions du Seuil – La République des idées) et publié en septembre 2022 prend comme point de départ des phénomènes récents de démissions massives qu'on nomme aux Etats-Unis « Big Quit » ou encore « Great Resignation ». Note de lecture.

Rv RICHARD (avatar)

Rv RICHARD

Informaticien retraité

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La France n'échappe pas à ce constat, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé.

De la satisfaction professionnelle :

« En cause, des salaires souvent trop bas, mais surtout des conditions de travail qui ne sont plus acceptées, du fait particulièrement d'un sentiment de perte de sens ».

Si la crise sanitaire a accentué le phénomène, elle n'explique pas tout. Elle n'a fait qu'accélérer une tendance, cette perception d'exercer des « bullshit jobs » (travail de merde).

Les deux auteurs s'appuient sur des enquêtes, notamment les enquêtes « Conditions de travail » menées régulièrement par la DARES (service des études et recherche du Ministère du travail) en collaboration avec l'INSEE. Ces enquêtes sont menées tous les trois ans depuis 1978.

Leur hypothèse selon laquelle le travail prend du sens s'appuie sur trois critères : « se sentir utile aux autres », « respecter des valeurs éthiques et professionnelles » et « développer ses capacités ».

La satisfaction au travail (ou pas) repose sur des émotions telles que l'ennui qui « résulte d'un manque de stimulation des compétences » ou le plaisir qui « découle du succès de la confrontation avec la résistance du réel ».

L'ouvrage recense les métiers les plus perçus (et les moins perçus) comme apportant du sens et de la satisfaction. On y retrouve parmi ceux apportant du sens nombre de professions du « care », métiers le plus souvent féminins : assistantes maternelles, aides ménagères, ceci malgré leurs faibles rémunérations.

Un management au service de la finance :

Dans les témoignages sur la perte de sens reviennent souvent « process désincarnés, objectifs chiffrés, benchmarking continuel, reporting permanent, restructurations et changements organisationnels incessants », tout ceci relevant du « management par le chiffre », un « tourbillon de changements qui bousculent les repères professionnels ».

A la source de ces techniques managériales, il faut relever le « déplacement du centre de gravité de l'économie capitaliste de la production vers la finance » : « la finance exige des rendements élevés aux entreprises et prennent un poids déterminant dans les décisions économiques ». Il s'agit d'une gouvernance tournée vers l'intérêt exclusif des actionnaires : « les conditions d'emploi et et de travail des salarié-es sont affectées par la gestion de ces entreprises qui vise à compresser les coûts salariaux et redistribuer les profits aux actionnaires plutôt qu'à préserver l'emploi et réinvestir dans l'organisation ». Constat identique dans le secteur privé ou public.

Délivrance ? (libre propos, car le concept n'est pas abordé dans le bouquin)

En clair, il faut « délivrer » (au sens anglo-saxon du terme du verbe « to deliver »), soit émettre "de la facture" à tout prix, au prix même d'une qualité médiocre des produits « délivrés » ressentie par les salarié-es. Le terme « délivrer », souvent brandi par le management, on le retrouve aussi dans des propos récents de Mme Borne, Première Ministre, au sens de l'atteinte des « objectifs fixés par le Président de la République » : « j'ai une feuille de route, je la tiens et je délivre ».

Ainsi, faut-il lier la perte de sens au travail par beaucoup de travailleurs à la crise démocratique ressentie par bon nombre de citoyens de ce pays, comme impossibilité de peser sur les décisions (économiques dans l'entreprise, politiques au niveau du pays).

Les initiatives d'en haut :

Les tentatives de l'élite économique et politique pour répondre à cette perte de sens et "fidéliser" leur personnel (Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE), concept « d'entreprises à mission », « gouvernance partagée », « finance responsable », « entreprise libérée ») dans le ressenti des personnes enquêtées sont vécues au mieux comme sans effet sur la perte de sens, au pire sont ressenties comme démagogiques, car jamais elles ne remettent en cause la finalité qui est de réaliser du chiffre et du profit et encore moins le caractère du contrat de travail fondé sur la subordination du salarié à son employeur.

L'aspect environnemental :

L'enquête « Conditions de travail » de la DARES de 2019 ajoute un aspect important avec des questions portant sur « le conflit éthique environnemental » : « comment trouver du sens à son travail quand celui-ci détruit la nature et contribue au réchauffement global de la planète ? ».

Selon l'enquête 2019, « le conflit éthique environnemental au travail concerne plus de travailleurs qu'on aurait pu imaginer », quelle que soit la catégorie socio-professionnelle.

« En fait, le remord écologique s'explique moins par une sensibilité préexistante que par une situation de travail objectivement dégradée et dégradante », notamment l'exposition à des produits nocifs.

Les auteurs ajoutent que « l'activité syndicale incite le management à mettre en œuvre une politique active de prévention des risques sanitaires comme environnementaux ».

La notion de « sale boulot » peut être ressentie autant par des personnels d'exécution que par des cadres et ingénieurs : « dans les bureaux, on leur demande de créer des produits, des services, des besoins et des débouchés nouveaux, d'entretenir une croissance sans limite par la R&D, la publicité, le marketing ».

Les initiatives d'en bas :

Restent donc « les initiatives venues d'en bas » pour répondre à la perte de sens du travail (individus au travail ou société civile). Trois types de réponses sont relevés : « la désertion individuelle, la prise de parole collective et l'engagement dans l'économie des communs ».

Il est question notamment de la réduction du temps de travail, un « outil stratégique de l'émancipation du travail » : « il est sans doute temps de redéfinir les finalités et les modalités de la réduction du temps de travail à l'aune des enjeux contemporains. Elles pourraient désormais viser non seulement à réduire l'emprise du travail sur la vie des travailleurs, mais à faire reculer la subordination pour redonner du sens au travail. Cela passerait par l'instauration d'espaces et de temps de délibération dans les entreprises et les administrations sur la qualité du travail, ses conséquences sur la santé humaine et environnementale, sur la cohésion sociale et la démocratie ».

En guise de conclusion :

Est-utile de préciser que ni le gouvernement, ni le patronat ne sont prêts à aller dans cette direction ?

Pour l'instant, c'est dans la direction contraire qu'ils veulent nous conduire, avec des réformes du Code du travail ou des retraites qui retirent toujours plus d'autonomie au monde du travail et de prérogatives aux organisations syndicales (disparition des CHSCT, affaiblissement des institutions représentatives de proximité).

La conflictualité dans et hors du travail est plus que jamais d'actualité. D'où le sous-titre de ce passionnant bouquin : « une aspiration révolutionnaire ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.