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Billet de blog 21 octobre 2023

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On ne fait pas ça aux gens !

Réflexions suite à l'assassinat d'un professeur à Arras et sur la notion de terrorisme. « Qui sème la misère récolte la colère ! ». Et la colère n'est hélas pas toujours belle à voir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le vendredi 13 octobre, un jeune homme, Mohammed Mogouchkov, d'origine russe d'Ingouchie, a tué un enseignant et blessé trois autres personnes dans le lycée Gambetta d'Arras (Pas-de-Calais), dont il fut élève. Dominique Bernard, professeur de lettres âgé de 57 ans, est mort. Ce jeune homme avait fait allégeance au groupe état islamique dans un enregistrement réalisé quelque minutes avec son passage à l'acte.

Ce drame survient 3 ans après le meurtre du professeur d'histoire-géo Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, tué par un jeune homme d'origine tchéchène, au nom de la même idéologie.

Nos pensées vont à ces professeurs assassinés, à leurs familles et aux enseignants que ces événements plongent dans la peur d'une autre agression.

Cela amène à un certain nombre de réflexions, car ces événements provoquent une onde de choc, mais aussi une exploitation par des milieux réactionnaires.

On ne naît pas assassin, on peut le devenir :

La famille de Mohammed M, arrivée en France en 2008, avait été déboutée de sa demande d'asile alors que ce jeune était âgé de 10 ans. Il est difficile de savoir le pourquoi et le comment de la radicalisation de ces jeunes. On doit tenter l'exercice, ne serait-ce que pour empêcher que d'autres tragédies surviennent (« comprendre n'est pas excuser », n'en déplaise à l'ancien Premier Ministre, Manuel Valls).

Le contexte international ? C'est une possibilité, avec le conflit israélo-palestinien exacerbé depuis les massacres perpétrés le 7 octobre par des miliciens du Hamas et le pilonnage par l'armée israélienne de la Bande de Gaza qui s'en suit, qui continue, qui n'en finit pas, sans compter toutes les privations infligées aux habitants de Gaza. Ces tueries touchant en premier lieu des civils sont effectivement révoltantes, mais quel rapport avec le meurtre d'un enseignant ? La réponse est ailleurs.

La culture de la violence ? Il faut savoir que ces régions du Sud de la Russie (Tchétchénie, Ingouchie) ont subi des guerres particulièrement atroces. Rappelons-nous de Poutine qui annonçait en 2007 (déjà!) « aller buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ». Quant à l'Ingouchie, elle a également connu entre 2007 et 2010 une guerre civile entre séparatistes et pro-russes. Quelles traces cela laisse-t-il dans la tête d'enfants ?

L'idéologie islamiste considérant que la charia, la loi de Dieu, prévaut sur la loi des humains ? C'est bien le cas pour ce jeune homme. Il faut combattre résolument cette idéologie, sans pour autant y associer la masse des musulmans vivant en France, qui n'ont rien à voir avec ça... Sans oublier non plus que les lois de la République sont le résultat de rapports de forces dans la société, aujourd'hui plutôt réactionnaires et bourgeois.

La fragilité psychologique des auteurs d'attentats ? Ça peut être un facteur décisif pour se faire embrigader. Une ambiance familiale marquée par le machisme et la violence (un frère déjà en prison pour « apologie du terrorisme »), mais aussi l'expulsion, donc l'absence du père (désormais en Géorgie) peuvent aggraver les choses.

La caisse de résonnance des réseaux sociaux ? C'est un outil à double tranchant. Elle permet l'organisation de mouvements spontanés, mais elle peut aussi véhiculer les idéologies les plus haineuses et toutes sortes de théories conspirationnistes et extrémistes.

En résumé, une série de facteurs qui peuvent pousser à la radicalisation d'individus (idéologie et radicalité ne sont pas en soi de gros mots, le problème survient quand ça conduit à des atteintes graves aux personnes). Ces facteurs ne constituent pas une règle : même en « matchant » plusieurs de ces critères, tout le monde ne bascule pas dans l'ultra-violence. Car il existe aussi des digues morales selon lesquelles "on ne cause pas à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'on nous fasse subir", digues qui parfois se fracassent (l'histoire humaine en a connu beaucoup de ces moments de bascule, liés à des projets totalitaires et/ou des phobies racistes)...

Des associations accusées de tous les maux :

En février 2014, la famille Mogouchkov est arrêtée par la police aux frontières dans le foyer d'Ille-et-Vilaine où elle était assignée à résidence et conduite à l'aéroport de Rennes pour être expulsée vers Moscou, via Paris. À Paris, les parents refusent de monter dans l'avion et la famille est placée en centre de rétention au Mesnil-Amelot. Puis la procédure est annulée par le cabinet du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. Auparavant, des associations d'Ille-et-Vilaine (Mrap, Cimade, RESF, collectif de soutien aux personnes sans-papiers) ainsi que le PCF s'étaient mobilisés en faveur de cette famille.

Tout ceci fait dire sur les chaînes d'information continue que quand même, les associations ont une part de responsabilité, qu'elles défendent n'importe quoi, … Air connu sur « l'angélisme » des associations !

Qu'en savait-on à l'époque de cette famille et de ce garçon âgé de 11 ans ? A quel prix payer le « risque zéro », si jamais il existait ? Une dictature à la chinoise ?

Faudrait-il alors expulser toutes les familles « à problème », notamment originaires du Caucase, au prétexte d'une prévention du risque de terrorisme ?

Une onde de choc et son exploitation par les réacs et néo-réacs :

Darmanin est proche de cette position et c'est l'occasion pour lui d'alourdir son projet de loi, notamment en levant l'interdiction d'expulser des familles avec enfants de moins de 13 ans : « Il y a 4000 étrangers délinquants que je ne peux pas expulser du territoire national alors que je le veux, parce que la loi l’empêche. Soit parce qu’ils sont mariés en France, soit parce qu’ils ont eu des enfants en France, soit parce qu’ils sont arrivés avant 13 ans sur le territoire de la République quand bien même ils auraient commis leur acte après 18 ans ». https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/attentat-darras-le-texte-immigration-va-t-il-faciliter-les-expulsions-des-etrangers-delinquants

Que la droite et l'extrême-droite fassent de la surenchère n'est pas surprenant. Que ça vienne de personnalités comme Caroline Fourest, militante féministe (elle est notamment rédactrice en chef de la revue ProChoix et chroniqueuse sur LCI) ça devient inquiétant : « Il faut sérieusement se poser des questions sur les trous dans notre bouclier, c'est-à-dire les associations qui empêchent d’expulser des gens qui prônent le terrorisme ». Il s'est passé 10 ans entre la tentative d'expulsion et ce crime.
Comment peut-elle penser qu'un gamin de 11 ans est une graine de terroriste ? Sait-elle lire dans les têtes ? Peut-elle envisager aussi que des personnes, même déboutées de leur demande d'asile, expriment leurs craintes en cas de retour dans leur Etat d'origine, ici la Russie poutinienne ?
Les intellectuels médiatiques, à force de donner un avis sur tout, débitent souvent des âneries.
https://www.mediapart.fr/journal/politique/161023/gerald-darmanin-se-saisit-de-l-attentat-d-arras-pour-relancer-ses-mesures-sur-l-immigration

Défendre la laïcité sans hurler avec les loups qui prétendent la chérir :

La laïcité est fondée sur le principe de séparation juridique des Eglises et de l'État (loi de 1905 en France), en particulier en matière d'enseignement. Cette séparation a pour conséquence :

- la garantie apportée par l'État de la liberté de conscience et du droit de d'exprimer ses convictions (droit de croire ou de ne pas croire, de changer de religion).

- la neutralité de l'État en matière religieuse. Aucune religion n'est privilégiée; il n'y a pas de hiérarchie entre les croyances ou entre croyance et non-croyance.

La laïcité est un bien précieux qui permet de contenir les revendications religieuses sur la société. L'éducation nationale est en première ligne par rapport à ces revendications d'intégristes religieux, mais aussi de revendications d'extrême-droite, notamment sur l'enseignement de l'histoire/géographie, le « récit national », la colonisation, le « wokisme », etc.

Il existe beaucoup d'hypocrisies autour de la laïcité, qui correspondent en fait à un racisme bon chic-bon genre qui soupçonne les musulmans vivant en France d'être hostiles aux « valeurs de la République ». A chaque attentat islamiste, on les somme de prendre position en tant que musulmans.

Demanderait-on à des chrétiens de se désolidariser de tel ou tel attentat commis par des extrémistes de droite bien franchouillards ?

En tout cas, le terrorisme est une notion plutôt plastique (rappelons-nous du discours de Darmanin sur les « éco-terroristes »). Il convient de nous interroger sur les ressorts de la violence et de trouver les moyens d'y répondre, autres que les discours à l'emporte-pièce de beaucoup de « responsables » politiques, qui jettent de l'huile sur le feu.

Rappelons-leur sans cesse : « qui sème la misère récolte la colère ! ». Et les effets de la colère ou du ressentiment ne sont hélas pas toujours beaux à voir.
Répondre à la montée de la violence ne signifie par pour autant vouloir ce statu-quo insupportable (la violence des puissants), mais remettre la lutte politique à l'honneur.

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