On notera que, vu des commentateurs, elle n'aborde qu'un aspect de la loi Duplomb : la réintroduction d'un pesticide, l'acétamipride, interdit en France depuis 2018, nocif pour les abeilles dont les producteurs de betteraves et de noisettes réclamaient la réintroduction, nocif aussi pour les autres êtres vivants, dont les humains, en premier lieu les agriculteurs et les riverains des lieux d'épandage.
La loi Duplomb :
Mais rappelons que cette loi est bien plus large, sa motivation première étant de "lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ", en réponse à la mobilisation d'agriculteurs du début de l'an passé, essentiellement autour d'actions musclées de la FNSEA et de la Coordination rurale.
D'autres syndicats, tels que la Confédération paysanne et le MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux), avaient émis d'autres revendications, en particulier autour de la garantie de revenus et d'une véritable rémunération du travail ou encore l'encadrement de la marge des distributeurs.
Toujours est-il que ce sont les revendications de la FNSEA et de la Coordination Rurale de qui ont été retenues dans la loi Duplomb, en gros l'abaissement des « normes environnementales » et la multiplication de « dérogations ». Ainsi, en plus de la réintroduction de pesticides, elle facilite la construction de méga-bassines (qui selon la loi Duplomb seraient "d'intérêt général majeur") ou encore la création ou l'agrandissement de bâtiments d'élevages intensifs. En résumé, ça ouvre la voie à une agriculture industrielle, à des méga-porcheries, à des troupeaux géants, véritables usines à viande ou à lait, sans considération des nuisances telles que l'épandage des déjections de ces animaux. On n'en a pas fini avec les algues vertes en Bretagne.
La loi Duplomb reporte les contraintes sur des agences gouvernementales telles que l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui devra tenir compte « des circonstances agronomiques, phytosanitaires, et environnementales, y compris climatiques qui prévalent sur le territoire national » ainsi que « les impasses techniques » des agriculteurs, ceci sur instruction ministérielle ou encore l'Office français de la biodiversité (OFB), encore appelé police de l'environnement, qui passe sous le contrôle des préfets, donc du gouvernement.
En clair, la loi Duplomb sert les intérêts d'une minorité d'agriculteurs, des quasi-industriels compte tenu des surfaces exploitées et de la taille des cheptels, mais certainement pas l'intérêt général (y compris du monde agricole) et la santé publique (y compris du monde agricole), et pas seulement à cause de la réintroduction de pesticides. Il s'agit bien "d'une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire" selon les mots de l'initiatrice de la pétition, Eléonore Pattery, étudiante de 23 ans.
A propos de la pétition et de son envol :
Il serait intéressant d'analyser comment cette pétition s'est propagée de manière « virale », des accusations de « manipulations » et de « désinformation » se faisant entendre parmi les partisans de cette loi Duplomb et Duplomb lui-même qui ne manque pas d'aplomb en dénonçant une manœuvre de l'extrême-gauche et des écologistes destinée à faire "pression au Conseil constitutionnel et espérer qu'il ne valide pas la loi". Discours similaire au Rassemblement National où Marine Le Pen déclare sur X :"Nous refusons que la propagande des gauches puisse laisser imaginer à nos compatriotes que cette loi menace leur santé et notre environnement".
Quant à François-Xavier Bellamy, député européen des LR, il déclare sur France-Infos : « Je voudrais dire ma colère devant les gens qui organisent cette désinformation. Je pense à des militants de l'écologie politique qui militent pour la décroissance. Je pense à des influenceurs et, parfois malheureusement, à des journalistes. Parfois même qui sont liés au service public ».
Bref, la droite persiste et signe (enfin, pas cette pétition !).
Admettons que le succès de cette pétition doive beaucoup à l'entrée en lice d'influenceurs. Moi-même, c'est à partir d'un commentaire sur Médiapart que j'ai pris connaissance de cette pétition et l'ai signée. En général, quand j'entends parler d'influenceurs, de think-tankeurs, d'essayistes-vus-à-la-télé, je me méfie. Ces gens ne représentent qu'eux/elles-mêmes, voire sont les sous-marins de doctrines particulières pas toujours recommandables.
Mediapart https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/210725/petition-contre-la-loi-duplomb-itineraire-d-une-revanche-citoyenne indique le nom de quelques uns de ces influenceurs, comme Thomas Wagner qui anime un site https://bonpote.com et que je ne connaissais pas qui aurait été un relais vers d'autres influenceurs selon https://www.politico.eu/article/loi-duplomb-derriere-lexplosion-de-la-petition-ces-influenceurs-qui-ont-allume-la-meche/. La société Backbone consulting d'un certain Victor Boury aurait « ainsi évalué à plus d’un million l’engagement autour de la pétition — c’est-à-dire le fait de la relayer — rien que sur Instagram. Elle fait également état de plus de 70 000 interactions sur le sujet sur X, et autour de 13 000 sur le réseau Bluesky ».
Tout ceci est une galaxie dont je n'avais pas connaissance : apparemment, il existe un jeu d'influence « à bas bruit » (pour moi) des idées. Mais n'oublions pas que ce jeu d'influence sur les réseaux sociaux est aussi aux mains de réactionnaires : voir le succès de Jordan Bardella sur tiktok ou encore les saillies libertariennes et racistes du slogan « C'est Nicolas qui paye ».
En fait, si un mouvement d'opinion a toute son importance, il n'égalera jamais un mouvement social de manifestations de rue et d'occupations.
Etonnamment, une pétition « Demande de sanctions à l’encontre de l’État d’Israël et de ses dirigeants en raison de violations graves du droit international » https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-2894, que je viens de connaître et signer suite à la lecture d'un article de blog Médiapart de l'excellent Patrick Cahez reste confidentielle à ce jour. Il n'est jamais trop tard pour la signer massivement.