« 71% des Français se prononcent en faveur d'une préférence nationale, en matière d’emploi, de logement, d’allocations sociales et familiales », c'est le discours lu sur le site de Cnews, qui salue avec Bruno Retailleau (patron des sénateurs LR) une loi « venue de la droite du Sénat ».
71%, plus de deux Français sur trois ! Il n'y aurait donc rien à redire ? En sommes-nous là ?
Sur ce sondage CSA, j'observe tout d'abord que les médias commanditaires de ce sondage font partie de l'empire du sieur Bolloré. L'institut de sondage CSA est depuis 2008 la propriété de Bolloré et depuis 2015 est inclus dans le groupe Havas, filiale de Vivendi, où le principal actionnaire n'est autre que la famille Bolloré.
Le JDD, passé en septembre 2023 dans la besace de Bolloré poursuit : « 80 % des électeurs macronistes pensent qu’il est temps de rompre les accords franco-algériens ! Ils sont 86 % à droite, et seulement 49 % à gauche ». Comme si les personnes sondées connaissaient parfaitement cet acccord dérogatoire par rapport au droit commun des étrangers vivant en France !
N'y aurait-il pas un biais grotesque et binaire ? Partir du résultat attendu par eux et réaliser un sondage univoque pour prouver le triomphe de leurs idées, c'est ça le fond de ce sondage.
Des enquêtes plus scientifiques existent, mais ne rassurent pas pour autant :
Interrogé sur FranceTvInfo, le sociologue Vincent Tiberj (qui participe à l'enquête annuelle de la CNCDH, Commission nationale consultative des droits de l'homme, enquête appelée indice longitudinal de tolérance) réagit : « Je soupçonne même que le questionnaire ait été construit uniquement pour susciter le rejet des immigrés. Les autres instituts comme Ifop, Kantar ou Ipsos produisent des rapports dans lesquels on peut regarder le nombre d'individus interrogés, les libellés des questions, les modalités de réponse proposées et souvent les ventilations par groupes sociopolitiques. Le sondage de l'institut CSA a eu un poids dans le débat public. Les informations sur cette enquête devraient être accessibles. Ce n'est pas le cas ».
Il ajoute : « quand on regarde les domaines dans lesquels les répondants souhaiteraient une action gouvernementale, ce n'est très clairement pas l'immigration qui arrive en tête. Cela va plutôt être le pouvoir d'achat, l'inflation, les salaires, les retraites, les questions sociales, voire l'éducation. Dans un certain nombre d'enquêtes, l'immigration arrive même derrière le réchauffement climatique ».
On se rappelle que pour la réforme 2023 des retraites où « l'attente des Français » était clairement au rejet de la loi proposée par Macron, celui-ci n'en a jamais tenu compte.
L'enquête annuelle de la CNCDH est plus nuancée que le sondage Cnews. D'une part, elle reconnaît qu'« il y a toujours une majorité de Français qui pensent qu'il y a trop d'immigrés en France », mais que ce chiffre est à la baisse sur le temps long : 52% en 2022 contre 69% en 2008 (déjà, il faudrait s'entendre sur la notion d'immigrés. Pour l'extrême-droite, ce sont essentiellement des "non-blancs", fussent-ils de nationalité française depuis plusieurs générations).
Toujours d'après les résultats de 2022, « 78 des gens considèrent que l'immigration est une source d'enrichissement culturel. En 1992, ils étaient 44%. Aujourd'hui, 83% des personnes interrogées considèrent que les travailleurs émigrés doivent être considérés ici comme chez eux puisqu'ils contribuent à l'économie française. En 1992, ils étaient 62% ».
Vincent Tiberj avance aussi le fait que l'émotion suscitée par des événéments tels que les émeutes de 2005 font remonter l'intolérance et pointe aussi les médias qui servent à longueur de temps une hyper-médiatisation de faits divers impliquant une jeunesse "racisée".
Une enquête européenne sur les comportements racistes :
Il existe d'autres enquêtes fouillées sur la question du racisme. La très officielle Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a publié mercredi 25 octobre 2023 un rapport sur les discriminations raciales dans treize pays européens. Selon l’étude, les comportements racistes ont progressé depuis un précédent rapport publié en 2016.
Elle insiste notamment sur le racisme que subissent les personnes noires. Selon Michael O'Flaherty, son directeur : « Il est choquant de ne voir aucune amélioration depuis notre dernière enquête de 2016. Au contraire, les personnes d’ascendance africaine sont de plus en plus victimes de discrimination uniquement en raison de la couleur de leur peau. Le racisme et la discrimination ne devraient pas avoir de place dans nos sociétés. L’UE et ses États membres devraient utiliser ces conclusions pour mieux cibler leurs efforts et faire en sorte que les personnes d’ascendance africaine puissent elles aussi jouir librement de leurs droits sans racisme ni discrimination ».
En clair, les idées racistes « travaillent » quand même beaucoup d'Européens.
L'ordre sans la justice :
En fait, comme l'indique Jadran Svrdlin dans son article de blog : https://blogs.mediapart.fr/jadran-svrdlin/blog/231223/la-preference-fascisante, nous avons à faire à un racisme systémique : « Un racisme systémique est celui qui imprègne toutes les sphères de la société, tant institutionnelles que d'opinion. Ces sphères s'influencent et se valident mutuellement ».
Le racisme et le sécuritaire vont ensemble. Il n'est que de voir la réaction gouvernementale française suite aux émeutes provoquées par la mort du jeune Nahel tué à Nanterre par un policier. Certes, on peut déplorer l'étendue des dégâts (lieux publics dévastés comme des écoles, des médiathèques ou des mairies, commerces, bus et voitures brûlées, etc), soit des équipements dont ont besoin les familles vivant dans ces villes et quartiers.
Lors d'une interview le 24 juillet, Macron réagissait ainsi : « La leçon que j’en tire, c’est un : l’ordre, l’ordre, l’ordre. La deuxième, c’est que notre pays a besoin d’un retour de l’autorité à chaque niveau, et d’abord dans la famille ». C'est ainsi que Mme Borne, Première Ministre, dévoilait le 26 octobre un train de mesures, essentiellement sécuritaires (amendes renforcées, éventuel encadrement par l'armée, stages de "responsabilité parentale", déploiement de « forces d’action républicaine » (FAR) destinées à une action « coup de poing » mêlant la police, les services socioéducatifs et les pouvoirs publics locaux). Les questions sociales, notamment sur les discriminations, restent marginales. Soi-disant pour favoriser la "mixité sociale", Elizabeth Borne demande aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux ménages les plus en difficulté (éligibles au droit au logement opposable, le Dalo), sans bien entendu préciser comment et où seront logées ces familles.
Et la question de la police ? "Concernant les rapports entre la police et les jeunes, dont les émeutes ont montré qu’ils s’étaient considérablement détériorés, les travaux se poursuivent au ministère de l’Interieur". Notons qu'à l'occasion de ces émeutes, deux syndicats de policiers (Alliance et UNSA Police, la moitié des voix aux élections professionnelles), décrivaient dans un tract des « hordes sauvages », des « nuisibles ». Et donc, pour l'instant, aucune mesure concrète concernant le comportement de la police, son armement, sa formation, son recrutement. Un jeune homme tué par balle, c'était pourtant le point de départ des émeutes.
Alors la paix et la justice oui ! L'ordre tel qu'énoncé par Macron et ses amis de droite et d'extrême-droite est à sens unique, imposer le respect de l'ordre établi et des inégalités telles qu'elles existent.

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