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Billet de blog 4 février 2021

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Imprescriptibilité: il ne s'agit pas de durcir la répression mais d'être résolument du côté des victimes

Il y a quelques jours Madeline Da Silva et Caroline De Haas ont publié des textes dans le Monde et Mediapart. Leur thèse : nul besoin de renforcer l'arsenal législatif, souvent en demande de plus de répression, contre les violences sexistes et sexuelles. Faut-il se battre pour l'imprescriptibilité ? Éléments de réponse.

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Il y a quelques jours Madeline Da Silva et Caroline De Haas ont publié une tribune dans le Monde. Plus un billet de blog dans Mediapart de Caroline De Haas issu d'un thread sur twitter. Leur thèse : nul besoin de renforcer l'arsenal législatif, souvent en demande de plus de répression, contre les violences sexistes et sexuelles. Notamment sur l'imprescriptibilité. Il convient maintenant de mettre en œuvre un grand plan de prévention avec les moyens nécessaires.

Reprenons.

Les victimes, l'expérience le prouve, ont besoin que ce qu'elles ont subi soit reconnu par la société. Avec #MeToo, elles se sont saisies des réseaux sociaux pour dénoncer ce que cette société ne voulait pas entendre. Ce déferlement a provoqué une réaction offusquée contre un « lynchage numérique » indigne, et les victimes ont été priées de s'adresser à la justice qui est l'endroit adéquat pour recevoir les plaintes.

Sauf qu'indépendamment du peu de confiance qu'elles ont en la justice, des nombreux non lieux et classements sans suite, du peu de condamnations prononcées, un autre obstacle se dresse, celui de la prescription, la plupart du temps dans les affaires d'inceste. En effet, parfois l'amnésie traumatique et donc l’impossibilité de penser même les crimes subis retarde grandement le dépôt des plaintes. Et les 30 ans depuis la majorité peuvent malheureusement encore être insuffisants. Tant et si bien que les victimes d'inceste se trouvent confrontées à une injonction paradoxale : « Déposez plainte mais...on ne vous donne pas le moyen de le faire ».

Ces 30 ans ont d'ailleurs été « acquis » parce que des féministes se sont battues pour imposer des changements législatifs. Avant 1989, les violences sur mineures étaient traitées comme les autres crimes et délits : 10 ans et 5 ans après la commission des faits. Délais bien trop courts évidemment.

Faut-il se battre pour l'imprescriptibilité ? L'argument que seuls les crimes contre l'Humanité sont imprescriptibles est évidemment d'une grande force. Mais il existe des solutions : les délais peuvent être de 60 ans depuis la majorité ou considérer l'amnésie traumatique comme « l'obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure » de l' article 9-3 du Code de procédure pénale qui « suspend la prescription » .

Allonger les délais de prescription, cela revient-il à durcir la politique pénale, à intensifier la répression ? Pourquoi y aurait-il un effet mécanique ? Dans ma pratique, j'ai rarement entendu des victimes réclamer plus de répression et certainement pas la peine de mort. Ce qu'elles veulent c'est la reconnaissance par la société de ce qu'elles ont enduré. Et le « travail » mené avec elles c'est bien souvent de les convaincre qu'elles ne sont responsables de rien, qu'elles n'ont rien provoqué et que la faute repose sur l'agresseur. Bien plus, souvent, elles n'envisagent même pas de demander des dommages et intérêts considérant que ce serait de « l'argent sale ».

Le niveau, le quantum des peines n'est pas la préoccupation des féministes. Nous souhaitons simplement que l'interdit social et pénal soit affirmé par une justice qui est censée servir la ou le plus faible et qui évidemment ne le fait pas. Et le vrai problème est qu'il ne l'est bien souvent pas du tout ! Et la tolérance judiciaire se transforme en tolérance sociale et génère ainsi un sentiment totalement intégré d'impunité.

Ce ne sont pas des féministes qui portent les convictions de plus de répression mais des responsables politiques qui entendent alimenter leur fond de commerce d'extrême droite .

Sur le principe même de la prescription : peut on sérieusement considérer que le trouble à l'ordre public s'éteint alors que des victimes crient pour dénoncer ce qu'elles ont subi ? Ce cri continu est une nouvelle donne à intégrer sur laquelle on ne pourra faire l'impasse sauf à invisibiliser de nouveau ce que l'on veut rendre visible.

Et d'ailleurs, un peu de cohérence : pourquoi 48 ans (30 ans après la majorité) serait l'âge limite ? Parce qu'il est déjà acquis ?

Continuons : si on pose aussi le problème de la prison qui n'est certainement pas un lieu de réinsertion, tout le monde le sait, allons directement au vrai débat que le mouvement féministe a déjà eu dans les années 1970 : faut-il faire appel à la justice qui est de classe, raciste et sexiste et qui le prouve tous les jours ? Faut-il imaginer des « ripostes extra-judiciaires ». Faut-il ne rien attendre de cette société, même pas de la prévention, et prôner l'auto-défense ? Comment faire pour que les victimes aient la reconnaissance de ce qu'elles ont subi ?

Le mouvement féministe, la mort dans l'âme, après avoir « expérimenté »diverses solutions, a du se résoudre à faire appel à cette justice là. Et beaucoup de son combat a consisté à constituer un corpus législatif pour marquer l'interdit social des violences. Et à faire appliquer les lois obtenues, non sans grandes difficultés. Et à faire en sorte que la justice respecte les victimes, entende leur parole et la prenne en compte.

Mais la justice n'a jamais été qu'un aspect du problème.

Ce que réclament aussi les féministes, ce sont des mesures globales pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants : sensibilisation, formation, prévention, protection, solidarité, soins. Parce qu'évidemment les violences sont un phénomène global et systémique. A l'opposé du tout répressif que mettent en avant les gouvernements.

Il faut donc aussi l'application des lois existantes et un grand plan de prévention s'impose évidemment.

Mais il faut aussi, pour ne parler que des violences sexuelles faites aux enfants, outre l'augmentation des délais de prescription, imposer un seuil d'âge au delà duquel on ne puisse plus parler de « consentement ». L'affaire est sur les rails mais le Ministre de la Justice a déjà mis en garde contre trop de précipitation. Trente cinq ans d'attente ne semblent pas trop précipités.

Il faut aussi rembourser par la Sécurité sociale tous les soins consécutifs aux violences. Ceci est déjà dans la loi depuis 1998 mais tous les praticiens ne sont pas concernés. Là aussi changement législatif. Emmanuel Macron en a parlé. La concrétisation est urgente.

Une réforme de l'autorité parentale doit être rapidement mise en œuvre et son retrait devrait être automatique en cas d'inceste. En tout état de cause la résidence alternée des enfants doit être interdite dans ce cas comme en cas de violences conjugales d'ailleurs car on ne peut être un bon père si on est un homme violent. Autre chantier législatif.

 Il faut aussi revenir à une revendication que portent les féministes depuis des décennies : l'éducation non sexiste, obligatoire et inscrite à l'emploi du temps des élèves à tous les stades de la scolarité. Celle ci permettrait en s'adressant aux élèves de les inciter à relater les situations qu'elles et ils subissent. Des outils existent pour cela. Une « information contre les violences »  existe dans la loi du 9 juillet 2010 mais sa portée est limitée.

Allons un peu plus loin : Un vrai débat de société se pose : que faire des agresseurs ? Ou que faire avec les agresseurs ? L'actualité récente nous prouve de façon éclatante qu'ils sont partout. Comment faire en sorte qu'ils arrêtent ? Quels « soins » leur apporter ? Peut on leur prodiguer des « soins » efficaces sans la compréhension de ce qu'est une société patriarcale ?

On peut comprendre le risque d'enlisement législatif dénoncé par les deux autrices. Tout est question de volonté politique. La crise du Covid a amplement démontré que les navettes parlementaires pouvaient aller très vite en cas d'extrême urgence. Nous y sommes. Trop de temps a été perdu. Comme d'ailleurs le financement : le « quoi qu'il en coûte » pour les violences faites aux enfants et les violences faites aux femmes devrait être mis en œuvre. C'est à ce prix là que l'on pourra avancer, si les féministes ne relâchent pas leur mobilisation.

Suzy Rojtman, co fondatrice du Collectif Féministe contre le Viol en 1985

Animatrice de groupe de paroles de victimes de viol de 1987 à 1999.

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