Nous savions qu’il a été cet instituteur révoqué mais je ne savais pas qu’il a été un ennemi du colonialisme et du fascisme au point que toutes ses résistances apparaissent exemplaires à ce jour, jusqu’à tracer la voie à tous les anticolonialistes et démocrates et non seulement à son frère William Sportisse qui vient de nous enrichir de ses entretiens avec Mr Le Foll-Luciani dans ce livre intitulé « Le Camp des Oliviers »* ou « Le Jardin des Oliviers » le titre en lettre arabe porté sur la couverture.
Dès l’introduction, l’historien nous révèle que l’instituteur révoqué est devenu maçon, dirigeant syndical bête noire de l’administration coloniale dans les années 30, mort sous les balles des agents français de la gestapo en mars 1944 à Lyon à l’âge de 39 ans. On apprendra dès le début du chapitre intitulé « Lucien Sportisse, pionnier et exemple (1905-1944) » qui lui est consacré où il dit « Aussi loin que je remonte dans ma vie, je n’ai pas souvenir d’une année de répit ». Grace à ce livre voyons succinctement ces années.
1925 Lucien Sportisse a 20 ans, il est instituteur à Aïn-Béida après avoir suivi des cours d’histoire à la faculté d’Alger pour les abandonner par manque d’argent.
1925 le Directeur de l’école et la Municipalité l’accusent d’activiste de d’anti-français pour la raison qu’il s’est opposé à l’ordre de faire payé un «impôt» à ses élèves. Il est successivement muté de Aïn-Beida à Lamy, à La Calle à Jemmas à Akbou mais jamais dans une ville.
1930 il est exclu du syndicat des instituteurs au motif d’avoir fait de la propagande pour affilier les dockers de Philippeville à la C.G.T et pour avoir dirigé avec René Soler une grève des ouvriers boulangers à Constantine, sa ville natale au mois d’octobre.
1933 lors du meeting tenu le 6 avril à Constantine il revendique l’unité d’action pour lutter contre le fascisme
1934 en septembre il termine la rédaction d’un tract par un appel à la libération nationale et social de l’Algérie.
Le 21 Septembre, un agent de la Sureté dit craindre un attentat de la part d’hommes appartenant à la population française de Constantine contre Lucien Sportisse « chargé de l’éducation de la jeunesse à cause de ses opinion subversives »
1934 le 24 septembre le préfet de Constantine ordonne sa mutation hors du département et l’informe de sa révocation de l’enseignement. Lucien proteste et informe les parlementaires communistes de cette mesure arbitraire qu’il attribut au gouverneur préfasciste de Doumergue-Tardieu.
1935 Il est à Oran où il travaille comme coffreur-ferrailleur. Le 2 août il est arrêté et emprisonné pour avoir manifesté contre la souveraineté française en Algérie. En prison il fait la grève de la faim. A la fin du mois, un rassemblement se tient autour du communiste Pierre Fayet pour réclamer sa libération de même qu’à la fin de septembre un meeting se tient à Oran. Le journal Front Populaire de l’Oranie en fait échos et lui consacre de nombreux articles. Suite à cette solidarité Lucien est libéré mais très affaibli.
1935 le 21 novembre la police saisit une centaine de tracts intitulés « Le colonialisme voilà l’ennemie » à propos duquel un agent de la sureté écrit « dans ce factum je reconnait d’une façon certaine, le style ordinaire de Mr Sportisse Lucien instituteur révoqué ».
1936 au mois d’avril il fait parti de la délégation de Secours Rouge venue se solidariser avec Ben Ali Boukhort déporté depuis 1935 à Béni-Abbès
1936 le 8 novembre lors d’une réunion des Jeunesses Communistes il aurait déclaré « Notre groupe veut la libération complète du peuple arabe »
1936 le 1er juillet son intégration à son poste d’enseignant est envisagée. A la fin de l’année on lui fait savoir qu’il est muté en Métropole à Sevran en région parisienne pour la rentrée de 1937. Il reçoit cette décision comme une sorte d’expulsion sous forme de mutation.
1939 il est mobilisé dans l’armée française ou il est privé d’armes comme d’autres militants communistes. Après l’armistice, dans la débâcle, Lucien s’est retrouvé à Lyon tout démuni.
1941 au mois d’août alors qu’il vit et milite clandestinement il est arrêté par la police française parce qu’il est communiste. Il est enfermé dans une forteresse puis transféré en d’autres lieux de détention plus d’une fois jusqu’à la nuit du 11 et 12 juillet 1943 ou il s’évade avec 50 détenus.
1943 Comme il était un des organisateurs de l’évasion, il est resté en dernier et n’a trouvé personne à la sortie. Il est au maquis jusqu’à son contact avec le Front national de libération et de l’indépendance où il est chargé de prendre la direction technique du journal Le Patriote à Lyon .
A cause d’une taupe dans le réseau clandestin Lyonnais, Lucien se fait piégé un 24 décembre 1944, et meurt assassiné par les agents français de la gestapo.
Et Malek Haddad cet autre enfant du Rhummel écrira
Mais l’on croit au bonheur
Maintenant que la Saône
Epouse du Rhummel
Chantonne pour Lucien
Lucien a été un anti- fasciste pour être conséquent dans son combat anticolonialiste et l’histoire lui a donné raison, puisqu’il a permis à la génération qu’il a éduqué de mener son pays à l’indépendance à la faveur du 1er Novembre 1954. Comme la résistance est toujours actuelle ; Il est urgent de revendiquer la séparation du politique et du religieux pour renforcer les aspirations des peuples du monde dit « arabo-musulman » à la démocratie et rehausser leur lutte au dessus du dilemme ou l’enserre les antidémocrates , qui offrent aux peuples le seul choix celui d’ un nationalisme religieux ou d’un islam politique.
*Editions El-Ijtihad Alger juin 2013