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Billet de blog 6 mai 2018

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Mai 68 : Tracts de JLM et témoignage (1) de Michel J.

Michel, biochimiste à la faculté des sciences de Paris, témoigne. En 68, il est responsable des travaux pratiques de la maitrise, témoin de l’ouverture des grilles de la faculté aux "réfugiés" de la Sorbonne; dès le 10 mai, les locaux de TP, tour 42, ont servi d’infirmerie. Aux côtés de Jacques Monod dans la décision de grêve du département de biochimie, il est au cœur de la tourmente…

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Un biochimiste en Mai 1968 à la faculté des sciences de Paris (Jussieu - La halle aux vins)

 Michel Jacquet

 L’Année universitaire 1967 1968 était celle de la mise en place de la réforme introduisant les maitrises, le cursus comprenait deux années de DEUG, une année de licence et une année de maitrise. La biochimie après avoir été enseignée succinctement dans une partie d’un certificat de licence ancienne formule (BMPV biochimie, microbiologie, Physiologie Végétale) était promue comme une véritable filière avec une licence de biochimie et une maitrise biochimie comprenant chacune un gros certificat. Cette filière était installée dans les nouveaux locaux de Jussieu. L’enseignement occupait deux étages entre la tour 42 et la tour 43 à côté des locaux de recherche, l’Institut de Biologie Moléculaire (IBM !) dirigée par Raymond Dedonder. J’étais responsable à l’époque des travaux pratiques de la maitrise. Au printemps 1968 nous réalisions nos premiers TP avec les étudiants, nous devions leur faire réaliser la transformation bactérienne : des bactéries génétiquement modifiées par voie naturelle, nous avions coulé 5000 boites de Pétri stériles qui étaient prêtes pour les TP du mois de mai.

Le lundi 6 mai au matin, à la suite des manifestations du 3 mai qui s’étaient terminées par l’incarcération d’étudiants, une réunion spontanée des enseignants chercheurs de biochimie syndiqués ou non, s’est réunie. Le mot d’ordre étudiant était de « libérer nos camarades » mais il nous semblait nécessaire de mettre un contenu plus conséquent dans nos revendications, dans le but de faire évoluer l’Université. A cette réunion, il fut décidé d’entrainer le corps enseignant de notre discipline et nous avons convoqué une réunion syndicale à l’Institut Pasteur avec Jacques Monod et d’autres professeurs. Jacques Monod était une figure de l’intelligence Française grâce à son Prix Nobel, mais aussi par ses prises de positions publiques sur les projets de réforme de l’université. Jacques Monod n’était pas favorable à la grève, mais il a finalement accepté de suivre le mouvement persuadé que c’était entre autres un moment pour faire évoluer les idées sur l’enseignement universitaire.

Le Département de biochimie se mit en grève et remplaça les TD et TP en séances de discussion avec les étudiants sur ce qui devait changer. Dans l’après-midi des jours suivants, enseignants étudiants rejoignaient les cortèges de manifestants dans le quartier latin.

Le vendredi 10 mai, contrairement aux jours précédents, les manifestants ne se dispersèrent pas après la manifestation de l’après-midi et occupèrent le quartier latin commençant à monter des barricades. (Personnellement, j’avais quitté la manifestation plus tôt). Un de nos collègues Antoine Delfour ayant pris la mesure des forces de CRS qui convergeaient sur le quartier latin contacta Raymond Dedonder (directeur de l’IBM) pour lui demander de faire ouvrir les grilles de la faculté de Jussieu, ce qu’il fit auprès du Doyen quand les heurts commencèrent. Les journalistes commentant en direct sur les radios les bagarres entre CRS et étudiants annoncèrent qu’un refuge était ouvert sur la faculté des sciences de Jussieu, que les blessés pouvaient se rendre à la Tour 42 où ils seraient protégés, Ils demandaient aussi aux ambulanciers et médecins de se préparer à recueillir et soigner les blessés et aux parisiens qui voulaient aider d’apporter victuailles pour les étudiants, enfin ils donnèrent le numéro de téléphone de mon bureau de responsable des TP et le lieu dans nos locaux de TP. Une collègue, Jacqueline London, avait effectivement fait un communiqué pour signaler que nos locaux de TP pouvaient servir de refuge. Devant la violence des heurts, l’utilisation de nouvelles grenades lacrymogènes suspectes, un appel était fait aux ambulances, médecins, bonnes volontés, pour aider les étudiants.

Il devait être 2h du matin, je filais en voiture avec ma femme à la fac, apportant aussi des victuailles achetées la veille. Des ambulanciers arrivaient, des volontaires se présentaient, des bonnes volontés se présentaient avec des médicaments ou de la nourriture. On donnait aux volontaires des blouses blanches de nos étudiants au dos desquelles on mettait une grande croix rouge pour qu’ils puissent aider les ambulanciers à récupérer les blessés. C’est ainsi que la nuit s’est déroulée avec la venue d’un certain nombre d’étudiants blessés ou épuisés.

En parallèle, à l’Institut de Biologie Physico Chimique, au cœur des barricades, Jacques Monod était venu pour aider et tenter d’arrêter les violences policières. C’est ainsi qu’une célèbre photo de lui soutenant un manifestant blessé fut prise par des journalistes et resta un symbole de cette nuit des barricades.

Notre implication dans le mouvement s’est poursuivie au cours des jours suivants, nos locaux restaient à la disposition des secours. Nous avions un poste de radio qui permettait de suivre les communications de la police et nous permettait d’envoyer les ambulances sur les lieux des bagarres signalés aux forces de police. C’était l’une de mes occupations !

On nous apportait aussi les restes des fameuses « nouvelles grenades » pour expertise !

Elles étaient stockées dans la chambre froide avec nos boites de Petri ! l’odeur et l’effet lacrymogène était dévastateur. Nos collègues chimistes devaient identifier les composants, contenaient-elles du Chlore ? Ils n’y sont pas parvenus, c’est un médecin Francis Kahn qui a pu obtenir la composition en s’adressant à la police, soi-disant pour soigner un policier.

Au plus fort des tensions, nous avons dû organiser dans nos locaux, une rencontre discrète entre Jacques Monod et Daniel Cohn Bendit.

La fac des sciences était occupée, les enseignements annulés, la direction contestée. Un nouveau conseil paritaire pour gérer la fac devait être constitué, il y eu des élections, je me suis retrouvé dans ce conseil comme un des représentants des maitre assistants.

Nous eûmes à gérer l’annulation des examens de Juin avec toutes les demandes de dérogation. Comme partout on discutait des réformes à faire dans l’université.

Début Juin la Sorbonne a été évacuée et les occupants se sont partiellement repliés sur Jussieu mais sans les « Katangais ».

L’occupation s’est terminée en juin.

PS

Les katangais étaient supposés être d’anciens mercenaires ayant participé à la guerre au Congo pour l’indépendance du Katanga. Y en avait-il parmi ceux que l’on appelait les Katangais ? C’est possible mais on avait appelé ainsi un ensemble de semi clochards semi révolutionnaires qui avaient occupé la Sorbonne avec les étudiants et qui y faisait un saccage.

Les grenades ne contenaient pas de Chlore, mais c’était un nouveau modèle utilisé par les CRS,  plus puissant peut être, et les journalistes avaient lancé l’idée qu’elles pouvaient être très dangereuses à défaut d’information sérieuse.

Billet composé par Marie Odile Lafosse-Marin et Michel Jacquet

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