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Billet de blog 28 mai 2018

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Mai 68 : Tracts de JLM au fil des jours (27): des étudiants nantis - des bidonvilles

Joseph Wresinsky d’ATD s’interroge sur la contestation : des étudiants nantis discutent pour refaire le monde mais ne savent rien de la misère qui sévit dans les bidonvilles à quelques kilomètres du Quartier Latin. Puis il se passionne pour le mouvement, va dans la rue, à la Sorbonne, pour sentir le climat, écouter et interroger. Il adresse une lettre aux étudiants et les invite sur le terrain…

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ATD, Aide à Toute Détresse

 L’année1968 avait mal débuté. Le 9 janvier, le bidonville de La Campa, à La Courneuve, est envahi par les cars de police et les pelleteuses. « A un rythme d’enfer, raconte la revue Igloos (n°39-40, janv- avril 1968), voitures, roulottes, baraques sont broyées, englouties par les bulldozers et livrées aux flammes dans un bruit d’explosion, de concassage, de coups de maillet, de bris de verre et de feu crépitant ». Quelques familles seront relogées. Mais la plupart iront rejoindre d’autres bidonvilles.

Au printemps, avec la révolte étudiante qui gronde et les grèves qui s’étendent, les cités d’urgence et les bidonvilles où ATD intervient, se retrouvent touchés de plein fouet. La Poste étant en grève, les habitants ne reçoivent plus leurs allocations. Le "Père Joseph", fondateur d’ATD, s’agace de voir qu’encore une fois son « peuple » – le « sous-prolétariat », terme qu’il abandonnera cette année-là au profit du Quart Monde – est laissé à l’écart. Les gens ont faim, le Mouvement lance alors des collectes.

Le Père Joseph avait une grande curiosité pour les événements. Il était allé aussi bien à La Sorbonne qu’aux usines Renault. Le soir, il circulait beaucoup, regardait les slogans, rapportait des affiches… Il voulait faire venir les étudiants dans les cités. Il les appelle venir « partager leurs savoirs » avec ceux, écrasés par la misère, qui n’ont pas eu la chance d’accéder à l’université ni même parfois à l’école. Des étudiants en médecine, des Polytechniciens… débarqueront dans les bidonvilles, faisant de l’aide aux devoirs, des ateliers culturels et plus tard des « bibliothèques de rue ». Le 14 juillet 1968 est la première grande manifestation de « Savoir dans la rue » avec, dans la cité de La Cerisaie à Stains, une pièce montée par des étudiants sur les pauvres durant la Révolution et dans le camp de Noisy-le-Grand, une vaste opération d’initiation au secourisme.

Extraits du Journal d'ATD Quart Monde n° 482 Avr.2018

Illustration 1
Lettre du père Joseph aux étudiants de sciences © Père Joseph, ATD

Le mouvement appelle à créer un fond de solidarité contre les pénuries car les pauvres ont peur et, déjà, ils ont faim.

Illustration 2
© ATD, Père Joseph, "science des services" 15 rue Maître Albert Paris V

Les événements de 68 vus par Joseph Wresinski

« En 1968, je voyais tous ces jeunes plein d’intelligence, avec des possibilités considérables, et je me disais : « Ils sont en train de perdre leur temps à faire des discussions alors que dans les quartiers pauvres, il y a des millions d’enfants qui ne savent même pas lire et écrire ». C’est là, que j’ai inventé le « savoir dans la rue » en disant : il faut que les étudiants viennent apprendre ce qu’ils savent, ce qu’ils ont appris, qu’ils le partagent avec ceux qui malheureusement n’auront jamais la possibilité d’aller à l’université (…). Alors j’ai été dans les bistrots, j’ai été discuter avec eux et j’ai réussi à en gagner quelques-uns qui sont venus nous rejoindre.

Ce que je voulais, c’est « que celui qui sait apprenne à celui qui ne sait pas ». (…) La connaissance, ce n’est pas un privilège pour les uns, ce doit être un don à tous et pour tous.

Si les étudiants avaient mis leur manifestation au service des pauvres et s’ils étaient allés dans toutes les cités de la région parisienne en faisant des bibliothèques dans la rue, (…) je crois que l’ensemble des milieux populaires des ouvriers, des gens qui vivent chichement et difficilement auraient été d’accord avec eux, (…) parce qu’ils auraient découvert qu’entre l’université et le monde des pauvres, de la misère, il n’y a pas de fossé, que c’est la même humanité qui se bat pour la même cause, celle de la liberté, celle du respect des uns des autres. »

Extraits du Journal d'ATD Quart Monde n° 482 Avr.2018

Billet composé par MO Lafosse-Marin

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