Monsieur le député Jacques MARILOSSIAN,
J'ai pris connaissance dans la presse de propos que vous avez tenu lors de votre intervention du mercredi 12 juillet au sein de l'hémicycle de notre assemblée nationale. Vous avez soulevé un certain nombre de questions ayant vocation à délégitimer les propos et les positions de l'opposition représentée par la France Insoumise vis-à-vis du projet de modification du code du travail. Si questionner le fondement des positions de vos adversaires politiques fait partie intégrante du débat démocratique, le contenu de votre raisonnement m'interroge, en tant que citoyen, sur votre conception de la représentation nationale. Permettez-moi de vous interpeller à mon tour avec quelques questions :
Vous avez choisi, pour critiquer les députés de la France Insoumise, de leur demander, avec pour présupposé que leur réponses seraient négatives, s'ils avaient déjà travaillé dans une entreprise privée. Déjà été licencié. Déjà été au chômage pendant plus d’un an. Déjà connu une procédure de prud’hommes. Déjà créé une entreprise. Déjà fait du télétravail.
Ainsi, je souhaiterais vous interroger à mon tour pour savoir si vous et vos collègues de la majorité présidentielle pourriez en toute honnêteté répondre à ces mêmes question par l'affirmative. Souffririez-vous également que, comme vous l'avez fait pour vos interlocuteurs, je me permette d'agrémenter mes questions de la préconception injuste, et ne reposant aucunement sur l'étude sérieuse de vos biographies, que vos réponses à ces questions seraient « non »? Pensez-vous enfin qu'il faille pouvoir répondre « oui » à ces questions pour pouvoir prétendre à l'accession à un mandat de représentation ?
Que faire alors du principe démocratique qui veut que tout citoyen, en plus de pouvoir voter, puisse se porter candidat à une élection ? Faudrait-il d'après-vous basculer vers une forme de technocratie où il serait obligatoire de cocher certaines cases pour ne serait-ce qu'avoir le droit de se présenter ? Et que faire des votes récoltés par ceux que, par ces questions, vous espérez discréditer ? Et puisqu'après tout, ce n'est pas la France Insoumise qui propose de changer le code du travail mais la majorité à laquelle vous appartenez, ne devrait-il pas être à vous, plutôt qu'à votre opposition, de vous justifier ?
Plus généralement, votre recours à de telles questions m'interpelle sur ce que pourrait être le raisonnement sous-jacent et sur ce que représente pour vous le travail d'un député. Pensez-vous qu'être élu pour représenter ne soit pas suffisant, mais qu'il faille plutôt incarner pour être légitime à s'exprimer ? Pensez-vous que l'opposition devrait être condamnée au silence ? Croyez-vous que la France pourrait garder sa cohérence si ceux qui n'ont obtenu qu'une minorité de votes, qui néanmoins n'est pas négligeable puisqu'il s'agit de personnes derrières ces voix, n'obtenaient jamais la moindre concession ? Vous-êtes vous seulement demandé quel devrait être le rôle d'un député, et si oui, pourriez-vous nous éclairer ?
Enfin, lorsque vous déplorez que vos pairs, par leurs propos, invitent « tous les philosophes dans l’hémicycle », vous opposez-vous à ce que la pensée critique, ou peut-être la pensée tout court ne pénètre l'enceinte du pouvoir ? Par ailleurs, si vraiment tous les philosophes sont invoqués par vos adversaires, il y en a sûrement certains chez qui vous vous retrouvez et dont vous pourriez vous féliciter qu'ils soient cités. À moins peut-être que vous n'ayez pas la moindre philosophie politique ? Faudrait-il être ignare ou inculte pour être un représentant, tel que le suggère le fait que vous critiquiez vos collègues, « ces doctes savants », pour leur érudition? Quelle vision avez-vous du peuple dans ce cas?
En espérant que vous daignerez répondre avec moins de dédain que celui que vous témoignez aux critiques de fond issues d'une autre vision politique que la votre, je vous prie, monsieur le député, d'agréer l'expression de mes salutations interloquées.
Dr. Sacha ESCAMEZ
Biologiste
Citoyen réfléchissant à la politique