Préambule
La gauche s'est effondrée, la gauche s'est morcelée. Pour une vraie transformation progressiste de la société, il nous faut la refonder. Il nous faut recoller les morceaux, réconcilier les gauches. Les mots clés étant ici « réconcilier » et « gauches », je vous propose de commencer par réfléchir sur ce dernier afin de définir le périmètre des fondations à creuser pour bâtir la nécessaire réconciliation dont je disserte ci-après.
Les « positions irréconciliables »
En France, la cuisse du très jupitérien François Mitterrand avait enfanté au sein du parti socialiste de la « deuxième gauche » de Michel Rocard, suivant une ligne de fracture plus globale traversant plusieurs pays. D'abord apparemment conciliables, la tectonique politique fit s'éloigner la plaque rocardienne du bloc de gauche, dérivant de rocardisme à « gauche caviar » pour en arriver à la « gauche castor », en marche vers la gauche cassée, masque transparent de la droite cachée. Il était donc clair aux yeux de tous les regards lucides que parmi les auto-étiquetés de gauche il existait des « positions irréconciliables ». Merci quand même à Manuel Valls pour sa déclaration apocryphe, se croyant messie d'une nouvelle ère en annonçant une vérité de La Palisse.
Les étiquettes de gauche et la sauce hollandaise
Il existe donc des positions irréconciliables que l'on trouve pourtant sous la même étiquette de gauche. Y aurait-il un manque de rigueur ou de contrôle dans l'étiquetage de l'offre politique ? Avant de crier au sectarisme, ou pire, à la dérive « identitaire de gauche » (si si, certains ont osé, « c'est à cela qu'on les reconnaît » !), permettez-moi de vous proposer une analogie puis de filer la métaphore :
Les lois ayant trait à la protection des consommateurs régulent l'étiquetage des produits. Ainsi, un croissant, même façonné bizarrement pour avoir les angles très arrondis, ne peut être vendu comme pain au chocolat s'il n'en contient pas. Plus sérieusement, on peut comprendre et même souhaiter que contrairement à une farine de riz, une farine de blé ne puisse être étiquetée « sans gluten » car cela pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la santé des personnes affligées de la maladie cœliaque. Les lois régulent l'étiquetage des produits de consommation car il en va de la santé et de l'intérêt des consommateurs.
Quand il s'agit de politique, l'étiquetage pourrait, et devrait, permettre au citoyen d'identifier ses intérêts. L'étiquetage de gauche reflète normalement un contenu au service de l'intérêt de la classe prolétaire, et opposé à l'intérêt de ceux qui l’exploitent. Si vous êtes au service de l'intérêt de ces derniers et que vous vous étiquetez comme de gauche, je vous demande de vous arrêter ! Vos positions méritent d'être respectées dans le cadre du débat démocratique mais il faut qu'elles soient assumées. Vous sentez-vous proche des idées d'Attali ou de Raffarin ? Libre à vous, mais ne vous autoproclamez pas de gauche afin de nous rouler dans la farine ! Vous nous avez déjà servi un amer plat de Valls fourré au Macron à la sauce hollandaise qui nous a gratifié de l'équivalent politique d'un empoisonnement alimentaire...
Digérer les rancœurs qui nous empoisonnent
L'affaire avait bien commencé lorsqu'en 2005, les diverses forces de la gauche proprement étiquetée s'étaient retrouvées du même côté du clivage sur le traité européen malhonnêtement vendu comme une « constitution pour l'Union Européenne », et qu’ensemble, elles avaient défait. L'inertie de cet élan avait poussé en 2006 différentes composantes de gauche à s'agréger au sein d'un mouvement (déjà!), celui de « la gauche anti-libérale », en vu de proposer une candidature commune à l'élection présidentielle de 2007. Cependant, même la gravité de la perspective de l'élection d'un Nicolas Sarkozy et de l’effacement de la victoire de 2005 ne permit à la gauche anti-libérale de garder sa cohésion.
Se coupant d'une partie de sa base, le NPA ne rejoignit finalement pas le mouvement car le PCF qui y était refusait d'acter l’exclusive contre le PS (déjà!). Le PCF, alors seul parti politique dans le mouvement, suscita la méfiance des membres du mouvement qui n'étaient encartés nulle part et qui avaient beaucoup de préconceptions plus ou moins justifiées sur les « vieux partis » et la sur la « vieille politique » (déjà!). De son côté, le PCF était officiellement pleinement dans le mouvements mais ses nombreux adhérents étaient tiraillés entre l'espoir d'unité et de victoire et la peur plus ou moins justifiée de finir phagocytés (déjà!). Finalement, le mouvement éclata avec les candidatures séparées de José Bové et de Marie-George Buffet, et les résultats que l'on sait.
En 2012 le Front de Gauche a en parti rebattit ce qui avait été détruit avant de s'effondrer aux élections régionales d'après. En 2017 finalement, l'alliance entre la France Insoumise et le PCF a fait le pont entre le « vieux parti » et la politisation nouvelle de nombreux « insoumis », permettant de construire une campagne présidentielle presque aussi haute que le sommet de l'état, sur les ruines de de la bulle spéculative éclatée de la « deuxième gauche » du PS, c'est à dire sa droite. Une droite malheureusement propulsée au pas de marche aux portes de l'hégémonie à l'assemblée nationale par l'effondrement du pont qui reliait France Insoumise et PCF.
Les négociations se sont envenimées, les insultes et les coups bas politiques ont fusé, l'électorat qui avait porté la gauche à l'élection présidentielle s'est en partie démobilisé. Pour repartir sur des bases saines, il nous faut pardonner.
Ébauche d'une structure à l'épreuve des ruptures
Autant de fractures et d'espoirs brisés sur la réalité de nos différences seraient propre à nous démobiliser, voire à nous démoraliser. Pourtant, nous n'avons moralement pas le droit de baisser les bras. La responsabilité face aux défis sociaux et environnementaux exigent que nous nous hissions à la hauteur des enjeux. Pour ce faire, il nous faudra trouver mieux que nos habituels jeux de courte-échelle momentanés, tremblants et précaires. Il nous faut imaginer une structure à l'épreuve des ruptures.
Vraisemblablement, la méfiance d'une partie de la gauche vis-à-vis des partis ne s'estompera pas facilement. De la même manière, le PCF n'aura pas vocation à disparaître, phagocyté dans un mouvement. Relevons ici que phagocytose est un phénomène biologique par lequel une cellule, souvent un phagocyte (d'où le nom) englobe, absorbe et digère une autre cellule. Pourtant, au cours de l'évolution des être vivants, par deux fois le phénomène de phagocytose n'a pas conduit à la digestion de la cellule phagocytée, mais plutôt à son intégration, à une endosymbiose.
La première endosymbiose nous a doté des mitochondries grâce auxquelles nos cellules produisent l'énergie qui nous meut via le métabolisme et la respiration, un vrai bol d'air ! La seconde a permis l'apparition des plantes par l'intégration des chloroplastes, capables avec de l'eau, du gaz carbonique et des minéraux de produire de la nourriture en utilisant l'énergie de la lumière. Cette analogie éclairante permet d'imaginer une structure similaire aux solides et autonomes cellules des plantes. Imaginez le PG et le PCF tels la mitochondrie et le chloroplaste en endosymbiose au sein d'un mouvement plus large tel que la France Insoumise ! Les deux partis pourraient alors se contre-balancer et se compléter tout en gardant une autonomie et en laissant un espace entre eux aux sein du mouvement pour ceux qui souhaitent s'engager en demeurant non-encartés. Il y aurait même la place pour la « première gauche » du PS si on le voulait.
Des signes porteurs d'espoir
Comment y arriver ? D'abord, notons qu'il y a des signes encourageants ! Au moment même qui semblait le plus profond de la division entre France Insoumise et PCF, ce dernier avait retiré certains de ses candidats au profit de concurrents insoumis pendant que cette première investissait quelques candidats PCF ou en épargnait une poignée d'autres. Certaines voies au PCF comme celle de Marie-George Buffet l'appelait déjà à se dépasser pendant que des voies au sein de la France Insoumise, expliquaient qu'il ne fallait pas considérer le PCF comme « la mort et le néant », pas plus que de lui souhaiter ce sort.
Ensuite, l'entre-deux tour des élections législatives a permis à l'intelligence collective de la France Insoumise et du PCF de tirer les enseignements rationnels et constructifs qui s'imposaient. Le PCF soutient les candidatures de la France Insoumise là où elles sont au deuxième tour, et réciproquement. Plus inhabituel, et de bonne augure pour rétablir le lien entre PCF et France Insoumise, cette dernière soutien désormais les candidats PS, qui en cohérence avec leurs positions de la « première gauche », avaient frondé face à la Valls des macroneries hollandistes du dernier quinquennat. Il semble donc ne plus y avoir du côté de la France Insoumise une exclusive absolue vis-à-vis du PS, mais plutôt un effort de discernement entre gauche à la colonne vertébrale droite et droite auto-étiquetée « gauche farine de blé ».
Agir
Les étapes importantes franchies par la gauche sur le chemin de sa réconciliation ne sont pas des voies à sens unique. Il est donc de la responsabilité de toutes les personnes dont le cœur bat à gauche d'impulser la continuation de cette reconstruction pour ne pas retourner à la case départ. La route est gauche, la pente est dure mais l'espoir est fort ! Pourquoi ne pas commencer par nous remobiliser pour le second tour de ces élections législatives ? Lançons des élus de gauche à l'assemblée comme un pavé dans la marre pour ensuite mieux exprimer notre mélange de raz-le-bol et d'espoir dans la rue !