« Simone Weil »
Elève d'hypokhâgne
Boulevard de la Liberté
et de la Fraternité
Le Paradis Cedex 07
Madame Sophie Djigo
Professeure de Philosophie
Lycée Antoine Watteau
20, boulevard Pater
59300 Valenciennes
Valenciennes, le 6 décembre 2022
Objet : visite pédagogique du 2 décembre 2022
Madame la Professeure,
Je suis Simone Weil, votre élève d’hypokhâgne, si honorée de vous avoir comme professeure.
Longtemps, je vous ai attendue devant la porte du lycée le 2 décembre dernier. Je m'étais préparée à cette sortie pédagogique. J'en avais longuement parlé à mes parents qui trouvaient le projet formidable. J'avais choisi une tenue chaude et des chaussures de marche. Je me réjouissais de rencontrer d'autres visages venus des quatre coins du globe. Vous aviez déjà organisé cette visite l'an passé, ce fut un franc succès.
J'étais prête, mais vous n'êtes pas venue.
L'Auberge des Migrants, que nous devions visiter, porte un nom magnifique. L'auberge est un lieu de passage. mais aussi et surtout l’endroit où chacun se réchauffe ; tout voyageur y trouvant comme un foyer à chaque étape. De plus, j'ai été immédiatement séduite par le caractère pluridisciplinaire du projet; fruit d'un travail de recherche riche et exigeant. Ce thème, intitulé «Exil et Frontières», vous l'aviez travaillé avec vos collègues de culture antique et de théâtre.
Votre projet se proposait d’aborder ces concepts complexes de « citoyenneté », « d’Etat », «d'Etat-Nation», par une visite dans le réel; une descente dans le siècle. En effet, après vos études en magistère à l'Ecole Normale Supérieure, vous avez réalisé des remplacements dans le Nord et notamment à Saint-Omer. C'est lors de ces séjours que vous avez entamé un dialogue avec les migrants, dialogue qui n'a jamais cessé. Vous avez reçu un prix à Nantes pour votre livre «Les migrants de Calais, enquête sur la vie en transit ». Cet ouvrage que j'avais emporté avec moi devrait figurer au programme d'hypokhâgne.
J'étais tout à fait impatiente de connaitre, par votre témoignage, les conditions de vie des exilés du littoral et de découvrir l'organisation de la solidarité sur place.
Chaque être humain est l'étranger de quelqu'un.
«Je est un Autre» écrivit Rimbaud.
Vous n'avez jamais confondu la philosophie politique et la propagande car vous avez toujours gardé présent à l'esprit qu'un professeur est tenu à un devoir de réserve et de neutralité. Vous avez abordé l'Etat en tant que sujet philosophique tel qu'il se présente en réalité à la croisée des disciplines.
En 2018, vous avez fondé l'association «Migraction 59», joignant ainsi la pensée et l’action.
Vous invitez les autochtones à ouvrir leur maison, le temps d'un week-end, à ces exilés qui, bien souvent, sont des mineurs isolés ayant soif de retrouver une chaleur familiale, fût-ce pour deux jours. Le samedi et le dimanche, aucun ferry n'est en partance pour l'Eldorado d'outre-Manche.
C'est en lisant la Tribune publiée dans le Quotidien du Soir le 5 décembre que j’ai compris que l'on voulait museler votre parole et vos initiatives. Les menaces et le cyberharcèlement dont vous êtes la cible portent gravement atteinte à la liberté académique et pédagogique. J'ai découvert, stupéfaite, et indignée, que partout en France des professeurs d'Histoire sont harcelés lorsqu'ils abordent la Shoah et l'Islam, si loin de l’Islamisme.
Madame la Professeure, je vous adresse ces quelques mots pour vous dire que, dans votre combat, vous n'êtes pas seule. Nous sommes nombreux à désirer que la raison et la liberté l'emportent sur l’obscurantisme, la censure et la terreur.
Recevez, Madame la Professeure, l'expression de ma considération respectueuse,
«Simone Weil»,
Soutien et hommage à tous les professeurs de France et du monde qui remplissent avec courage leur mission contre l’ignorance, mère de tous les fanatismes.
Saliha SADEK,