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Billet de blog 29 août 2022

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Sur l'hypertrophie du moi

Bonjour, J'ai déjà édité ce texte le 24 août dernier. Des erreurs orthographiques se sont glissées dans le texte. Par respect pour la langue française et pour mes lecteurs, je souhaite le publier en version amendée. Abîmer la langue française, c'est ajouter du malheur au monde.

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Sur l'hypertrophie du moi :

Certaines pathologies ne sont pas suffisamment traitées dans les encyclopédies médicales. Elles ne sont, par exemple, qu'effleurées dans le Vidal de la médecine. Ce point est suffisamment important pour être souligné avec vigueur. En effet, sans classification et partant sans connaissance précise des symptômes, on ne peut s'atteler à rechercher le traitement adapté.

L'hypertrophie du moi, aussi connue sous les termes  « d'hypertrophie de l'égo » ou « d'autophilie », fait justement partie de ces maladies.

Toutes choses étant égales par ailleurs, pour une meilleure clarté de lecture, nous nous concentrerons sur l'hypertrophie du moi. En effet, par cette dénomination, nous saisissons que les recherches doivent convoquer des disciplines transversales : médecine générale bien sûr, neurologie certainement, psychiatrie assurément... Au-delà de la médecine à proprement parler la psychanalyse et l'exorcisme caractérisent des approches différentes, mais tout aussi pertinentes.

Depuis environ une quarantaine d'années, nous assistons impuissants à une recrudescence des cas. L'aspect hautement contagieux de ce trouble est à l'origine d'une véritable pandémie bien plus désastreuse que la rage, la peste ou encore la grippe porcine. Les pourcentages des contaminations sont supérieurs à ceux de la Covid 19 ou de la variole du singe pour ne citer que celles-ci.

Pour les profanes et les non-initiés, le trouble n'est pas immédiatement perceptible. Le sujet malade suscitera même, dans bien des hypothèses, de l'admiration tant il fait preuve d'une assurance à toute épreuve. Confrontés à un tel profil, les internes en médecine se tourneront vers leur chef de service afin d'éviter toute méprise, un peu comme l'on requiert l'avis d'un sapiteur dans une expertise en droit de la constrution ou pour évaluer un préjudice corporel.

Les médecins chevronnés, les êtres ayant acquis un certain degré de sagesse, les veuves acariâtres et les enfants n'ayant pas atteint le stade du discernement se feront rapidement une religion et poseront un diagnostic qui ne souffrira aucune contestation.

Le premier angle d'attaque est celui de la conjugaison, aussi surprenant que cela puisse paraître. Chez le sujet atteint, on observe que seule la première personne du singulier est utilisée : j'ai réussi, j'ai accompli, j'ai réalisé, j'ai découvert, j'ai pulvérisé... . Parfois le patient utilisera, à contre-cœur, la première personne du pluriel pour montrer que l'effort et la victoire ont été collectifs. Lorsque le sujet parle de lui-même, il arrive qu'il utilise la troisième personne du singulier faisant ainsi la preuve qu'il a pris du recul et qu'il s'est astreint à un effort de décentration salvateur. Dans des cas critiques, par l'utilisation du pronom personnel « il », le sujet donne à croire que, par la simple force de son expression, il est devenu une légende et même un mythe.

Le deuxième angle est celui de la constatation de l'absence totale de prise avec la réalité. Le sujet n'est pas simplement un doux rêveur (ce qui aurait pu nous le rendre sympathique), il se galvanise de lui-même, s'étonne de son propre génie et se maintient dans un état de transe permanent.

Pour le troisième angle, le praticien se penchera sur l'enfance du sujet qui va lui procurer une myriade d'informations, tout aussi capitales les unes que les autres . Cette analyse permettra d'affiner le diagnostic et, peut-être, de proposer un traitement à administrer par voie orale. Il est question de se pencher comme le ferait un spéléologue sur l'enfance ; cette période bénie ou maudite qui peut faire de nous des rois ou des vassaux perpétuels.

L'enfance, toujours l'enfance car l'on ne peut se connaître soi-même et continuer à cheminer dans l'existence que pour autant que l'on ait apprivoisé et même digéré sa propre enfance. L'étude de cette période déterminante de la vie ne conduira pas à des découvertes décisives pour les sujets atteints de l'hypertrophie du moi. Leur enfance passa, comme chanta le grand Jacques sans bruit et sans éclat. Le malade fut élevé par des parents aimants de la classe moyenne. Et c'est parce qu'il fut adoré par sa mère qui lui instilla un excès de réassurance que le malade ne fut pas sujet aux troubles anxieux.

C'est pendant l'enfance, la genèse de notre vie, que tout se joue. Les procès criminels accordent une importance capitale à cette période. Le premier jour d'audience devant une Cour d'Assises est consacré à l'expertise psychiatrique, à l'expertise psychologique avec ses gribouillages de Rorschach et à l'enquête de personnalité.

L'expert psychiatre se tient debout à la barre, rappelle les grandes lignes de son expertise avant de subir l'assaut des questions des parties en présence. L'avocat général et les parties civiles étant des alliés objectifs, l'expert n'a rien à craindre de leurs questions qui sont plutôt des demandes de confirmation. C'est l'avocat de la défense qui fait trembler l'expert par ses questions perfides. Ce dernier utilisera tous les subterfuges pour faire tourner à son avantage les fameuses conclusions.

  • « Alors, vous pensez que si le petit Hugo avait consommé du Poulain et non pas du Nesquik ou du Benco au petit déjeuner, il n'aurait pas abattu son épouse à coup de tablettes de chocolat ? C'est bien ce que vous dites Monsieur l'expert, parlez plus fort, la Cour vous écoute ? »

  • « Oui , maître, je ne peux pas l'affirmer avec certitude, mais c'est de l'ordre du probable ».

  • « Je vous remercie Monsieur l'expert, je n'ai plus de question Monsieur le Président ».

C'est alors que sentant qu'il venait de marquer un point décisif, le pénaliste fit virevolter sa mèche avant de se rasseoir très satisfait de lui-même. Le rappel à l'ordre du président septuagénaire fit rapidement chuter le taux de testostérone dans la salle. Finalement grâce à la découverte de cette carence sévère en cacao, la culpabilité du meutrier ne fut pas retenue en raison de l'abolition totale de son discernement.

Les grands procès criminels tiennent finalement à peu de chose ; mais l'examen des méandres de l'enfance est primordial...

Mais revenons à notre propos.

À l'école, l'enfant aliéné présenta peu d'appétence pour les matières scientifiques. Il avait choisi d'exceller dans les matières dites de bagou. Il suivit une scolarité normale. À la faculté du « Blabla », bien loin de la rue d'Ulm, il ne prenait pas part à tous les cours magistraux car il avait développé un goût de l'action. Il intégra donc le syndicat étudiant majoritaire. En ces temps-là, la situation en France était plutôt apaisée, de sorte que les nouveaux syndiqués n'étaient pas contraints de dresser des barricades, ou d'en découdre avec les étudiants de la faculté de droit. Du syndicat aux ministères, il n'y a qu'un pas ou plutôt qu'un perron qui fut rapidement franchi. Titulaires d'une licence, les nouveaux Rastignac furent introduits dans les cabinets qu'ils ne quittèrent plus jusqu'à leur propre nomination à un poste de secrétaire d'Etat ou de ministre. A force de cirer le parquet de la Cour, ils avaient convaincu le monarque du caractère indispensable de leur présence.

Et c'est en toute logique et cohérence que notre sujet névrosé songea que le moment était venu de proposer à la publication un récit autobiographique qui relevait davantage de l'hagiographie. Il relatait son enfance lisse en mettant en exergue son sens de l'empathie, sa magnanimité, et son héroïsme en toutes circonstances. Le bouquin achevé, il fallait encore trouver la bonne personne pour rédiger une préface. Il était bien entendu hors de question de solliciter ses parents ou les membres de la fratrie. Afin d'émouvoir les fururs lecteurs, le patient se mit en quête de son Louis Germain.

Nous avons tous rencontré au cours de notre scolarité des maîtres ayant l'étoffe de Louis Germain. Nous nous sommes arrêtés sur leurs cris, leurs mots parfois durs et blessants, sans saisir que ces messages étaient autant de sublimes viatiques. Pendant le temps scolaire et même au-delà, ces pères et mères de substitution mettent toute leur ardeur à faire de nous des hommes honnêtes. Ils ont de la grâce même dans la colère et de la bienveillance dans la rudesse. Et bien loin du soleil éblouissant de l'école communale de la rue d'Aumerat du quartier Belcourt d'Alger, ces hussards ont essaimé partout pour nous inculquer une véritable pédagogie républicaine.

Notre patient partit donc en chasse de son Louis Germain. Il fut confronté à une difficulté importante car ses anciens professeurs des matières dites fondamentales n'avaient pas gardé un souvenir impérissable de lui. Il est plus ardu de pervertir ou de corrompre un professeur qu'un prêtre. On ne trompe pas les idéalistes qui viennent au front la main sur le cœur et la tête dans les étoiles. Ils refusèrent tous de faire l'éloge de cet élève lambda. De guerre lasse, notre malade sollicita Monsieur Martin DURAND, son professeur de technologie, qui avait la charge de pas moins de trois cents élèves de la sixième à la troisième qu'il côtoyait 1 heure 30 par semaine.

Afin de rédiger un commentaire conforme à la réalité, Monsieur Martin DURAND fouilla dans ses archives et reprit l'appréciation qu'il avait portée sur le bulletin de notes de 5ème : « élève assidu, présent en classe, même les jours d'interruption totale de la ligne B du métro ». Cette observation fut retranscrite fidèlement dans la préface de l'autobiographie. Il est rassurant de savoir qu'un ministre ou un élu est ponctuel et honore tous ses engagements.

L'ouvrage trouva rapidement un éditeur grâce à la magie de la concentration financière dans le petit monde de l'édition et de ses connexions avec le pouvoir politique. Il reçut un accueil mitigé de la critique et son succès fut confidentiel.

Peu importe, il continua à rédiger des tweets qui se voulaient incisifs où il distilla la quintessence de sa pensée politique. Mais l'explicitation d'un système de pensée, d'une idéologie même peut-elle tenir en cent-quarante caractères ? De la même manière qu'il faut toute une vie pour faire un homme1, il faut du temps pour construire une pensée, une méthode et des concepts pour faciliter notre compréhension du monde sous l'égide de la liberté et de la fraternité. N'est pas Hannah Arendt ou Jean Jaurès qui veut...

Notre grand malade avait des idées sur à peu près tous les sujets :

  • le réchauffement climatique : «  La France a chaud, privilégions l'arrosage des jardins la nuit, idem pour les machines à laver ».

  • Le pouvoir d'achat : « La France a faim : il est urgent de ramener le prix de la baguette à cinq euros ».

  • La délinquance dans les cités : « La France a peur, respect pour les forces de l'ordre. La France tu l'aimes ou tu la quittes ! ».

Mais, il faut bien garder présent à l'esprit que le pouvoir dure ce que durent les roses, l'espace d'une mandature2.

C'est alors que le paysage politique français fut bouleversé par l'apparition d'un jeune loup qui, bénéficiant d'un alignement inédit des planètes, défiant toutes les règles de l'astronomie, s'installa au Palais pour la durée d'un bail renouvelable une fois.

Les éléphants et autres mammifères de la savane abjurèrent leurs principes et placèrent leur fauteuil de style Voltaire dans le sens de l'Histoire3. Ils se firent courtisans pour quémander circonscriptions et ministères et, lors des grandes soirées électorales, dissertant à loisir sur le taux d'abstention tout à fait indépendant de leur volonté, ils filaient rapidement au Champs de Mars pour tenter de parler au roi qui offrait une fête au peuple de Paris.

Les êtres insanes ne formulaient pas des exigences extravagantes. Ils désiraient ardemment une petite circonscription même située « dans le trou du cul du monde » et même en zone blanche pourvu que l'on parlât d'eux. Ils prirent connaissance de la circonscription octroyée en même temps que les journalistes. Il était vital pour eux de demeurer sur le devant de la scène.

Pour être un parachutiste aguerri, ou un bon parachuté, il faut obtenir un brevet A qui distingue l'aptitude aux sauts individuels ; il faut avoir effectué au moins quinze sauts en chute libre pour le valider. C'est en raison du manque de préparation que le parachutage dans des circonscriptions hostiles est délicat.

Et même dans cette configuration, ils échouèrent. Mais accepteront-ils de tirer leur révérence ? La question est intéressante. Les recherches médicales relatives à l'hypertrophie du moi ont permis de caractériser trois stades.

  • Le stade 1 : le sujet est curable. Il essuie un échec aux élections cantonales ; il s'entête. Puis pris dans un élan d'humilité, il choisit d'en parler à sa mère qui le dissuade de persévérer : « Arrête de faire l'idiot, ton orgueil ne te mènera à rien ; rappelle toi où t'a mené ton arrogance quand les joueurs de ta propre équipe t'ont cassé la figure dans les vestiaires ».

  • Le stade 2 : le traitement doit combiner les conseils de l'épouse, des copains et des séances chez le psychiatre. Le sujet est borné, après un échec cinglant aux élections législatives, il forme un recours devant le Conseil Constitutionnel. Après l'administration d'un traitement, le sujet se retire, le cœur meurtri. Son cas justifiera une prise en charge en affection de longue durée financée à 100% par la Sécurité Sociale.

  • Le stade 3 : le sujet est atteint de manière irréversible. Il présente une inflammation majeure du cortex cérébral, de l'hypophyse et de l'hypothalamus. Le patient se présente depuis une trentaine d'années à toutes les élections ; il est persuadé d'être élu non pas du peuple, mais de Dieu. Après un exposé de son dossier en séance plénière par les plus grands psychiatres de France, l'option choisie sera celle d'un traitement par la stimulation magnétique transcrânienne comme pour la prise en charge de la schizophrénie. Le cas du sujet est désespéré ; il sera interné pour protéger la société.

La politique est une mission et non une fonction. Il faut se montrer vigilant avec celles et ceux qui comptent en faire une carrière.

Notre époque manque d'humilité . Ce retour à la terre nourricière nous l'appelons de nos voeux. Il n'y a que le sel de la terre qui est essentiel à la vie. Nous courons vers des chimères, vers des gloires éphémères en quête d'une place dans le dictionnaire, alors que l'urgence est de se tourner vers son prochain pour l'aimer d'un amour authentique, sincère et véritable, condition sine qua non à l'avènement d'un nouvel humanisme.

Saliha SADEK,

1Librement inspiré de la citation d'André Malraux «  Il faut soixante ans pour faire un homme et après il est bon qu'à mourir ».

2Librement inspiré d'un vers de François de Malherbe « Consolation à Monsieur Du Périer sur la mort de sa fille ». 1599 ;

3Librement inspiré d'Albert Camus dans sa réponse à Jean-Paul Sartre à la suite de sa critique acerbe de « l'Homme Révolté « . L'auteur de « L'étranger » répond qu'il n'est pas de « ces censeurs qui n'ont jamais placé que leur fauteuil dans le sens de l'Histoire ».

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