salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

178 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 septembre 2023

salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

L’avion italien abattu en 1980 par un chasseur français et les Étatsuniens?

L’ancien chef du gouvernement et ex bras droit de Craxi, Giuliano Amato relance la thèse que le DC9 de l'Itavia tombé près de l'île d'Ustica le 27 juin 1980, a été abattu par un missile français dans le cadre d’un exercice simulé de l’OTAN et surtout avec la complicité des Étatsuniens dans le but d'éliminer Kadhafi.

salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un entretien avec La Repubblica, l'ancien chef du gouvernement et ex bras droit de Craxi, Giuliano Amato affirme que le DC9 de l'Itavia est tombé près de l'île d'Ustica le 27 juin 1980, a été abattu par un missile français avec la complicité des Étatsuniens dans le but d'éliminer Kadafi. Cet avion de la compagnie Itavia (depuis dissoute) transportait 81 passagers et l'équipage assurant la liaison Bologne-Palerme. Ils sont tous morts. Cette thèse a déjà été soutenue dans l'émission-enquête TV Atlantide par le célèbre journaliste Andrea Purgatori (récemment décédé) et par l'Association des proches des victimes. Depuis hier (2 septembre 2023), cette nouvelle a été reprise par tous les médias italiens, mais en France seul par 20 minutes.fr.

Selon la reconstruction maintes fois révisée, il s'agissait d'une opération conjointe comme exercice simulé de l'OTAN en cours cette nuit-là. Purgatori avait dénoncé que les Etats-Unis avaient fait semblant de collaborer à l'enquête en répondant formellement aux commissions rogatoires mais sans fournir les éléments demandés par les juges. Par ailleurs, Amato a parlé aussi de l'appel téléphonique avec lequel Craxi a alerté Kadhafi que les Etats-Unis allaient attaquer sa célèbre tente, lui sauvant la vie ; mais, le fils de Craxi remarque qu’il se trompe de date car cela s’est passé en 1986, lorsque Reagan fit bombarder la résidence du dirigeant libyen. À cette occasion également, ce fut un acte en violation du droit international.

Tout comme la guerre de l’OTAN qui a rasé la Libye et s’est terminée par le meurtre odieux de Kadhafi.

Il existe également une autre version sur l'abattage du DC9 Itavia, racontée par le radariste Alberto Dettori -qui ensuite se serait suicidé (?)- au capitaine Ciancarella et qui a attribué l'abattage à un F104 italien.

Dans ce cas aussi, la direction de l’opération aurait été des États-Unis.

En 2004, un tribunal italien avait jugé que l'avion s'était écrasé «dans un scénario de quasi-guerre» et plus tard des médias avaient avancé la piste de chasseurs de plusieurs États membres de l'Otan lors d'un exercice OTAN.

Plus de 40 ans après cette catastrophe aérienne d'Ustica, la responsabilité de la France et des Etats-Unis est pointée par cet ancien chef de gouvernement italien qui accuse seulement maintenant les deux pays d'être responsables de l'accident et d'avoir tout fait depuis pour éviter que la lumière soit faite. La thèse avancée par plusieurs italiens est que le drame se produirait quand un ou deux avions libyens poursuivis par des chasseurs américains et français suivaient l'itinéraire de l'avion civil pour échapper à leurs radars. Pris dans ce « scénario de guerre », le DC 9 aurait été abattu par erreur, ou serait entré en collision avec un des Mig présents dans la zone. Dans son entretien publié le 2 sept. 2023 dans La Repubblica, l'ancien Premier ministre Giuliano Amato reprend cette version, affirmant que la France, avec le concours de Washington, avait cherché à supprimer le leader libyen Mouammar Kadhafi en pensant qu'il se trouvait sur un des Mig. La découverte, le 18 juillet 1980, de la carcasse d'un MiG-23 libyen dans les montagnes de Calabre (sud de l'Italie) avait alimenté cette hypothèse. En 2003, le colonel Kadhafi avait accusé les Etats-Unis d'avoir alors cherché à le tuer. « Les Américains étaient convaincus que j'étais à bord de cet avion (le MiG-23). C'est pourquoi, ils l'ont abattu », avait-il déclaré. Paris et Washington ont toujours nié une quelconque implication de leurs avions de chasse dans cette tragédie. Maintenant Amato demande à Emmanuel Macron de « laver la honte qui pèse sur la France » soit « en démontrant que cette thèse est infondée, soit, si elle est confirmée, en présentant les excuses les plus sincères à l'Italie et aux familles des victimes ». Cette affaire a suscité une infinité de suppositions et d'hypothèses mais les responsabilités et les circonstances de la catastrophe n’ont jamais été officiellement établies. Paris et Washington ont toujours nié une quelconque implication de leurs appareils dans le drame. Un procès pénal contre plusieurs hauts militaires responsables italiens, soupçonnés d'avoir caché des informations dans cette affaire, s'est achevé définitivement en 2007 avec leur acquittement devant la Cour de cassation. Puis des magistrats romains avaient rouvert en 2008 l'enquête à la suite des déclarations de l'ancien président de la République italienne Francesco Cossiga, qui disait qu'un missile français avait abattu le DC-9 italien. Maintenant l’Élisée se retranche dans un sec “no comment”, tandis que le Quai d’Orsay a fait savoir: «Sur cette tragédie la France a fourni tout élément en sa possession chaque fois que lui a été demandé; bref un semblant d’ouverture, mais les noms des pilotes français impliqués dans l’exercice OTAN n’ont jamais été révélés. De sa part la chef du gouvernement italien Giorgia Meloni demande qu'Amato apporte des éléments concrets à ses accusations. « Je lui demande a en plus de ses déductions, de nous faire savoir s'il est en possession d'éléments qui permettront de revenir sur les conclusions de la justice et du Parlement, et de les mettre à la disposition du gouvernement". Il est singulier que d’autres membres du gouvernement aient tout de suite repris l’alignement sans failles à la fidélité otanienne et pro-Etats-Unis ; Ainsi, le ministre Alfredo Mantovano, proche de M.me Meloni, a déclaré que jusqu’à maintenant les enquêtes judiciaires ont donné d’autres conclusions. De sa part, le ministre des affaires étrangers et chef du parti de Berlusconi, Antonio Tajani a déclaré que Amato parle comme citoyen privé et qu’il faut beaucoup de prudence. Quant à lui, Salvini, chef de la Ligue -deuxième parti de la coalition du gouvernement- a affirmé: “De la part d’Amato des déclarations de gravité inouïe. Il est è absolument nécessaire comprendre s’il y a des éléments concrets. Attendons les commentaires de la part des autorités français". En réalité il parle juste pour répondre aux journalistes qui lui demandent son avis.

Rappelons que cette tragédie a fait l'objet de quarante ans de dépistages. Ainsi on parle de "vérité sans coupables". Un chasseur de l'Armée de l'air décolle d'un porte-avions français en Corse du sud et cible un Mig libyen survolant la mer Tyrrhénienne, couvert par le sillage d'un Itavia DC9 avec 81 personnes à son bord. Cet avion ci est parti de Bologne avec 106 minutes de retard et est à destination de Palerme. Nous sommes dans la soirée du 27 juin 1980. Plusieurs années après le 15 décembre 2008, après des enquêtes, des dépistages continus de la part des militaires, Francesco Cossiga, qui était Premier ministre au moment du massacre, dira que le DC9 a été abattu « par erreur » par un missile français. C'était le moment que Cossiga a joué le rôle du dévoiler de vérités (il disait : "enfin je peux me libérer de quelques cailloux de mes chaussures"). Malgré cela, 43 ans plus tard, le massacre d’Ustica n’a toujours aucun responsable. Tout comme les cas des massacres à la bombe et des affaires louches qui se sont répétés après 1945 et surtout depuis l'entrée de l'Italie dans l'OTAN, l'histoire de cet avion est l'une des tragédies que l'Italie n'a jamais pu élucider par les tribunaux à cause des dépistages sans fin.

PS : Le Monde a écrit un article sur cette nouvelle le dimanche soir https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/03/en-italie-la-france-de-nouveau-visee-dans-l-affaire-du-crash-d-ustica-en-1980_6187677_3210.html  on y écrit que l’affaire n’a pas arreté* de susciter attention à cause aussi de la mort suspecte de 20 témoins.

Voir aussi l’article de Andrea Purgatori publié sur LMD en 2014 : https://www.monde-diplomatique.fr/2014/07/PURGATORI/50612

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.