salvatore palidda

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Billet de blog 10 août 2017

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L’hostilité à l’immigration en Italie et la fin de l’Etat de droit

«Le plus déconcertant est de voir l'Italie et les autres pays européens s’acharner dans le rejet des migrations, et aussi dans la criminalisation des ONG non embedded ou encore des solidaires à la frontière de Ventimille-Roja, alors que ces mêmes pays n’ont pas hésité à alimenter les guerres permanentes qui produisent ces émigrations désespérées et à soutenir les actions des multinationales des pays UE qui provoquent tant de désastres économiques», par Fulvio Vassallo Paleologo, de l'Association droits et frontières.

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De Fulvio Vassallo Paleologo, Associazione Diritti e Frontiere (ADIF)

Fulvio Vassallo Paleologo est un avocat et académicien de Palerme qui depuis les années 1980 ne cesse de défendre les droits des immigrés à rester en Italie, portant aussi secours dans tous les lieux de leurs arrivées. Il a formé de nombreux jeunes avocats et il est très renommé pour sa « militantisme humanitaire permanent». Il est l’animateur de l’Association Droits et Frontières –ADIF: http://www.a-dif.org//

Depuis qu’il a été nommé ministre de l’Intérieur italien dans le gouvernement Gentiloni, M. Minniti s’est vite empressé de montrer sa fermeté face à la droite et la gauche, et toute l’Europe, que l’Italie est en première ligne dans le prohibitionnisme de l’immigration. En effet, après les élections locales de juin dernier et en vue des prochaines élections politiques, la concurrence entre pseudo-gauche au gouvernement, la droite et le M5S de Grillo, l’hostilité à l’immigration est devenue le sport principal de tous les partis italiens.  Début Août M. Minniti a présenté un protocole de règles de conduite des ONG qui cherchent à porter secours en mer aux migrants qui trop souvent risquent de se noyer. Mais, quatre ONG sur huit ont refusé de signer cet accord et parmi elles, l’italienne Médecins sans Frontières (MSF) qui a déclaré de ne pas vouloir accepter d’opérer à coté et sous le contrôle de militaires armés car leur mission consiste à sauver des vies humaines, et non pas d’auxiliaires aux forces armées. Le 5 août le navire italien de MSF a été stoppé dans les eaux internationales entre la Lybie et Lampedusa par la Garde Côte italienne qui a pris les 127 migrants à bord de ce navire empêchant aussi à MSF d’arriver au port de Lampedusa. Cette opération est évidemment la punition qui M. Minniti avait promis disant : « ceux qui ne signent pas l’accord seront bannis des ports italiens ». Après cette brillante opération militaire, pour la justifier le ministre a affirmé que l’arrestation en mer du bateau de MSF « n’est pas un acte unilatéral d’un gouvernement fasciste » (il ne s’est pas rendu compte que cette phrase sonne bien comme un aveu. Et il a eu le culot de dire que les ONG qui refusent de se soumettre à son protocole sont affectés) d’« extrémisme humanitaire ». En même temps un autre député du parti du ministre (le PD de Renzi) a déclaré que ces ONG sont malades d’« idéologie humanitaire de sauver des vies », un autre phrase emblématique de la dérive néo-fasciste-raciste-prohibitionniste qui semble dominer presque tout le parlement italien et presque toute l’UE[1].

A confirmer cela il suffit voir le traitement réservé aux extrémistes européens de droite de “Génération identitaire”, arrivée en mer libyenne. Ils se baladent devant les cotes libyennes faisant des selfies sur leur  bateau “noir” qui n’est assujetti à aucun code de conduite similaire à celui imposé par M. Minniti aux bateaux des ONG humanitaires. Pour ces fascistes-racistes aucune inspection à bord. L’opération «Defend Europe» du bateau C Star (http://www.mediterraneocronaca.it/2017/08/05/defende-europe-e-entrata-in-azione/) va alors que les bateaux humanitaires sont freinés, arraisonnés ou séquestrés. Aucune force militaire des Etats dits démocratiques arrête ce navire qui prétend stopper dans les eaux internationaux les migrants pour les donner à la Garde côte libyenne. Ces fascistes-racistes n’excluent pas non plus d’attaquer les bateaux des ONG humanitaires qui n’ont pas signé l’accord avec M. Minniti. Et ce n’est pas un hasard que celui-ci a déclaré entre autres : « ceux qui signeront seront protégé par nous », un message dont quelqu’un craint une signification mafieuse car il pourrait vouloir dire : ‘si vous ne signez pas on vous laisse à la merci des attaques fascistes-racistes’. A noter que le bateau des fascistes C Star compte à bord des gens impliqués dans les mêmes organisations des contractors connus par leur sale boulot dans les différents zones de guerre à l’instar des hommes de mains des mafias. Ce sont ces hommes aussi infiltrés-provocateurs qui ont fait partir l’enquête judiciaire contre le navire Juventa de l’Association allemande Jugend Rettet. Derrière ces organisations de contractors, liées à l’extrême droite européenne, il y a un réseau de complicité politiques et de soutiens financiers.

Comme a raconté quelques médias, le Juventa a été séquestré et son équipage mis aux arrêt avec des accusations graves de complicité avec les trafiquants d’êtres humains sur la base –disent les médias- de preuves irréfutables telles celles d’un soi disant infiltré. Ces preuves montreraient que cette ONG avait passé des compromis avec des passeurs ou trafiquants plutôt que rester aux cotés des forces militaires italiennes, libyennes et d’autres pays pour poursuive ces criminels. Le procès est bien loin de commencer mais d’ores et déjà il apparaît évident que cette accusation est assez discutable : toute l’histoire des actions de sauvetages de gens en danger de vie aussi parce que à la merci de trafiquants passe parfois par le compromis avec ceux-ci (ce ne fut-il pas comme ça pour nombre de cas de Juifs et d’autres fuyant le nazisme ?). Mais les messieurs des gouvernements européens font semblant de ne pas savoir que là des migrants ont été sauvé du risque de finir dans les lagers libyens où notamment sont traités comme des esclaves, torturés et dépouillés de tout et s’il s’agit de femmes c’est le viol parfois jusqu’à la mort.

On comprend donc que le sale boulot assigné au bateau fasciste-raciste C STAR consiste aussi à aider à la criminalisation des ONG, campagne commencée l’année dernière par Frontex et le réseau de recherche (GEFIRA) des droites européennes, en accord avec les services secrets. La police et la magistrature italienne n’ont que complété un cadre d’accusations qui avait été anticipé par les jeunes bloggeurs et activistes de droite.

Et en mer les libyens ont augmenté les activités de séquestration de qui cherche de s’éloigner da la cote. Encore le 5 Aout 800 migrants ont été bloqués en mer et ramenés dans les lagers qu’ils avaient fuit.

Les médias n’ont pas raconté que lors des épisodes de secours du 18 juin dernier aussi bien le Juventa que le Vos Hestia étaient dans les eaux internationales à 13 milles de la cote. Et lors de l’action de secours contesté à le Juventa il y avait aussi une petite barque de la Garde Côte libyenne confondue parmi celles des trafiquants. En effet, depuis longtemps ont sait bien que des scènes de ce genre sont habituelles sur les cotes libyennes et en mer : la Garde côte libyenne a toujours été facilement corrompue et complice des trafiquants. Cette Garde côte dépend de plusieurs milices et nombre de vidéos montrent leur complicité avec les trafiquants. Quand la Garde côte libyenne joue l’intervention répressive on a toujours des morts parfois sous les yeux des humanitaires.  C’est pourquoi illégal est le comportement de la Garde côte italienne si elle bloque les activités de secours des ONG dans les eaux internationales, car ainsi on finit par redonner les migrants aux militaires libyens qui les conduisent dans les lagers et à nouveau aux mains de trafiquants.

On a dit qu’en Italie, sont arrivés trop de migrants (vivants), qu’il y avait des “taxi de la mer”, que ces taxis étaient les navires des ONG humanitaires, y compris les “bonnes” qui ont signé le code de conduite imposé par le ministre Minniti. Oui, il est certain, les gens de Juventa ont protesté contre el Commandement central de la Garde côte italienne, surtout après le refus d’assistance en mer, et après l’indication d’un port trop lointain ou un retard dans le transfert des migrants de leur bateau à ceux des militaires italiens. Mais certes rien qui puisse relever d’une quelconque responsabilité pénale. Le délit d’aide aux migrants n’est pas un crime de concours externe à une association mafieuse. Mais les tribunaux qui jugent sur la base de témoignages d’agents infiltrés par les services secrets apparaît beaucoup plus grave. Et voilà donc le lynchage médiatique et le consensus aux accords avec la Garde côte libyenne (qui ne garantit pas la vie des migrants).

Les médias embedded exaltent les «bonnes» ONG (qui ont signé le code de conduite proposé par le ministère de l’intérieur italien et soutenu par l’UE –même si en manque de bases légales), de l’autre coté on condamne les ONG “désobéissantes” alors que ne font que avoir comme premier devoir la sauvegarde de la vie humaine en mer plutôt que la soi disant défense des frontières (contre qui ?) et la destruction des bateaux des trafiquants ; cette tache ne concerne que les militaires et pas ceux qui ont la missions de sauver des vies humaines en plus dans des conditions de surcharge à cause de l’abandon des moyens de Frontex et de EUNAV for MED qui cette tache de destruction des bateaux des trafiquants auraient du accomplir comme principal objet de leur mission. Et comment prétendre que les ONG devraient aussi risquer des conflits à feux avec des trafiquants ? A noter que la faillite de la mission militaire EUNAV for MED est apurée par des études indiscutables. Une faillite qui, malgré les cours d’entrainement à bord des bateaux des pays européens, a fait devenir de plus en plus difficile distinguer en mer les navires des trafiquants de ceux de la Garde côte libyenne (qui souvent a poursuit les mêmes finalités de prédation des trafiquants).

Entretemps, l’entente italo-libyenne, très exaltée en Italie, ne semble pas se traduire en pratique : les navires militaires italiens ne bougent pas du port de Tripoli : le général Haftar, le deuxième homme fort de la Libye soutenu par l’Egypt., a menacé de les bombarder parce qu’ils violent la souveraineté libyenne et il semble bien que cette opinion soit plus ou moins partagée aussi par le nouveau médiateur de l’ONU, nommé après les faillites de Leon et de Kobler.

L’Italie a contribué à la déstabilisation de la Libye misant sur le blocage des départs et sur la fermeture des frontières méridionales avec le Niger, le Tchad et le Mali. A cela il faut ajouter qu’on ne sait pas bien s’il y a des liens entre les organisations des trafiquants et les milices armées qui assurent la sécurité des installation ENI dans la région, parce que en Libye qui contrôle le territoire contrôle ou soustraite toutes les activités rentables. L’Italie a toujours été en première ligne en Libye avec les hommes d’affaires (ENI et Finmeccanica, qui réunit les industries militaires, et maintes fois soupçonnée d’alimenter le commerce illicites d’armements). Maintenant M. Macron semble avoir établi une relation privilégiée avec le général Haftar à Tobrouk. Et de par cette aigue concurrence (économique et militaire), entre divers pays européens, en Libye la guerre semble désormais inévitable, à moins qu’on arrive à la destitution de Serraj.

A coté de tout cela il faut rappeler que l’aspect le plus déconcertant est de voir les pays européens s’acharner dans le prohibitionnisme des migrations, dans la criminalisation des ONG non embedded tout comme des solidaires à la frontière de Ventimille-Roja alors que ces mêmes pays n’ont pas hésité à continuer à alimenter les guerres permanentes qui produisent émigrations désespérées ainsi que les désastres économiques due aux actions des multinationales des pays UE. Il suffit de voir qui vend les armements aux Emirats et à des intermédiaires assez suspects de combines avec les mafias jusqu’à faire des affaires avec Daech. Et il suffit de rappeler l’affaire des connexions satellitaires vendues à l’Isis en Turquie par des agents de multinationales européens. Alors ce sont les ONG qui cherchent à sauver des vies de gens qui fuient les guerres et les conséquences des désastres provoqués par les multinationales des pays dominants à commettre un crime ?

On est en face à un risque de la vie des migrants et de la paix en Méditerranée. Il y a un risque de bafouement des valeurs qui fondent de l’Etat de droit démocratique et donc des droits fondamentaux de tous les êtres humains. Il faut relancer la construction des capacités de résistance, à tous les niveaux (local, nationale et international) ; il faut combattre tous les jours, sans division ou protagonisme. “Restons humains”, disait Vittorio Arrigoni, mort en Palestine.

[1] Voir https://blogs.mediapart.fr/salvatore-palidda/blog/110717/le-triomphe-du-prohibitionnisme-fasciste-et-raciste-des-migrations-en-europe

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