salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

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Billet de blog 15 septembre 2023

salvatore palidda

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Le virage à droite de l’Europe et le retour en force du néocolonialisme

L’Europe vire à droite. En Europe, la poussée de l’extrême droite en Europe est évidente. Celle-ci s'emploie à défendre le néocolonialisme et ses privilèges. Un fascisme de régime « démocratique » s’impose partout. Nul besoin de coup de force comme dans les années vingt et trente. Et en face, presque pas de résistance. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La poussée à droite en Europe est évidente, et cela malgré jusqu’à maintenant les droites n’ont gagné qu’avec entre 27 et 30% des électeurs inscrits, merci à un fort abstentionnisme un peu partout supposé être le fait de gens qui auparavant votaient à gauche.

Dans les médias, il est devenu habituel écrire qu’il y aurait eu un « changement anthropologique ». En réalité, il est certain que depuis le début des années 1970, la « contre-révolution du capitalisme néo-libéral » a bouleversé en profondeur toutes les sociétés. Ce fut la fin de la société industrielle connue pendant deux siècles, la fin des grandes structures de production, du prolétariat des usines qui influençaient un peu toute la population et faisait peur aux dominants.

Dès lors, la destructuration économique, sociale, culturelle et politique a été dévastatrice. Ainsi, on a eu la prolifération de la segmentation hétérogène et instable de toute sorte d’activités et donc l’individualisation des positions du travail, la diffusion de la sous-traitance, du précariat, du travail au noir dans les économies souterraines. Celle-ci sont de plus en plus répandues - en Italie 32% du PNB - et fortement soutenues par les droites, car leur électorat le demande ; celui-ci comprend tout d’abord les fraudeurs du fisc et des contributions sociales du fait de leur pratique habituelle de l’hyper-exploitation des travailleurs au demi-noir ou au noir total ; pour cela, ils réclament aussi la tolérance de tous leurs illégalismes, donc des forces de police à leur service, et même zélées contre les travaillent qui se rebellent à cette situation.

La gigantesque mobilisation qu’on a vu en France contre la réforme des retraites a été battue par le virage à droite du régime Macron-Darmanin. Mais, dans aucun autre pays, on n' a eu une pareille mobilisation, même si les résistances sont partout répandues, et n’arrêtent pas de se reproduire (ne fût-ce que parce qu’il s’agit toujours de questions de survie). Il n'y a qu'en Espagne que les droites n'ont pas gagné, mais d'un poil.

Les électeurs des droites et de l’ex-gauche (en Italie et un peu ailleurs) semblent s’attacher fort à la défense du néocolonialisme et des privilèges qu’il élargit ou promet de donner. C’est là la source de l’hyperexploitation brutale aujourd’hui répandue et donc la racine de la haine contre les migrants, violemment infériorisés. Voilà alors que le fascisme “démocratique” s’impose partout (“démocratique” parce qu’il prétend être légitimement élu). Et voilà la racine du néo-racisme, du sexisme et de la brutale hyper-exploitation des plus vulnérables. Nul besoin de coup de force comme dans les années vingt et trente (avec le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne, la dictature autarchique de Franco en Espagne etc.), et en face, une absence de résistance, car la majorité des travailleurs n'ont pas les conditions favorables à la dynamique collective qui peut mener à résister. On a tout de même assisté à des émeutes des « damnés du néolibéralisme-néocolonial ».

On peut dire que l’Europe retrouve en quelque sorte sa nature de 1957 marquée par la Françafrique, qui devient Eurafrique (voir l’excellente recension du livre de Peo Hansen et Stefan Jonsson par Ludovic Lamant). Cette tendance se nourrit d’une gestion des affaires européens que la Commission de Bruxelles qui ne manque pas d'être asservie aux 1250 lobbies, et de fait à la corruption. En même temps, on peut constater une banalisation effrontée de l’extrême droite à l’échelle européenne, et dans tous les pays y compris la France (voir Mathieu Dejean). Au mépris total de la rhétorique européenne des droits humains, Frontex persévère dans ses pratiques criminelles et les migrants morts en Méditerranée et dans la Manche n’arrêtent pas d’augmenter.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que l'on soit  passés de M. Jean-Claude Juncker (voir investigations de ICIJ dites de Lux-leaks) à Mme Ursula Von der Leyen, les deux assez mêlés à des sales affaires et liés aux lobbies (entre autres faits louches : en 2015 - alors ministre de la défense - celle-ci a été impliquée dans le scandale de l'achat de 138 hélicoptères de guerre; en 2019 elle a promu la politique allemande des exportations d’armements en Arabie Saoudite et Turquie.  

En vue des élections européennes de 2024, celle-ci a donné des gages à la droite et promet bien plus qu’une pause dans l’agenda vert de l’UE pour “mieux protéger l’industrie” ; elle a défendu aussi l’ignoble accord avec la Tunisie. Tout laisse penser qu’elle vise de se placer comme leader d’une Europe nettement virée à droite, très zélée au service de la lobby militaire (tout comme par ailleurs M. Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne).

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