Le scalp, mot d'origine scandinave, consiste à faire une incision circulaire autour du crane afin d'en arracher une partie. Il est généralement connu comme une pratique adoptée par les Amérindiens, mais il existe une autre histoire qui le reconnaît comme appartenant aux colons français et anglais qui ont extrait un "prix" pour chaque autochtone tué en ramassant des scalps. Le jeu du mouchoir semble partir de là: tout le monde s'éparpille sur le terrain de jeu et au «go!» chacun essaie de voler le mouchoir ou le "scalp" des autres.
On ne peut attraper que le scalp: on est disqualifié si on pousse, ou prend ou tient le scalp avec votre main.
Le gagnant est celui qui, dans le temps imparti, a pris le plus de scalps.
Nous commençons ainsi ce témoignage de quelques jours passés à Vintimille car c'est ce que nos yeux voient quand un jeune migrant maghrébin nous montre la blessure à la tête causée par les violences reçues en juillet par la police française. Le médecin inscrira sur le rapport: «traumatisme avec cuir chevelu partiel à la tête». L'homme nous raconte que la police française avait remédié à la coupure en agrafant la plaie avec une agrafeuse et nous montre une blessure au tendon extenseur du troisième doigt - qu'on appelle en médecine «bec de flûte» - de la main droite. Également causé par la violence policière. Il sera blessé à vie, nous dira le médecin, mais il a besoin d'un rendez-vous spécialisé dans les cliniques de chirurgie de la main situées à Savone et à Gênes en Ligurie.
Ainsi commence notre voyage dans le cercle de santé dantesque dans la province d'Imperia, ainsi commence notre déplacement parmi les scalps.
La première étape consiste à demander le code STP («étranger temporairement présent») qui permet aux personnes sans titre de séjour d'obtenir tous les soins urgents et/ou indispensables, ne pouvant avoir de médecin de famille.
Selon les directives d'A.Li.sa (Azienda Sanitaria Ligure): "Le code STP peut être délivré par ce type d’institution, par les Hôpitaux et par l'IRCCS, a une validité nationale et a une durée de six mois renouvelable". Sur cette base, nous nous rendons à l'hôpital de Bordighera, précisément au "Centre de réservation pour visites médicales" avec la demande d'une visite urgente ou essentielle dans une clinique de chirurgie de la main sur un livre de recettes au nom de l'AAICA (Association internationale de la ville ouverte - Associazione Ambulatorio Internazionale Città Aperta) établi et signé par un médecin.
L'employé nous informe qu'il ne délivre pas le code STP et que le lieu désigné pour cette fonction est situé dans le district sanitaire de Vintimille "Villa Olga", à 3 km de l'hôpital. Nous repartons, nous retournons à Vintimille, arrivés à la Villa Olga nous recevons un nouveau démenti: le code STP n'est donné qu'aux personnes non en règle qui "ont l'intention" de faire la vaccination pour le Covid 19 et aux personnes d'origine ukrainienne.
Après quelques coups de téléphone au bureau des relations publiques et au chef du ministère des Affaires étrangères, le directeur du district de Vintimille se révèle en déclarant de manière inattendue que "c'est la pratique en Ligurie". Après lui avoir précisé que cette affirmation est fausse comme l'indique A.Li.sa, tant et si bien qu'à Gênes le STP est accordé par tous les districts sanitaires même s'il est accompagné d'une demande rédigée et signée par un médecin, le directeur informe que pour l'ASL1 le seul endroit désigné est la salle d'urgence, et qui pour le district de Vintimille est représenté par la salle d'urgence de l'hôpital Bordighera. Le même dont nous avons été rejetés pour aller à la Villa Olga.
Le directeur essaie, évidemment sans succès, d'avoir une description physique de la personne qui prétend avoir donné des informations erronées afin d'avoir un bouc émissaire à blâmer.
Nous retournons à l'hôpital de Bordighera, puis aux urgences, où une infirmière gentille mais un peu agacée par la mauvaise communication/organisation nous fournit le STP: se rendre aux urgences pour faire le STP, un acte administratif, c'est engorger un lieu dédié aux urgences.
Reste le problème de la demande de visite.
Dans les districts sanitaires de l'ASL génoise 3, il existe des prescripteurs qui, évaluant et rapportant directement sur la demande régionale le nom du médecin qui envoie le patient, fournissent l'ordonnance régionale. A l’ASL1, cette possibilité n'existe pas: le patient doit obligatoirement être évalué par le médecin urgentiste pour convertir l'ordonnance régionale.
Cette situation est inacceptable.
En premier lieu, pour la personne nécessitant des soins (condition clairement prévue par la charte constitutionnelle italienne tant déclamée et louée et réglementée par des indications régionales): si le jeune avait été seul entre les barrières linguistiques et bureaucratiques, rencontrant un personnel fatigué, peu informé et irrité, devant se déplacer sur 9 km, il aurait probablement renoncé et son état de santé aurait empiré.
Deuxièmement, cette procédure est extrêmement nocive pour les citoyens de la zone: la pratique selon laquelle ces procédures, largement bureaucratiques, relèvent de la responsabilité des urgences, du personnel médical des urgences et non de l'administratif revient à engorger le système de l’hôpital déjà mal nourri.
Nous ajoutons un autre épisode pour souligner la destruction progressive du système de santé, notamment territorial, qui mise sur la privatisation et des projets coûteux et pharaoniques et laisse les gens, malades, à la merci du chaos et du hasard.
Toujours dans la salle d'urgence de l'hôpital de Bordighera, nous rencontrons une femme enceinte au septième mois. Avec la même procédure absurde, elle a obtenu le STP, mais pour faire un examen obstétrique/gynécologique avec échographie, elle a été envoyée en ambulance à l'hôpital d'Imperia car il n'y a pas de tel service localement, avec des coûts et des inconvénients compréhensibles.
Nous nous demandons dans quelle mesure l'anesthésie générale parvient à garantir que les citoyens de Vintimille et de Bordighera ne demandent pas au district sanitaire, à l'ASL1, à A.Li.sa (compagnie de santé ligurienne) et au conseiller de rendre compte de cette situation c.-à-d. M. Toti, qui entre autres est également président de la région de Ligurie.
Les autorités de l'État, les polices italienne, française et des frontières jouent le "scalp" à leur manière : chacun se disperse sur le terrain de jeu et, au "go!", chacun essaie de voler le mouchoir ou le "scalp" de l’autre.
Le gagnant est celui qui, dans le temps imparti, a pris le plus de scalps.
Les débarquements en Sicile continuent avec la violence des frontières et les morts de ceux qui essayent de les franchir; violence qui submergea les berges, laissant partout les traces de leur désolation.
Les histoires des survivants que nous rencontrons à Vintimille en direction du sens du "repoussoir" entre les voies de la gare, sous le pont de la Via Tenda, le long de la plage, à l'embouchure de la rivière Roja, sur la place devant le cimetière pendant la distribution de nourriture le soir, dans le parc adjacent de la municipalité de Vintimille, ils montrent des cuirs chevelus, des gales, des mycoses interdigitées des pieds, des abcès secondaires à la vie dans des conditions forcées de mauvaise hygiène, des maux de dents, des fièvres, des traumatismes dus à la violence fréquente de la police des frontières. Et en montrant, ils racontent des scénarios d'oppression et d'exploitation, de liens entre l'État et la mafia, entre la mafia et la police.
Un homme d'Afrique centrale nous raconte qu'il est arrivé en Italie en 2013, a demandé l'asile politique (rejeté) et s'est retrouvé à travailler au noir comme ouvrier/menuisier pour un entrepreneur sicilien, qui s'est avéré être une figure éminente de la mafia locale. Pendant qu'il raconte, autour de lui, les regards perdus et angoissés de sa compagne enceinte et de leurs deux enfants bougent.
En juillet, après un manque de salaire persistant pour un total de 4.000 euros, et après des demandes répétées non satisfaites, l'homme décide de chercher un nouvel emploi, toujours exploité, toujours irrégulier, toujours en Sicile, toujours dans le même pays pour garantir aux filles d'aller à l'école et de ne les pas déraciner. Mais l'ancien employeur ne l'accepte pas, le menace, met le feu à la maison avec sa femme et ses filles qui sont sauvées par les voisins. Il le menace d'un pistolet sur la tête en déclarant qu'il ne peut travailler pour personne d'autre, sous peine de mort. L'entrepreneur mafieux serait assigné à résidence mais évidemment il contrôle le territoire.
L'immigré a tout signalé à la police, à la fois l'incendie criminel et les menaces armées, mais aucune mesure n'a été prise autre que de lui conseiller de s'enfuir. Ce qu'il a fait avant tout pour protéger la famille. Sa dignité demeure, le désir d'obtenir «justice» qui se heurte à l'indolence, à la superficialité sinon à la connivence des autorités. Ce qui reste est le regard traumatisé de sa femme enceinte qui ne dit plus un mot, regarde ses enfants, elle est perdue, elle a peur...
La deuxième histoire est racontée par un jeune maghrébin qui a également fui la Sicile après avoir découvert et tenté d'arrêter la traite des êtres humains.
Il nous parle des liens mafieux entre l'Afrique du Nord et l'Italie, notamment avec la Sicile ; comment ce trafic a augmenté de façon exponentielle pendant la pandémie et les obligations de quarantaine pour les débarquements. Il décrit le déplacement des personnes des navires «de la quarantaine sanitaire» directement vers les maisons/camps de concentration où la violence est prétendument perpétrée avec l'initiation de la traite, le travail forcé et la transplantation d'organes (cette dernière pratique, si monstrueuse est parfois attestée dans nombre d’enquêtes judiciaires et journalistiques).
On nous dit que cette situation concernerait de nombreux migrants d'horizons différents, mais en particulier les Tunisiens car ils sont davantage victimes de chantage que leur pays depuis 2019 est selon l'Italie un "pays d'origine sûr en matière de respect des droits"; cela détermine qu'ils sont les plus rejetés. Il parle des violences subies et des conseils (intimidation?) par la police de se taire et de s'éloigner de la Sicile.
S'agit-il des scalps que les autorités et la police des frontières exhibent en trophées ? C'est la vie qu'ils extorquent aux gens: des membres du corps brisés, des corps brûlés vifs, des femmes maltraitées, des vies emprisonnées, violées, mal nourries, malades.
Ce sont les histoires des survivants que nous rencontrons à Vintimille : parmi les restes de tous les transits; le long des rails d'une voie de fer où les plus jeunes ferment leurs yeux épuisés; en attendant un repas du soir avec vue sur le cimetière parmi des volées d'oiseaux fouillant parmi les restes des restes; dans les nuits d'une rivière à sec où les rats pullulent parmi les corps endormis qui ont à peine fait leur lit; parmi ceux qui ont déjà perdu le regard dans un monde qui n'est plus cela, semblable au fond d'une mer où sont déposées des photographies de disparus.
Ce sont eux qui nous demandent avec fermeté, courage et détermination de raconter leurs histoires.
source: Parole sul Confine (Ventimiglia), [20 Sept 2022)
https://parolesulconfine.com/ventimiglia-e-i-suoi-scalpi_parole_sul_confine/
(merci aux militantes médecins qui n'arrêtent pas d'aller à Vintimille)