Njeem Osama Elmasry, le chef de la police judiciaire libyenne, dit Almasri, arrêté dimanche sur mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale de La Haye était en prison à Turin. Mais l'arrestation n'a pas été validée par les autorités judiciaires et Almasri a été expulsé sur ordre du ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi. Mais voilà l’expulsion de luxe : par un vol d’un avion de l'État organisé par les services secrets italiens il a été ramené chez lui.
Le 18 janvier 2025, la Digos (police politique) de Turin avait capturé le Almasri, le bourreau de Mitiga, fugitif recherché par un mandat d'arrêt international. C’est l’un des dirigeants libyens qui ont commis des massacres, des tortures et des viols. Depuis samedi, le gouvernement italien a orchestré la libération de ce criminel de guerre accusé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale. Le gouvernement Meloni a étudié le plan et l'a ensuite mis en œuvre : pour éviter d'être remis au tribunal de La Haye, l’a libéré, puis l’a fait arriver comme un hôte digne de grand respect à Tripoli, via un vol d'État.
Les conséquences directes de cette situation sont énormes : le procès de La Haye, qui pourrait voir les actuels fugitifs libyens inculpés pour des crimes commis contre des hommes, des femmes et des enfants migrants, sans la « présence » des accusés, ne pourra même pas avoir lieu. L’action criminelle menée pour assurer l’évasion d’Almasri pourrait avoir définitivement compromis ses chances d’obtenir justice devant un tribunal. Loin d'être une erreur de procédure : pour mettre en œuvre le plan d'évasion, le gouvernement a violé l'article 86 du Traité de Rome, qui prévoit « l'obligation de pleine coopération des parties de l'État adhérent avec la Cour pénale internationale ».
Samedi matin, après avoir émis le mandat d'arrêt contre Almasri, un fonctionnaire du tribunal de La Haye, conformément à la procédure, a informé l'ambassade d'Italie aux Pays-Bas, que le bourreau de Mitiga, devenu depuis lors un homme recherché en vertu de la « « Notice rouge » d’Interpol, il s’apprêtait à entrer en Italie en voiture, depuis la France, après avoir loué le véhicule en Allemagne. A partir de ce moment, samedi matin, le gouvernement italien a été informé. Mais le ministre italien de la Justice, Nordio, a déclaré qu'il n'avait « pas été informé ». On sait déjà beaucoup de choses sur l'homme recherché, qui est visiblement surveillé par d'autres enquêteurs, sur mandat de La Haye : type de voiture, plaque d'immatriculation allemande, trois gardes du corps à la remorque. Mais - aussi étrange que cela puisse paraître - la Cour internationale délivre son mandat au dernier moment possible. Outre les besoins d'enquête, comme savoir qui il rencontre, quel genre d'affaires il a et tout le reste, il y a certainement aussi beaucoup de prudence à informer les autorités, et donc l'appareil, trop longtemps à l'avance, qui ont relations avec ces bandes criminelles libyennes des relations constantes et hautement collaboratives.
Samedi, le mandat a été émis, avant qu'Almasri ne franchisse la frontière italienne, et l'Italie en a été immédiatement informée.
La décision de procéder à l'arrestation à Turin, samedi en fin d'après-midi, découle probablement du fait que « quelqu'un », qui veut faire respecter la loi et traduire en justice un criminel dangereux, décide d'agir : les enquêteurs du Tribunal l'avaient déjà informé qu'Almasri avait loué la voiture en Allemagne et l'avait ensuite lancée à Rome Fiumicino. Mais ils décident d’accélérer les choses. Peut-être parce qu’ils avaient « senti » l’air devenu lourd dans les cercles gouvernementaux, peu enclins à « coopérer » à la capture ? Peut-être. On ne le sait pas encore, mais ce cas démontre que même l’imagination la plus fervente est souvent en retard sur la réalité.
Almasri arrêté, le parquet de Turin informe correctement le ministre. Alors le plan italien de courtoisie pour l'"ami libyen" est lancé. Des sources bien informées révèlent un directeur : le puissant sous-secrétaire en charge des services secrets, Mantovano. Le gouvernement dans la tourmente : que se passera-t-il si Almasri se retrouve devant le procureur Khaan ? Que pourrait-il révéler ? Qu'advient-il du pacte Italie-Libye contre les migrants ? Si un procès s’ouvre, il deviendrait en réalité un procès de Nuremberg, tant de ministres et de fonctionnaires sont impliqués dans l’horreur qui se déroule quotidiennement de l’autre côté de la Méditerranée, et en mer.
Le premier signe est le silence. Il faut arriver à dimanche quand un message des militants de Refugees in Libya est intercepté par les libyens qui parlent de la capture en Italie de leur chef de la police comme d'une "erreur scandaleuse".
Deux journalistes, Nello Scavo d'Avvenire (le quotidien de l’Eglise Catholique italienne) et de Sergio Scandurra de Radio Radicale, racontent l’affaire et révèlent la première confirmation téléphonique, balbutiante et embarrassée, du ministre italien des affaires étranger, Tajani : "En effet, nous sommes au courant". La nouvelle se répand en Italie. Piantedosi, Salvini, Meloni : tous silencieux. Tout le dimanche et le lundi se passent ainsi, avec une pléthore de fonctionnaires et de juristes au service du ministère de la Justice, cherchant un moyen de saper l'arrestation.
«Comment libérer» Almasri, allant bien outre le traité de Rome et le respect des droits de l’homme: c'est celui-ci l’objectif du gouvernement. Durant ces deux jours, le ministre de la Justice Nordio n’a jamais trouvé le temps de communiquer avec qui que ce soit. Interrogé lundi par la Cour d'appel de Rome, qui a reçu le jour même les documents de la Préfecture de Police de Turin, il n'a pas répondu. Cela permet au juge Flavio Monteleone et aux conseillers Francesco Neri et Aldo Morgigni de déclarer nulle et non avenue l'arrestation et d'ordonner la libération du tortionnaire.
Par coïncidence, à la demande de l'avocat d'Almasri, qui sait exactement pourquoi il exige la libération de son client : «vice de procédure».
Mais le plan ne s’arrête pas là. Le ministre de l'Intérieur, Piantedosi, entre en jeu, emanant l'expulsion du bourreau de Mitiga et de ses trois hommes de main. L’«exfiltration» de la personne recherchée hors d’Italie doit se produire rapidement, car un autre juge pourrait ordonner, peut-être sur la base d’une plainte déposée par une victime présente sur le territoire italien, la détention préventive de la personne recherchée.
Mardi matin, à 11h14, l'avion Dassault Falcon 900, immatriculé ICARG, appartenant à la « Compagnia Aeronautica Italiana », société de l'Etata Italien et des services secrets Aise et Aisi, décolle de l'aéroport romain Ciampino en direction de l'aéroport de Turin Caselle. Il atterrit dans la capitale piémontaise à 12h13. Personne ne sait encore rien. Nordio sort la célèbre note «J’évalue».
La stratégie est désormais claire : ne pas transmettre les documents de la Cour pénale internationale au procureur général près la cour d'appel de Rome, afin de faire accepter la demande de libération présentée par les avocats du général, invoquant des vices de procédure.
Almasri est emmené à l'aéroport de Caselle peu après 19 heures. A 19h51, le Falcon des services de renseignements décolle en direction de Tripoli, aéroport de Mitiga (là même où se trouve le camp de concentration en question). Il débarque à 21h50. A 22h00, le site officiel de la police judiciaire libyenne a publié des photos des miliciens en fête, portant en triomphe Almasri riant.
Le 23 Janvier le ministre Piantedosi répondant au Parlement aux interrigations, a eu le culot de dire que Almasri "a été expulsé parce que sujet dangereux" !!! Sans se rendre compte de dire aussi une énorme betise ... on jamais l'Etat expulse accompagnant l'expulsé chez lui avec grande courtoisie et avec un vol d'Etat !!!
Les autorités politiques italiennes ont abusé effrontément de leur pouvoir, ils ont réussi à laisser échapper un criminel, l’un des trafiquants les plus dangereux.
En effet, ce crime politique est la confirmation du choix des autorités politiques italiennes de ne pas lâcher la guerre aux migrations et donc l’entente avec les bourreaux libyens. Une entente qui date depuis longtemps, notamment à l’époque de l’alors ministre de l’ex-gauche, Minniti (voir Carine Fouteau). En meme temps on a la confirmation du choix de perpétuer les trafics italo-libyens concernant le pétrole et les armements en échange de la protection des sites italiens d’affinage pétrolier en Libye. Voilà la performance du gouvernement du fascisme « démocratique » italien qui certainement sera bien appréciée par son ami Trump.
Dans son reportage publié (avec vidéo) dans le Corriere della sera, Lorenzo Cremonesi fait parler le maire de Sabratha ainsi que des migrants enfermés dans les centres de rétention libyens et publie des documents et autres témoignages. Ce maire affirme : « C’est ça la Libye: la seule manière d’aborder la situation, c’est de donner beaucoup d’argent aux trafiquants pour les intégrer dans les rangs de l’Etat libyen comme forces légitimes ». Le gouvernent italien, en accord avec celui de la Libye (2017), a donné plus de 10 millions de dollars au chef des trafiquants, Ahmed Dabbashi, et à son frère, deux criminels bien connus pour la force militaire de leur bande, la «milice 48». Ainsi, cette milice, bande de trafiquants, contrebandiers et mercenaires, est devenue une sorte d’unité de l’Etat libyen qui assure la surveillance armée de la côte, arrête les migrants et les enferme dans des centres de rétention.
Dabbashi aurait rencontré des officiers des services secrets italiens dans l’hôtel Gammarth de Tunis. Selon les témoignages de quelques migrants et la présidente de Médecins sans Frontières, Joanne Liu (voir ici la vidéo de sa conférence de presse et la lettre qu'elle a adressée aux autorités européennes), et même selon la commissaire européenne Cecilia Malmström qui ouvertement soutient MSF, les migrants arrêtés par cette milice sont à la merci de vols, violences, esclavage, viols et tortures. « Migrants et réfugiés sont entassés dans des pièces sombres et sales, sans ventilation. Ils vivent les uns sur les autres et défèquent sur le sol nu. Par petits groupes, ils sont forcés de courir nus dans la cour jusqu'à tomber d’épuisement. Les geôliers violent les femmes avant d’exiger qu’elles contactent leurs familles, implorant qu’on leur envoie de l'argent pour qu’elles puissent s’extraire de ce cauchemar. » La diminution des arrivées de migrants et réfugiés a été vantée par Marco Minniti et d’autres comme un « succès dans la lutte pour sauver la vie des migrants et supprimer les réseaux de passeurs ».
Mais comme l’a dit le président d’Emergency, l’une des grandes ONG de médecins contre les guerres, Minniti est un “sbirro”, un flic ; et on pourrait ajouter que, à l’instar des méthodes de nombre de flics et agents des services secrets, sa solution ne soit pas nouvelle : rappelons que la première reine Elisabeth d’Angleterre incorpora les pirates dans sa marine militaire afin de conquérir le sea power (la suprématie sur mer) et s’affirmer comme la première puissance coloniale. Marco Minniti est désormais connu comme celui qui veut sauver la gauche en « ne laissant pas le fascisme aux fascistes » (regarder sa caricature efficace par l’humoriste Crozza), ce qui pour lui est synonyme de « la sécurité est de gauche » (on se souviendra de Valls).
Voilà donc que, après la grande preuve de mépris des droits de l’homme consistant à payer Erdogan pour garder et esclavagiser les réfugiés fuyant la guerre, l’Union européenne passe directement au soutien aux plus louches affaires, destinant ainsi les migrants à un sort qui n’est pas loin de celui réservé aux juifs par le nazisme.
Par ailleurs, cet arrêt des arrivées de migrants et refugiés ne sera que temporaire. Partout en Afrique et ailleurs, on est au courant de l’enfer libyen et dès lors les migrants n’arrivent plus en Libye et cherchent bien d’autres chemins. Il faudra pas s’étonner si quelques jeunes qui arrivent à survivre à ce que l’Europe réserve aux migrants et réfugiés auront la tentation suicidaire de passer à l’acte terroriste.