L’Italie ne cesse de surprendre. Après des résultats électoraux différents de ceux prévus par les sondages quinze jours auparavant, voilà maintenant une élection du président de la République assez déroutante. Le résultat final va contre tout espoir de rénovation, non seulement parce qu’on a réélu le président sortant, âgé de 87 ans, qui avait déjà fait ses valises. Mais aussi parce qu’aucun parti n’a pu faire élire un homme en mesure de promouvoir un gouvernement de changement véritable. Ainsi, en dernier recours, s’est imposé le vieux président voulu par le Parti démocrate (PD), Berlusconi et Monti… une «grande coalition» – non pas à l’allemande car incluant Berlusconi, la Ligue Nord et les fascistes … il faut le faire !
Bref, le PD a dû voter contre le candidat préféré par sa base, et par tous les démocrates du pays –et probablement par la majorité de la population. De plus, l’épilogue (pour le moment) est que le parti sorti premier des élections (même si ce fut de justesse, en coalition avec SEL, un tout petit parti de gauche), c’est-à-dire le PD, a éclaté en morceaux. Enfin, la gauche italienne semble destinée à la déroute la plus misérable par l’affrontement entre plusieurs composantes. Essayons d’expliquer ce résultat et à qui en revient le mérite.
1) Si le PD s’est défait, ce n'est pas, comme disent nombre d’idiots journalistes mainstream, parce qu’il n’a pas su ou pas pu fusionner ses « deux âmes», les anciens démocrates chrétiens (DC) et les anciens communistes, mais parce que l'ancienne nomenklatura stalinienne et affairiste (ex bureaucrates «communistes») et les anciens DC n’ont rien voulu lâcher !!! Bersani (le chef du PD qui a démissionné ainsi que toute la direction du parti après l’échec) a cru pouvoir rénover; mais il a été impitoyablement broyé par les vieux dinosaures de la nomenklatura du parti, parce qu'il lui manque l’habileté négociatrice du passé pour des coalitions devenues impossibles! La vielle Démocratie Chrétienne pouvait faire tenir ensemble tout et le contraire de tout grâce au système électoral proportionnel, au choix direct des candidats et aux ressources à partager! Que peut promettre et partager Bersani? Rien ! Et encore moins sans le soutien des hommes d'affaires de la nomenklatura stalinienne et ex-DC.
2) Pour l’élection du président de la République, le PD aurait été en mesure de fournir au moins 350 voix de ses parlementaires (sans compter donc les voix contrôlées par la nomenklatura) qui, avec celles des élus du «Mouvement 5 Etoiles» (Grillo), auraient pu fait élire Stefano Rodotà (80 ans, mais il fait jeune et surtout il est une personnalité en dehors des pouvoirs et depuis très longtemps garant des droits fondamentaux, de la res publica, de la transparence dans tous les domaine … il a été président de la CNIL italienne et même l’un des auteurs de la partie plus démocratique de la Charte européenne).
Mais une telle élection aurait été l'abdication totale de la puissance des deux nomenklaturas! Dans l'histoire de l'humanité, personne n'a abandonné le pouvoir de cette manière. Par ailleurs, les jeunes du PD ne sont pas en mesure de rompre avec les vieux et de garantir 350 voix! Rodotà aurait pu être un bon président, probablement il aurait pu promouvoir un gouvernement de très courte durée pour faire passer du moins les huit lois hyper urgentes ... mais les puissances financières ne voulaient pas de lui, même pas mort! Il suffit d’imaginer en Italie le vote d’un salaire minimum, une véritable défense de la res publica, le contrôle des lobbies, la fin des missions militaires à l’étranger, le stop aux dépense militaires, l’abrogation de toutes les lois qui ont favorisé non seulement Berlusconi mais aussi tous les innombrables personnages aux divers postes du pouvoir, qui bafouent l’intérêt public et augmentent même leurs énormes revenus dans cette période où d’autres se suicident à cause de la crise. Jamais les gens de pouvoir de la droite et de la « gauche » n’auraient permis cela!
3) Le premier grand artisan de tout ce qui s’est passé depuis la fin du gouvernement Berlusconi (en décembre 2011) est le président Napolitano, cet ex-communiste de droite très sensible aux attentes des pouvoirs financiers internationaux et nationaux. Il aurait pu autoriser la tenue des élections à ce moment là ; au contraire, épaulé par les menaces des pouvoirs internationaux, il a imposé le gouvernement Monti, qui s’est révélé une catastrophe presque à tout point de vue et surtout pour la majorité de la population (sauf pour rassurer les tenants du jeu du rating, de la spéculation financière et des banques).
4) Sans tomber dans les théories du complot, il apparaît assez clair que, dans les faits, du début à la fin, Grillo a favorisé la liquidation du PD et donc fait le jeu du président Napolitano, de ses supporters et de Berlusconi, qui maintenant apparaît sauvé et revenu en grande forme ! Maintenant, Grillo cherche à profiter de la crise profonde du PD et surtout de la fracture avec sa base (pour l'instant seulement avec des paroles à faible coût) en disant qu'il voulait sauver la gauche (il espère ainsi récupérer les électeurs désespérés du PD restés "sans famille ni paroisse")
5) Les nouveaux médias (twitter, facebook, etc) ont certainement un impact très important ... si bien que le «berger du troupeau d'internet» (Grillo) et son gourou (le manager de son site, qui lui fait gagner beaucoup) ont réussi à prendre 25% des voix aux dernières élections! Ces nouveaux moyens de communication ont fortement conditionné le jeu de l’élection du président de la République car tous les jeunes parlementaires (y compris la moitié du PD) sont certainement les plus sensibles à ces médias, mais aussi incapables de les maîtriser.
6) Il est désormais assez probable que le nouveau gouvernement sera loin de satisfaire les attentes de la majorité des électeurs qui ont voté PD et M5S. On va avoir un gouvernement qui certainement va remédier à quelques-unes des injustices les plus éclatantes, mais qui satisfera surtout les attentes de pouvoirs financiers et aussi des nomenklaturas de droite et de gauche et parmi celles-ci les Berlusconi et les grands commis d’Etat, en partie sous le coup d’enquêtes judiciaires.
7) L’unanimité devant la «menace de l'ordre républicain » qui s’est exprimée à la télévision le soir de l’élection du vieux-nouveau président, menace qui viendrait des supporters de Grillo ou de quiconque opposé aux parlementaires PD, est assez ignoble! Tout semble prêt pour passer à la criminalisation de la simple dissidence, classée comme anti-démocratique! Si quelqu'un gifle un notable historique, faudra-t-il l’envoyer en prison? En d'autres termes, la stratégie est claire: il doit y avoir aucune contestation! Il faut donc s'attendre à ce que tôt ou tard, les sous-fifres du pouvoir subissent des gifles sonores ; mais peut-être ils auront le temps de justifier la mort de quelques manifestants.
8) Ce pays, comme presque toute l’Europe et l'Occident, voire le monde entier, apparaît à droite! Qui sait si un jour, et quand, sait quand et si un jour il y aura une nouvelle construction d'une gauche ... Inutile de se faire des illusions ... du moins dans le court et moyen terme, les perspectives sont assez mauvaises.