L'impunité du personnel des forces de police italiennes responsable de crimes divers -même graves- est connue depuis longtemps. Depuis les brutalités et tortures lors du G8 de Gênes ont émergées de manière encore plus flagrante car même les condamnés par la Cour Suprême et la justice européenne -avant et après celà- ils ont obtenu des promotions de carrière au plus haut niveau et ils sont restés en service. Cela est le cas aussi de nombreux autres agents et dirigeants de la Police d'Etat, des carabiniers, de la Garde des Finances et des polices locales (nombre de ces cas sont recensés dans le livre 20 ans après les brutalités policières du G8 de Gênes, https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/20-ans-apres-les-brutalites-policieres-du-g8-de-genes/8626).
Le mécanisme garantissant l'impunité des agents des forces de police en Italie relève d'un ensemble de règles qui leur garantit presque toujours l'impunité, même pour des infractions graves. L'article 8 du décret présidentiel 737/1981 prévoyait la révocation automatique.[1] Mais, cet article a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 971 du 12 au 14 octobre 1988.[2] En pratique, le principe actuel est que la révocation d'un policier doit toujours être prononcée à l'issue d'une procédure disciplinaire instituée par le Conseil supérieur de discipline de chaque corps de police. Chaque corps de police italien dispose de son propre règlement disciplinaire et de son propre Conseil de discipline, qui fixe les sanctions applicables en cas de non-respect de ce règlement (voir notes ci-dessous). Ce Conseil de discipline est institué par le chef de chaque corps de police et, en pratique, il n'aboutit presque jamais à une révocation. L'indépendance des procédures disciplinaires vis-à-vis des procédures pénales parallèles est établie de longue date (arrêt 51/2014 de la Cour constitutionnelle[3]).Comme l'a également confirmé la séance plénière n° 1 du Conseil d'État du 29 janvier 2009[4], la suspension des procédures disciplinaires jusqu'à la conclusion de la procédure pénale n'intervient qu'à compter du renvoi du salarié devant le tribunal. Des dispositions de coordination (telles que les articles 653 et suivants du Code de procédure pénale) définissent les critères selon lesquels l'issue de la procédure pénale est considérée comme déterminante pour établir la responsabilité du salarié pour l'acte qui lui a valu une condamnation. Toutefois, le Conseil de discipline (article 16 du décret présidentiel n° 737/1981 susmentionné), organe compétent pour prononcer des sanctions autres que le blâme (et donc la suspension et le licenciement), dispose d'un large pouvoir discrétionnaire pour apprécier les dommages disciplinaires liés aux conclusions de la procédure pénale (ceci s'applique notamment au Conseil supérieur et au Conseil central de discipline).
C’est là qu'on a le jeu autour des normes d’application, bien connues des acteurs du secteur (juristes et syndicats de police) : le pouvoir discrétionnaire se mue ainsi en arbitraire absolu, et même des comportements identiques peuvent être évalués de manière extrêmement différente.
Le Conseil supérieur de discipline de la Police d’État[5] est institué chaque année par décret du ministre de l’Intérieur et se compose : du ministre ou, par délégation, du sous-secrétaire d’État (qui le convoque et le préside) ; du chef de la police, qui est également directeur général de la sécurité publique (ou de son directeur adjoint) ; et de deux officiers de la Police d’État de rang supérieur, désignés par les syndicats de police les plus représentatifs au niveau national. Les résolutions du Conseil sont adoptées à la majorité absolue de ses membres.
Le Conseil central de discipline institué par décret du chef de la police se compose de : a) du directeur central du personnel du département de la sécurité publique (ou, par délégation, du directeur d’un service au sein de la direction centrale, qui convoque et préside la séance) ; b) de deux officiers de la Police d’État de rang supérieur. c) Deux officiers de la Police d'État, de grade au moins équivalent à celui de l'accusé, désignés périodiquement par les syndicats de police les plus représentatifs au niveau national.
Le Conseil de discipline à l'échelle provinciale institué par décret du chef de la police se compose de: a) d'un chef de police adjoint exerçant des fonctions de suppléant, qui convoque et préside les séances ; b) de deux officiers de la Police d'État ; c) de deux membres de la Police d'État de grade supérieur à celui de l'accusé, désignés périodiquement par les syndicats de police les plus représentatifs au niveau provincial. Pour les autres forces de police, le règlement prévoit des procédures spécifiques, similaires à celles de la Police d'État, conférant systématiquement un pouvoir de décision aux responsables nationaux et locaux.
Dans les faits, les responsables de la police ont toujours cherché à éviter les sanctions sévères, fortement soutenus à cet égard par les syndicats et les représentants du personnel, et n'ont souvent infligé aucune sanction (depuis environ trente ans les syndicats de police sont de plus en plus de droite et davantage face à l'actuel gouvernement néofasciste ... fait exception -un peu- le Silp lié à l'opposition parlementaire).
Ce code disciplinaire des polices italiennes ne sera pas réformé encore moins par l'actuel gouvernement néofasciste en place qui est en train d'adopter des nouvelles garanties pour les personnels des polices y compris lorsqu'ils ont commis des flagrants délits.
Comme nous l'avons déjà montré dans de précédentes publications, aucune autorité institutionnelle ni force politique n'ose porter atteinte à l'autonomie, au libre arbitre et à l'impunité quasi totale dont jouissent les personnels de ces forces. Cela relève du pacte entre pouvoirs politique et hiérarchie des polices consistant à garantir à la fois le zèle de ces dernières dans la défense de ces pouvoirs en échange de leur autonomie et de leur impunité.
Cela concerne aussi l'engagement des forces de polices dans la défense des intérêts des dominants à l'échelle locale et nationale, c.-à-d. de leurs activités qui assez souvent provoquent l'hyper-exploitation, les crimes écologiques, bref les insécurités ignorées par les polices et les autorités publiques. Et c'est pour défendre ces crimes que les polices elles-mêmes finissent par y participer tout comme n'importe quel criminel qui impose avec la violence l'hyper-exploitation (d'Italiens et d'immigrés) dans l'univers des économies souterraines qui par ailleurs soustraient au fisc de l'État des entrées énormes (ces économies étant estimées à 35% du PNB).
Cependant, en Italie les forces de polices sont "sacrées", presque personne ose les critiquer au risque de passer par subversif. Presque tous les médias, ainsi que toutes les autorités sont toujours prêts à élargir louanges pour les polices et prêts à condamner qui ose les stigmatiser. Ainsi lorsque les autorités européennes des droits ont publié leur rapport sur l'Italie portant sur les discriminations racistes pratiquées en Italie par les polices, tous ces acteurs publics -gouvernement en tête ont protesté indignés pour défendre les polices (https://www.coe.int/it/web/portal/full-news/-/asset_publisher/y5xQt7QdunzT/content/id/276549333?_com_liferay_asset_publisher_web_portlet_AssetPublisherPortlet_INSTANCE_y5xQt7QdunzT_languageId=fr_FR#p_com_liferay_asset_publisher_web_portlet_AssetPublisherPortlet_INSTANCE_y5xQt7QdunzT).
De meme, à propos du rapport du GRECO -Groupe des Etats contre la corruption) sur l'Italie (https://eucrim.eu/news/greco-fifth-round-evaluation-report-on-italy/)
Tout cela est le résultat de la faillite de la Résistance entifasciste et antinazie qui, comme écrivait le père des juristes démocratiques italiens Piero Calamandrei finit par devenir désistance (jusqu'à la reintegration totale des fascistes dans tout l'appareil d'Etat et notamment dans les polices et la magistrature et l'expulsion de ces rangs de tous les Résistants qui avaient conquis des postes de préfets et dirigeants de la police). Ainsi, il fut rétabli le continuum de héritage militaire sur toutes les forces de polices, leur habituel recours à la violence et même aux tortures et la perpétuation de leur impunité.[6]
Notes
[1] Dans le secteur public italien, le « licenciement automatique » consiste en l’expulsion automatique d’un agent public suite à une condamnation pénale spécifique, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une autre procédure disciplinaire. Autrement dit, dans les cas prévus par la loi, une condamnation pénale entraîne automatiquement le licenciement de l’agent. Cependant, comme nous le démontrons dans cet article, cela ne s’applique pas aux policiers, précisément en raison du mécanisme qui garantit leur impunité.
[2] La Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnel le décret présidentiel n° 101 du 25 octobre 1981. 737 (Sanctions disciplinaires applicables au personnel de l'Administration de la sécurité publique et procédures connexes) : https://giurcost.org/decisioni/1988/0971s-88.html
[3] À cette époque, la Cour constitutionnelle était composée de certains des ministres les plus importants des gouvernements précédents, dont le président en exercice, Sergio Mattarella : https://www.cortecostituzionale.it/actionSchedaPronuncia.do?anno=2014&numero=51.
[4] https://siulp.it/procemento-disciplinare-leconomia-dellazione-penale-e-presupposto-ostativo-cons-stato-sent-nr-109-del-15-dicembre-2008/
[5] https://www.fsp-polizia.it/d-p-r-25-october-1981-n-737/ et https://www.interno.gov.it/sites/default/files/modulistica/codice_comportamento_dei_dipendenti_del_ministero_dellinterno.pdf
6) Voir Italian Security governance: A Critical Historical Sociology (à paraître avec Routledge)