salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

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Billet de blog 26 septembre 2022

salvatore palidda

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Italie, les résultats des élections : triomphe de la droite néofasciste

Une élection marquée par une forte abstention : Le néofasciste FDI-Meloni rafle le gros de l’électorat de Salvini et de Berlusconi pour une large majorité parlementaire des droites. Il est Probable que les droites auront du mal à gouverner, nous pourrions alors avoir une coalition droites et ex-gauche. Analyse des résultats.

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Senat majorité 101:

12.076.000 (44%) et 112 sénateurs pour la coalition des droites (Fratelli d’Italie-Meloni, Lega-Salvini, Forza Italia-Berlusconi); 7.122.000 (26%) 39 sénateurs pour la coalition du Parti Démocratique-Letta; 4.257.000 (16%) 28 sénateurs pour le Mouvement 5 Etoiles (M5S-Conte); 2.117.000 (7,7%) 9 sénateurs pour la coalition néo-libériste Calenda-Renzi

Chambre des députés majorité 201:

12.272.000 (43,8%) et 235 députés pour la coalition des droites

7.314.366 (26,2%) pour la coalition du PD 80 députés

4.316.000 (15,6%) pour le M5S 51 députés

2.178.000 (7,8%) pour Calenda-Renzi 21 députés

Aux élections de 2018 le parti néofasciste de M.me Meloni n’avait eu que 4,3% de votes. Personne n’aurait imaginé qu’en 2022 elle puisse arriver à être la leader d’un grand déferlement des droites vu son parcours, son bagage culturel et politique; mais elle a fini par être épaulée par des gens habiles (surtout mister Crosetto).

Ainsi son parti a raflé le gros de l’électorat de Salvini et de Berlusconi et il a même ramassé des votes de l’ex-gauche et de gauche !

Bref, Meloni est devenue le principal référent du vote du “ras le bol” de tous les déçus des autres partis. Cela a été rendu possible grâce au processus économique, social, culturel et politique qui depuis le début des années 1980 a changé le pays.

L’Italie est devenue la terre des économies souterraines (plus de 32% du PNB), environ 8 millions de travailleurs qui oscillent du précariat au travail au noir, sous le pouvoir violent de caporaux liés aux mafieux ; une fraude fiscale gigantesque... environ 10 millions d'électeurs (y compris de l’ex-gauche) qui votent pour ceux qui promettent de les protéger, voir les amnisties de l’évasion fiscale, de toute sorte d’illicites.

Voilà pourquoi au début des années 1990 Berlusconi avait gagné (il promettait “moins d’impôts pour tous, la fin de l’“harcèlement” judiciaire pour toute sorte d’activités économique). Et c’est cela qui a fait monter la Ligue de Bossi et ensuite de Salvini à premier parti du Nord du pays : ses fiefs sont précisément les terres des petits et moyens entrepreneurs qui surexploitent souvent au noir les immigrés, évadent le fisc, n’hésitent pas à faire recours au soutien des mafias.

Et les économies souterraines se sont répandues partout, même dans les régions auparavant dites rouges (Emilie-Romagna, Toscane, Marches etc.) Mais, pour les économistes et sociologues de gauche, ce développement de l’hybride entre légal et illégal - et même criminel dans toute sorte d’activités économiques (y compris dans les grandes firmes telles Fincantieri) - n’était que l’« informel » considéré même comme génial parce qu'il a fait pousser des « districts » très productifs, le Made in Italy, la « troisième Italie », que les autres pays ont fini par admirer et enfin imiter (dans tout le pays et même en France on a eu une forte augmentation des économies souterraines).

Depuis la mort de Berlinguer (1984) la gauche italienne (Parti Communiste, Pari Socialiste et CGIL -la CGT italienne) a glissé vers la conversion néo-libériste ; elle n’a jamais entamé la lutte contre la super-exploitation et pour un programme de remédiation / légalisation des économies souterraines !

Ainsi les travailleurs sont restés abandonnés sans protection et donc à la merci des caporaux et mafieux (au Nord et au Sud). Voilà pourquoi depuis les années 1980 une grande partie de l’électorat de gauche a fini par ne plus voter car effondré dans l’amertume, la déception, le dégout face à une ex-gauche qui flirtait avec la droite, le patronat, les hommes d’affaires, les banques et les multinationales.

Le Parti démocratique est devenu la nouvelle Démocratie Chrétienne perdant même la composante de gauche, le parti principal référent politique des lobbies militaire et des polices, de l’atlantisme les plus acharné, de l’européisme néolibéral le plus zélé.

Voilà donc pourquoi le pays a glissé à droite même si on pourrait dire qu’en réalité il y a un grand potentiel de gauche si la majorité des travailleurs pouvait arriver à trouver un référent politique crédible. Mais en Italie on n’a rien de comparable à ce qui est devenu la NUPES.

La situation va empirer pas seulement parce que on aura un gouvernement de Meloni, mais surtout parce que, comme l'a dit l’ancien gouverneur de la Banque d'Italie, Ignazio Visco, quiconque gouvernera le pays dans les  dix prochaines années devra respecter scrupuleusement les règles fixées par le PNRN, qui établit pour l'Italie 558 obligations et l'imposition de 23 réformes structurelles tous imprégnées de coupures  des dépenses publiques et de privatisations.

Il est certain que le gouvernement Meloni lancera un front contre les migrants, les LGBT et les luttes sociales, ainsi que des cadeaux pour les fraudeurs du fisc, les super-exploitants et l’abolition du revenu citoyen.

Comme l'a souligné tout de suite après les résultats Crosetto, le mentor et homme décisif du parti de Meloni, « il faudra l’entente avec Draghi ». Et de son côté Salvini a déclaré : « ce n’a pas été simple gouverner avec Draghi et le PD, mais je le referai ».

Bref, rien n’exclut que Meloni n’arrive pas à gouverner car son parti n’a pas le personnel capable de le faire, n’a pas les soutiens internationaux indispensables pour un pays qui n’a pas du tout de souveraineté et il est assujetti plus que jamais aux fortes pressions des USA, de la Commission européenne, de la finance mondiale. Alors rien n’exclut qu’on arrivera à une nouvelle sorte de grand compromis entre droites et ex-gauche avec le soutien de Draghi et la bénédiction de Mattarella et de toutes les puissances qui empiètent sur l’Italie.

Entretemps, on signale que tout de suite après les résultats, Letta, le secrétaire national du PD a annoncé qu’il ne va pas candidater à ce poste lors du prochain congrès du parti qui devra se repenser. L’échec de Letta est patent : il avait lancé de défi d’arriver à avoir plus de votes que le parti de Meloni mais il n’en a eu que 7% de moins et la coalition de gauche qu’il a constitué n’a atteint que 26% face à 44% pour les droites.

L’erreur disons fatal pour le PD de Letta a été de ne pas avoir réussi l’entente avec le nouveau M5S de Conte qui s’est carrément déplacé à gauche. Grace à cela le M5S,  qui était donné pour mort il y a deux mois, a récupéré de manière surprenante, ramassant nombre de vote d’électeurs jadis du PD et même de la gauche extrême.

C’est ce M5S de Conte qui maintenant figure comme le parti de gauche qui pourrait pousser le PD vers des orientations moins néo-libérales et moins atlantistes et militaristes. En revanche, comme prévu, l’Unione Popolare, qui se voulait la préfiguration de la NUPES italienne n’a obtenu même pas 1,5% de votes, un échec patent qui confirme le fait qu’on ne reconstituera jamais la gauche en Italie avec des résidus de la gauche des dernières 30 ans.

Signalons enfin que nombre de vieux parlementaires très longtemps réélus ont été battus; parmi ceux-ci il y a Di Maio, ministre des affaires étrangers qui avait quitté le M5S pour se candidater avec sa liste dans la coalition du PD.

à suivre: les manœuvres pour la formation du nouveau gouvernement

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