salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

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Billet de blog 29 août 2016

salvatore palidda

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Italie: pourquoi les populations sont toujours à la merci des séismes

La dérive des gouvernements néo-libéraux qui méprisent la mise en sécurité du territoire et la protection de la vie de la population est encore apparue avec le tremblement de terre survenu au centre de la péninsule le 24 août.

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Illustration 1
Funérailles dans la commune d'Ascoli Piceno, le 27 août 2016. © Reuters

Depuis longtemps, et une nouvelle fois après le tremblement de terre du 24 août 2016, géologues, géophysiciens et autres experts des sciences de la terre ont fourni des études détaillés montrant que les conséquences des catastrophes dites naturelles (regarder en vidéo 150 ans de séismes) seront toujours très graves si le parc immobilier n'est pas sécurisé, tout comme les cours d’eaux et l’équilibre écologique du territoire. Les recherches historiques de ces chercheurs montrent aussi que la situation est devenue de plus en plus dangereuse, surtout depuis les années 1960, années de la spéculation immobilière la plus déchaînée, de la dévastation du territoire par un bétonnage sauvage (par ailleurs avec peu de fer et de ciment) des Alpes jusqu’à la Sicile, c'est-à-dire dans l’une des aires les plus sismiques du monde euro-méditerranéen. Même le Guardian écrit que 18% des immeubles italiens ont été construit sans respecter les normes ou de manière totalement illicite; mais, ce pourcentage atteint 60% dans certaines zones (voir à ce propos le célèbre film de Francesco Rosi, Le mani sulla città, sorti en France en 1963 sous le titre Main basse sur la ville). Ce qui constitue l’une des composantes les plus importantes des économies souterraines qui en Italie dépassent 32% du PIB. Un univers d’illégalités qui soude la complicité entre une partie de la population et une bonne partie des dominants, et cela dans presque tous les domaines.

Et à chaque catastrophe, on assiste au même spectacle: d’un côté, nombre de médias voyeuristes en concurrence acharnée, de l’autre les autorités nationales et locales toutes émues et le début de la danse des promesses et des magouilles pour s’accaparer des fonds destinés aux secours et ensuite à la reconstruction. Qui se termine souvent par des nouvelles spéculations, par des scandales, sans que rien de sérieux ne soit fait pour la mise en sécurité des zones à risques. Ainsi, comme l'ont immédiatement souligné quelques experts, on n'a rien appris du tremblement de terre de l’Aquila (2009), ni des précédents. On peut dire la même chose à propos des inondations, des désastres sanitaires et/ou environnementaux venant d’industries hors contrôle (et cela depuis Seveso en 1976 jusqu’à Tarente, en passant par Casale Monferrato où l’on meurt encore des maladies dues à l'amiante et Syracuse où naissent nombre d’enfants malformés à cause de la pollution venant de l’industrie du pétrole et la chimie, ce qui est fréquent aussi dans d’autres sites). Surtout, depuis les années 1950, on connaît une augmentation de la diffusion des cancers provoqués par les activités productives toxiques, par le refoulement criminel des déchets et par les sites militaires contaminés par l’uranium appauvri et les armes nucléaires obsolètes que ni les Etats-Unis ni l’Italie veulent se charger d’éliminer.

Le tournant néo-libéral particulièrement poussé en Italie et les choix de politiques économiques de soi disant sortie de crise ont, de fait,  presque totalement écarté le devoir d’assainissement, voire de mise en sécurité et de développement de la prévention. Berlusconi n’avait pas hésité à favoriser les plus ignobles spéculateurs-chacals qui se félicitaient entre eux, par téléphone, de la «belle occasion» que leur offrait le tremblement de terre de L’Aquila. Et, depuis qu’il est au pouvoir, Renzi n’a rien fait pour programmer un travail d’assainissement, de mise en sécurité et de prévention, alors qu’un tel programme aurait pu relancer l’économie, la création d’emplois et une donner une assise plus solide et plus sûre à l'avenir du pays. Mais Renzi, comme dans les autres pays, a suivi les choix voulus par la Troïka qui a mis la Grèce sous une autorité arbitraire la jetant dans l’abîme. Ces choix ont été couverts par la légitimation d’une gouvernance de la sécurité qui n’arrête pas d’agiter la terreur pour l’horrible terrorisme alors qu’on sait très bien que si celui existe, c’est parce qu’il peut recevoir armements, moyens et connexions satellitaires produits et vendus par toutes les principales puissances mondiales dont la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne.

Ainsi, le discours dominant sur la sécurité qu’on connaît depuis 1990, et surtout depuis 2001, est devenu de plus en plus une puissante «distraction de masse» légitimant la destination de l’argent public au bénéfice des banques et des dépenses militaires-policières (1). En revanche, la mise en sécurité du territoire et l’assainissement des situations à risque de désastres sanitaires-environnementaux, bref la protection de la vie même de la population ont été ignorés. Et comme par hasard, la majorité des presque 13 millions de morts par cancer chaque année dans le monde, tout comme la majorité des morts pour asbestose et à la suite des soit-disant catastrophes naturelles, et encore celles des noyés en Méditerranée, est composée toujours par la population plus pauvre.


Afin de tenter de résister et réagir à cette situation accablante, à la suite de plusieurs années de recherches, un certain nombre de chercheurs de différents champs des sciences humaines, politiques et sociales, et des professionnels des divers agences de prévention et contrôle vont se réunir dans un colloque à Gênes du 28 au 30 septembre prochain (dans les semaines qui viennent, on publiera sur Médiapart la présentation de ce colloque).

(1) Sur ces aspects voir Governance of Security and Ignored Insecurities in Contemporary Europe, Routledge, 2016 (ici extrait: https://www.routledge.com/products/9781472472625)

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