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Billet de blog 20 décembre 2024

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Houille, même pas peur !

Depuis plusieurs années, je m'attelle à l'écriture d'un livre, intime, qui me bouscule. C'est une histoire que je partage avec de nombreux enfants de mineurs. Je me questionne sur cet héritage, son impact dans nos destinées et comment cette mémoire collective pourrait être un levier vers une transition énergétique respectueuse.

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Réflexions d'une fille de mineur sur l'héritage du charbon.

Depuis plusieurs années, je suis sur l'écriture d'un livre Houille, même pas peur qui s’appuie sur mon histoire de fille de mineur à Saint-Étienne (Loire). Ce charbon, que mon père a extrait toute sa vie, m’a façonnée, tout comme il a façonné des générations de travailleurs dans des conditions souvent extrêmes.

Je ne suis pas spécialiste de l’industrie minière ni des enjeux environnementaux, aussi, c'est sous le prisme de mon histoire que je me permets de partager quelques réflexions personnelles sur l'héritage du charbon, et ce que je saisis de son impact, tant social qu’environnemental.

Mon père, immigré algérien, a passé sa vie à creuser les fronts de taille des mines de France. D'abord à Saint-Étienne (Loire), puis à Blanzy (Saône-et-Loire) après la fermeture du puits Couriot en 1983. Il en a mangé "du charbon de la misère" et les cicatrices sur son corps témoignent du dur métier des mineurs de fond, de ceux qu'on appelait les "gueules noires".

Plus de vingt ans après la fermeture du dernier puits de charbon de France (Creutzwald), le charbon, symbole d’industrialisation et de progrès à une époque, est sans conteste l’un des principaux responsables du réchauffement climatique. Et pourtant, malgré la prise de conscience mondiale, certains pays comme la Chine continuent de jouer une carte risquée avec cette ressource.

La Chine produit 4,7 milliards de tonnes de charbon en 2023

On ne compte plus les effondrements ou glissements de terrains qui servent de linceul à une main-d'œuvre qui dépend de l'activité minière. Plus de 1,5 million de personnes travaillent dans les mines chinoises et vivent sous la menace constante des accidents, comme ce fut le cas en 2023 ou 48 mineurs ont perdu la vie sur un site d'extraction.

La Chine est la plus grande productrice et consommatrice de charbon au monde. En 2023, elle a extrait plus de 4,7 milliards de tonnes de charbon, soit près de la moitié de la production mondiale. Si le pays affirme investir dans les énergies renouvelables, sa dépendance au charbon reste colossale, et risque de compromettre ses engagements climatiques.

En Chine, comme dans de nombreuses régions du monde, l'exploitation du charbon reste un pilier de la croissance économique, souvent au détriment de la santé des populations et de l'environnement.

La houille pour horizon ?

Comme beaucoup de familles de mineurs, la mienne a vécu avec les cicatrices visibles du charbon. Mon père, à force de respirer cette poussière noire, a développé des problèmes respiratoires, la silicose. À l’époque, ce travail représentait pour lui une forme de sécurité dans une société où les alternatives pour les immigrés des anciennes colonies françaises étaient peu nombreuses. Les mines offraient des emplois, même si, en retour, elles imposaient des sacrifices énormes.

Avec la fermeture des dernières mines, les régions minières de France comme celles de la Loire ou la Lorraine, fragiles économiquement, ont dû se réinventer, souvent avec beaucoup de difficultés. La transition a été dure, les reconversions professionnelles lentes et le taux de chômage élevé. Pourtant, il semble de plus en plus évident que ce modèle, fondé sur l’exploitation de ressources polluantes et épuisables, n’est plus viable ni pour les travailleurs ni pour la planète.

Arrivée, il y a deux ans au Canada, j'ai été très surprise de savoir que ce vaste pays vert, perdure dans l’exploitation des ressources naturelles, y compris celle du charbon. Je comprends que les communautés des Premières Nations ont souffert de voir leurs terres ancestrales envahies par les activités minières. Et que de nombreuses communautés ont été déplacées, bouleversant leurs modes de vie, confrontées à des conditions de vie précaires, à un accès limité à la santé. Sans compter les dégâts sur l'environnement générés par ces industries.

Je pense à tous ces hommes et à ces familles qui vivent ou ont vécu avec pour seul horizon, celui de la houille... Ces héros et héroïnes anonymes. Que faire de cet héritage ? Que faire de ce charbon qui, au-delà de sa pollution et de ses effets dévastateurs, reste dans la mémoire collective comme un symbole de travail, de sacrifice et parfois de fierté ouvrière ?

La transition énergétique ne se résume pas à dire "on arrête le charbon". Ce serait si simple. La mémoire de ces luttes ouvrières et des sacrifices humains doit être au cœur de la construction d’un monde plus juste, où la transition énergétique n’est pas qu'une question de technologie, mais de dignité humaine. Cette mémoire pourrait être un levier pour repenser notre modèle de développement en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux.

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La Pologne envisage la fermeture des mines de charbon en 2049 © L'EnerGeek

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