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Billet de blog 27 avril 2017

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Une leçon d'amour

C'est l'histoire de Paul, un bon petit gars de la Côte d'Or. Paul a un rêve celui de monter son restau. Il a vu dans des émissions de télé-réalité que le rêve américain est possible. Il s'abreuve de ce rêve. Entre deux coups de Pinot noir, Paul se lance et monte sa cantine, toute proprette avec des ustensiles en cuivre flambant neuf qui feraient pâlir Rémy, le rat cuistot.

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Illustration 1
© Eric Chalmel ©Frap

Il est tout fier de sa buvette aux grandes baies vitrées qui donnent sur la route express traversant son quartier résidentiel et de l'autre la ZUP. Au pays des gastéropodes, l'enseigne clignote bleu néon dans la nuit froide : « Trou des Ducs» où l'on y prépare des escargots de Bourgogne, des pieds de porc grillés, de la tête de veau, et du boudin blanc aux morilles...

Paul est marié à la douce Isabelle, blonde jonquille de printemps. Paul a deux filles pareilles à leur mère, deux porcelaines au regard bleu délavé. 
 Paul est plein d'inquiétudes. Au fond de sa gargote, il tambouille dans ses chaudrons, le succès tarde à prendre.  A force d'huile de coude, il a les biscotos saillants qui émoustillent les femelles en mal d'amour. Et puis ce regard de braise, comment ne pas céder... 
Paul joue de son physique de jeune premier au pectoraux et aux abdos, qu'il entretient avec assiduité.

Paul a un ami d'enfance, Manuel qui vient, les grands soirs, lui donner un coup de main. Manuel a grandi dans le quartier tout proche de la Toison d'Or. Ses grands-parents sont arrivés en France, il y a longtemps, « à cause d'un mec qui foutait son bazar en Espagne, un certain Franco, paraît que c'était un tyran fasciste», « fasciste ça veut dire quoi ? » Il ne sait pas, mais bon, tout ça c'est du passé, ça ne le concerne pas. Manuel a une bonne idée : « Pourquoi ne pas glisser des menus exotiques, paraît que c'est à la mode !? »

Depuis quelques semaines, les pieds de porc grillés côtoient les pizzas, la tête de veau les tacos, et le boudin blanc les nems au curry...

Paul réfléchit, c'est connu un homme qui réfléchit ça fait des étincelles ! Un midi, sur le menu du jour est noté : Couscous maison. Et ça marche ! La gargote a son petit succès, un joli mélange en tout genre venu des quartiers résidentiels et de la ZUP. On s'accoquine, on sympathise, on trinque, on rit.

Puis vient la grande campagne. Paul a ses idées. Lui, le discret, le timide, il les affiche sans complexe voire avec ostentation. Pas sur son menu du jour, non, sur la vitrine des réseaux sociaux : « Cette femme va sauver la France ! ».

 Ben, oui, Paul a vu à la télévision que Le Pen sauverait les petits commerçants, les agriculteurs, les chômeurs français, et tous les pauvres qui n'ont plus de pain à cause de ces foutus immigrés qui squattent le pays, de ces réfugiés sauvages et violeurs.... Il a même appris que certains pays vont construire des remparts pour protéger leurs frontières, il rêve maintenant d'une muraille de Chine qui surgirait des flots de la Méditerranée vers l'océan et pourquoi pas aussi du côté du front Est où cesPolacks, Yougos, Roms arrivent en masse sous prétexte  d'être ressortissants de l'Espace Schengen. Ah, que ce serait chouette le Frexit ! Rester entre-soi, loin de la menace terroriste et de tous ces islamistes.

Mais voilà, les bouffeurs de Tacos, de pizzas, de Nems, et de couscous l'ont à travers la gorge : « Quoi ? Le beau gosse est un facho ?» C'est la trahison, la déception !

Isabelle l'avait pourtant prévenu « Efface donc ton post, tu vas nous attirer des ennuis ! » Hélas,  le pacte de l'amitié est rompu.

Paul est penaud, mais il n'en démord pas, au pays de la liberté d'expression, c'est son droit !
Au pays des Ducs de Bourgogne, on salue le 1er mai fête de Jeanne d'Arc qui prend la figure de proue du nationalisme. Mais au pays bourguignon, on a aussi la mémoire courte ou sélective, n'est-ce pas là qu'on a capturé la belle pucelle ? On crame comme on hisse les figures légendaires, c'est au goût et au menu du jour.

Ce soir, c'est samedi, «Trou des Ducs» est fermé. Paul reçoit ses parents, il est heureux de leur visite inopinée. Isabelle a préparé une brandade de morue. La sonnette tinte à la porte d'entrée, Lucia et Fernando ont fait un long voyage :
« Paolito, Meu pequeno menino de amor, como você sentiu falta de nós ! »*

* Paolito, mon petit garçon d'amour, comme tu nous as manqués- Merci Reverso 

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