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Billet de blog 2 novembre 2024

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Les petits porteurs du cimetière Saint-Lazare

Chaque année à la Toussaint, les chrysanthèmes viennent colorer les dernières demeures des Montpelliérains. Des bouquets, portées ou charriés, qui naviguent aux mains « des petits porteurs de fleurs », comme sortis d’une France d’antan.

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Illustration 1
Imran, Anis et Adam avec leur charrette dans les allées du cimetière Saint-Lazare. Montpellier (31/10/2024). © Samuel Clauzier

Ils s’appellent Imran, Adam, Anis, Hamza, Marwane ou Oussama… Ils ont entre 10 et 13 ans : tous vivent à la Cité de l’Aiguelongue, quartier prolo bien connu du nord-est de la bourgade montpelliéraine. Vacances scolaires obligent, du temps, ils en ont les marmots. Grasse mat’ pour autant ? Allez croire.

« On se lève à 5h40, à 6h20 on se rejoint à la cité et on commence à bosser au cimetière vers 7h00 » égrène Imran en tirant sa charrette grinçante. Faut dire que la petite bande a prévu son affaire. Depuis la rue de Montasinos, ils tirent la carriole de fortune jusqu’à l’entrée du cimetière. Puis les allers-retours, toute la journée, entre les fleuristes de l’avenue Saint-Lazare et les pierres tombales.

« Madame, madame, vous avez besoin d’aide ? » lance l’un d’entre eux à une vieille dame, les bras chargés de pétales. « Non ça va pour aujourd’hui, peut-être l’année prochaine » répond-elle d’un ton enjoué. Un peu plus loin, Imran, Adam et Anis terminent de disposer les pots sur une stèle à la demande d’une « cliente ».

20 euros pour trois, pas mal : la tripotée saute au ciel et s’en va en gambadant à travers les allées. « Qu’ils sont adorables ces petits » lâche-t-elle, avant de se recueillir sur la sépulture familiale. Petit gagne-pain pour jeunes adultes, premier pas vers l’indépendance. Un boulot qu’ils font chaque année, poussés par leur famille. « On gagne chacun 50 euros par jour à peu près » précise Anis. Le butin est ensuite réparti entre la bande de copains.

L’un aimerait se payer une doudoune, l’autre une manette de PlayStation. Mais le fric est loin d’être leur seule motivation. Quand les gamins accourent, pas de tarif annoncé, même pas de demande. « J’peux vous aider ? » et c’est parti. Devant les tombeaux, le labeur continu, sans attente, sans quémande. « Comme ça les fleurs monsieur ? Vous-voulez qu’on arrose ? », et ça court, et ça roule. Un euro par si, deux cinquante par-là, « on aime aider les gens, c’est bien comme travail » souligne Imran.

Troc générationnel

« Et puis y’a la toute vieille » nous disait Brel, qu’en finit pas de vivre, « qu’on attend qu’elle crève », histoire de faucher son oseille. Et puis y’a les autres, qui n’écoutent même plus « c’que ses pauv’ mains racontent ». À Saint-Lazare, du petit mioche à charrette au vieil ancêtre bringuebalant, tous feraient volontiers mentir le chanteur du Plat Pays.

Alain, canne à la main et gamins aux arrières, est un habitué des petits porteurs. Il en a vu passer des petits, dans les allées de Saint-Lazare. « Tant que je peux, je viens, et là c’est l’entrée d’une nouvelle génération » glisse-t-il, souriant, entre deux tombes familiales.

Même son de cloche à l’entrée, où les bénévoles du « Souvenir Français » mènent leur quête annuelle. Pièce par pièce, ils récoltent, au milieu des fanions bleu-blanc-rouge. Des tirelires qui, une fois vidées, servent à fleurir et à entretenir les tombes des soldats « Morts pour la France ».

Cheveux blanchis et silhouette fluette, Josette s’émerveille à la vue des bouts d’choux. « Ils sont tellement gentils, polis, on parle souvent mal de la jeunesse, mais quand on voit ces petits… ». De l’âge, ça oui, mais pas réac' pour un sou ! Et pour cause : plusieurs fois par jour, les jeunes entrepreneurs viennent remplir la cagnotte destinée aux morts d’autrefois. 

Un peu plus loin, assis sur un banc, Claude, fait lui aussi l’éloge du bel âge. Prof’ à la retraite, il narre l’importance de la mémoire pour les jeunes générations. « Près du mausolée aux morts de la guerre, il y a un carré militaire pour les soldats musulmans. J’explique aux jeunes qu’on fleurit leurs tombes comme toutes les autres, parce qu’ils méritent ce respect. »

Transmission qui semble réussie : les gosses connaissent le cimetière comme leur poche et se repèrent grâce aux monuments aux morts. Certains arborent des stickers à l’effigie de l’association. D’autres étanchent leur soif avec une bouteille de soda « c’est le Souvenir Français qui nous les donne ! » se réjouit Anis. 

De père en fille

À l’entrée principale du cimetière sur l’avenue Saint-Lazare, Tony 54 ans, casquette vissée sur la tête, orchestre le bal. Des minots qui courent, des fleurs qui roulent : il en voit depuis belle lurette. « 40 ans que j’fais ça ! » lâche-t-il en rigolant. Superviseur informel, il veille à ce que « tout se passe bien » entre les petits porteurs.

Il faut dire qu’entre deux voyages, les gosses se tirent souvent la bourre. « Pour un ou deux euros, ils finissent par se disputer. Des fois, le marbrier les engueule, ils sont autour de ses pierres. Tu le rayes, c’est invendable après ! » déplore-t-il.

Débonnaire, l’homme s’attache à ce que chacun tire son épingle du jeu. Il veille au grain, même pour trouver des « clients » à la plus jeune des porteuses. Les bons plans, c’est souvent pour elle, que Tony redirige vers les âmes les plus charitables.

Pour gagner quelques sous, l’habitué revient chaque année. Une ritournelle que le vieux routard du bouquet rêve de pérenniser, le cœur sur la main, pis le balai dans l’autre « S’il faut passer un coup sur la tombe et arroser les fleurs, moi, je le fais ». Une générosité qu’il tente d’inculquer à ses deux enfants, qui viennent travailler avec lui. « Et puis si y’a pas de sous c’est pas grave : on aide, c’est comme si je voyais mon grand-père ou ma grand-mère ».

À Saint-Lazare, la Toussaint touche à sa fin. Vieilles branches et jeunes pousses, tous reprennent le chemin de leurs maisons. Chacun file, vit et va, vers sa pendule d’argent. « Qui ronronne au salon, qui dit oui, qui dit non, et puis qui nous attend. »

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