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Billet de blog 5 novembre 2025

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Bass, breaks & Gaza : à Marseille, Minuit Rapide fait vibrer une techno engagée

Quand un trio marseillais fait résonner une techno politique par-delà les mers. Cinquante-cinq artistes, quatre continents, une compilation engagée en soutien à la Palestine : From the River to the Sea, sortie sur Bandcamp le 22 octobre.

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Illustration 1
Le collectif Minuit Rapide a opté pour un visuel aussi engagé que le titre de sa compilation. (Droits réservés – Minuit Rapide)

Ils sont trois et écument la nuit marseillaise depuis deux ans. À l’origine, une simple envie de faire des soirées, rapidement devenue collectif, label et centrifugeuse à talents locaux et internationaux, de Marseille à Prague en passant par Paris. La petite structure a choisi de prendre position face au génocide à Gaza, en s’associant avec l’association SawtPalestine, qui œuvre à « créer un pont entre Marseille et Gaza » en venant en aide, sur place, aux familles les plus démunies. Une main tendue outre-mer, née d’une rencontre dans la cité phocéenne.

  • Minuit rapide, ça démarre comment ?

Camille : Il y a trois membres actifs : Victor, Adam et moi. On prend toutes les décisions ensemble. On bosse tous à côté, dans la restauration, le service, des petits boulots, histoire de garder du temps pour la musique. Quand on a lancé le projet il y a trois ans, Marseille, c’était pas le même paysage. La scène était moins éclectique, très hard techno…. Pas trop nos influences.

Victor & Camille : On avait envie de quelque chose de plus ouvert, du break, de la trance, de la bass music… À l’époque, il y avait peu de soirées comme ça. Alors on a monté notre collectif. Au départ, c’était juste pour organiser nos propres events. Mais très vite, on a eu envie de sortir notre musique. Monter un label, ça permettait de produire notre son et surtout de faire découvrir les artistes qu’on aime. On n’est pas dans une logique de carrière, pour nous la musique reste avant tout une passion.

  • Vous insistez sur la parité, les « safe spaces » et l’antifascisme : c’est une position politique assumée ?

Victor : On essaye, du moins, de rendre nos événements les plus safe possible, et de faire le maximum en matière de prévention et de réduction des risques, que ce soit pour les VSS ou les consommations de substances. On veille à la parité dans les line-ups aussi souvent que possible et on défend des positions antifascistes, évidemment. C’est politique, même si ce n’est pas un étendard qu’on affiche partout. Ça fait partie de l’identité de cette scène.

Camille : Comment dire… On a toujours eu autour de nous des cercles LGBTQIA+ ou des personnes issues de minorités raciales, et ça a toujours été une valeur essentielle de ne tolérer aucune discrimination. Après, en tant que collectif, tout le monde écrit ça, tu vois, mais c’est logique : la musique électronique, c’est quand même un mouvement alternatif, créé et popularisé par des minorités raciales et des communautés queer, et qui, par définition, devrait être de gauche.

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Dario et Racing Nokia, alias Victor et Camille, derrière les platines de Massilia Techno Milita Radio, en septembre 2024. (Droits réservés – Minuit Rapide)

Victor : Cet été, on parlait souvent de Gaza et de ce sentiment d’impuissance. On en avait marre de juste partager des stories sur Insta, de rien faire d’autre que du virtuel. Adam a eu l’idée d’une compilation de soutien. Alors début août, pendant une soirée, on a contacté une trentaine d’artistes. La réponse a été immédiate, hyper positive. Le reste s’est enclenché tout seul. Dans notre entourage artistique, on s’est rendu compte que presque tout le monde était pro-Palestine. C’est un projet très politique oui, mais on reste dans ce qu’on sait faire : de la musique.

  • Pourquoi ne pas choisir une ONG reconnue, comme MSF ou l’UNRWA ?

Camille : Au début, on regardait du côté des grosses organisations. Mais des collègues m’ont parlé d’une asso marseillaise. Reverser les fonds à une structure locale, en plus de l’initiative, ça nous semblait plus cohérent. C’est là qu’on a rencontré Ahmed, de SawtPalestine, une asso basée à Marseille. Il a des relais directs à Gaza, il aide les familles précaires et les enfants. C’était concret, humain. Tous les revenus de la compilation lui sont reversés. On sait qu’il y a de gros problèmes pour faire transiter l’argent sur place, mais il a des moyens de le faire parvenir aux familles les plus démunies. Il veut aussi monter des orphelinats, offrir un accompagnement psychologique et éducatif… Aider cette génération traumatisée, c’est une façon d’être utile, et de manière directe.

  • Pourquoi avoir choisi ce titre, chargé politiquement ?

Camille : Le titre From The River To The Sea était un choix réfléchi. On savait qu’il allait provoquer des réactions, mais pour nous, ce slogan représente avant tout la voix d’un peuple opprimé qui réclame ses droits et sa liberté. Ce n’est pas un message de haine, mais un cri politique et historique. Nous condamnons les attaques du 7 octobre et toute forme de violence contre des civils, mais il est essentiel de pouvoir nommer la réalité d’une occupation et d’une injustice qui durent depuis des décennies.

Victor : Il faut aussi souligner qu’on a eu beaucoup d’artistes originaires d’Amérique du Sud sur la compile. Et comme ce sont des peuples marqués par la colonisation, ils se sont tout de suite sentis concernés. Ils ont compris cette différence de traitement entre les Occidentaux et les peuples opprimés, et ils ont soutenu le projet à fond.

  • Une empreinte marquée qui a rendu la communication autour du projet difficile ?

Camille & Victor : On a eu des signalements sur certaines publications Instagram, ce qui a entraîné un shadowban — un bannissement masqué avec une grosse perte de visibilité. On a perdu en portée, mais la scène nous a soutenus. Les artistes ont massivement relayé le projet, et ça nous a vraiment portés.

  • Comment s’est organisée la compilation ? Le choix des artistes, la diversité des styles et la distribution ?

Victor : On a reçu 90 propositions de morceaux et retenu 55. Cinq ingénieurs du son ont fait le mastering bénévolement. La compilation est en ligne sur Bandcamp, à 7 euros symboliques pour 55 titres. On a débattu sur la question de Spotify : boycott ou pas ? [Lire aussi sur RFI : « Pourquoi les appels au boycott de Spotify prennent de l’ampleur »] Pour l’instant, on privilégie Bandcamp, c’est plus cohérent politiquement et plus juste pour les artistes.

  • Quel impact espérez-vous avec ce projet ? Soutien financier, sensibilisation, acte militant ?

Victor : On ne veut pas devenir un label caritatif, mais cette expérience nous a montré qu’on pouvait rendre la musique utile. Le nombre d’artistes qui ont voulu participer est impressionnant. Certains n’ont pas eu le temps, mais veulent être de la prochaine.

Camille : Ce projet a créé une vraie dynamique de solidarité. Dans un milieu souvent individualiste, c’est précieux. Et la cause palestinienne a touché bien au-delà de la France : des artistes d’Amérique du Sud se sont reconnus dans cette lutte, à travers leurs propres histoires de colonisation et d’oppression. C’est devenu une sorte de pont entre les scènes.

Cette expérience vous donne-t-elle envie de renouveler des actions de ce type ?Victor : On ne refera pas forcément une compilation de ce type tout de suite, mais on sait désormais que c’est faisable, et que ça peut avoir un vrai impact. Si la techno peut être un outil de résistance, tant mieux. C’est de la musique, mais avec un message. Tout s’est très vite enclenchée pour cette compile ! Tellement qu’on n’avait même pas eu l’idée de faire une soirée pour marquer le coup. Peut-être que ça viendra, en tout cas ce serait une belle occasion de réunir tous les artistes qui ont participé au projet.

Propos recueillis par Samuel Clauzier en octobre 2025.


Une nouveauté, la « techno militante » ? Plutôt un héritage. De la basse insurgée d’Underground Resistance aux murs de son des Spiral Tribe, en passant par la chute du mur de Berlin sur fond de beats minimalistes, la musique électronique a toujours puisé sa force dans la contestation et les soubresauts de la société. À Marseille, cette dimension politique s’incarne aussi dans le collectif Métaphore, fondé en 2011, et ancré dans « les valeurs de l’économie sociale et solidaire » et du « vivre-ensemble ». Ou encore dans Maraboutage, qui vogue sous les pavillons de la « redistribution, de l’unification et de la révolution », mêlant baile funk et dancehall dans une démarche « afrofuturiste ». Dans ce sillage, Minuit Rapide trace sa voie : danser comme élan libérateur, mais aussi pour prendre position.

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