Nul besoin de visionner ce canular de Suisse Tourisme pour savoir que la Suisse lave plus blanc –non aucune allusion financière ou fiscale - et que le cliché est ce qui reste quand tout a disparu pour paraphraser mon ancienne prof de philo.
Alors quand dimanche dernier j’ai vu que les Nashville Pussy étaient en concert à Bulle, près de fribourg, mon sang n’a fait qu’un tour. Allais-je encore devoir me taper un public propret –nombreux exemples au Montreux Jazz ou ailleurs- ou foncièrement désagréable –dernier exemple en date : des bavards mondains qui massacrent le concert des Tindersticks à Genève il y a quelques mois ? Je voulais en avoir le cœur net.
Je n’ai pas été déçu.
Le lieu s’y prête bien. Une grande salle oblongue aux murs nus et décrépis, un corridor lugubre et couvert d’inscriptions diverses menant à une petite terrasse où trônent des canapés de dernière jeunesse. Derrière, les loges, squatt pour junkies, en moins bien.
Et la foule est au rendez-vous. Devant le car fantôme défoncé (lui aussi) des NP, s’agglutinent quelques Hells Angels suisses –non je n’ai pas usé d’oxymore, ils existent http://www.hellsangels.ch/ baraques et tout avec barbe et crâne rasé et blouson en cuir manches courtes, des représentants de l’American white trash (genre loser avec lunettes en plastiques super moches et tendance, casquette de trucker supersized et fringues à carreaux pour faire court- des rastas, des punks, des bourrins en tout genre enfin tout ce dont le Suisse moyen aidé de Freysinger enfermerait à double tour dans un bunker secret des Grisons.
Je jubile.
Après une première partie des Supersuckers http://www.supersuckers.com/ qui allume quelques ardeurs et quelques pogos je file dans les loges tailler la bavette avec Ruyters Suys, la guitariste des NP. Bluffé par le côté mère-de-famille-rangée-qui-répond-sagement-à-mes questions-et tire-une-langue (verte bizarrement)-aussi-impressionante-que-celle-de-Gene Simmons pour les photos, je me demande si la bougresse ne fait pas semblant d’être démente sur scène.
Elle ne fait pas semblant.
Dès le début du set, la tigresse hurle, se contorsionne, se roule par terre, flanque ses seins (généreux) dans la face du spectateur (ébahi) du premier rang, écluse du JD. Sa mystérieuse cadette, à la basse, Karen Cuda, dont la peau marmoréenne fait ressortir la poitrine comme un mystique calice, reste plus académique que sa glorieuse comparse dans la rock attitioude, mais elle a du chien. Quant à Blaine Cartwright, il tient son rang, motherfucker.
Mais le spectacle est ailleurs.
Juché sur le balcon, j’observe quelques mètres plus bas le public en débattre. Jeunes et vieux, tribus de toutes sortes s’affrontent en un long pogo viril et suant. Les bières volent en tout sens, on s’arrache les vêtements, on se fout des gnons - jusqu’à l’épuisement. Putain que c’est bon. Les laissés pour compte de la Suisse proprette tiennent leur revanche. Demain, ils recevront comme une insulte les mêmes regards fuyants des bien-en-place.
Fin du set. Pas de rappel. Il faut faire la fête. A l’invitation de Blaine, on se précipite dans le grand bus fantôme pour monter encore plus haut.