Hier soir, entre deux somnolences, j'entendais Plenel se faire étriller joyeusement par le duo de valets Zemmour-Duhamel. «Oui Oui Plenel, Père Plenel, évangéliste d'un idéalisme bon teint, curé!», lâchera Zemmour – qui n'est pas à une connerie près – joueur de bonneteau, escroc patenté, etc. Une bonne rigolade.
Après quelques joutes d'un débat social en brasse coulée, il fut question, au mileu de la purée d'informations moulinée par le sémillant Ruquier, du bon mot de Jean-Paul Guerlain; ancien parfumeur que d'aucuns aimeraient voir aujourd'hui embaumé- écart que Zemmour attribue à son grand âge, alors que J-P, quelque peu distrait -un apanage du grand âge là aussi- se trouvait soudain avec quelques amis, croyant contempler, dans un accès nostalgique, les ruines de l'Empire se reformer. Or il se trouvait sur une chaîne publique, face à la sémillante -elle aussi- Elise Lucet.
On ne peut plus blaguer devant les caméras depuis quelques années déjà J-P. Certains seraient prêts à se priver d'Eau de Guerlain pour protester, et ce serait dommage. C'est un bon parfum.
Tout cela pour en agacer quelques-uns qui ne sauront pas si ce que je dis est à prendre ou à laisser ; et pour qu'ils interrogent plutôt avec moi, au lieu de s'indigner en cœur sur les molles saillies d'un vieillard, sur ceci :
«La production de l'homme mondialisé, l'homme nouveau, l'homme sans qualités, l'homme «en miettes» est la seule perspective véritable de la sortie de la crise, et du dispositif planétaire qui l'accompagne. Il s'agit d'un projet global, celui de la transformation anthropologique de l'homme de sa terre, de sa foi et des siens, en homme de marché, du contrat et du désir. Il s'agit d'un projet politique, celui de la destruction du citoyen, armé d'une identité contre la confusion et d'une culture contre les séductions de l'instant, au profit du consommateur, errant au gré des sollicitations du moment, nomade, métis, n'importe qui capable de n'importe quoi que lui dicte la mode de saison ou le cours du jour. Et il s'agit d'un projet de destruction de toute société constituée, de toute hiérarchie et de toute différence, au nom de l'égalité factice devant le marché, de la sujétion réelle au couple de l'État et des acteurs du marché mondialisé»
Ce texte est extrait d'un livre de Hervé Juvin, intitutlé Le renversement du monde. Politique de la crise (Éditions Gallimard/Le Débat, 2010).
Et là, je me questionne, en profondeur cette fois, car ce n'est plus une saillie -aussi hasardeuse soit-elle- dont on ignore ce qu'elle révèle de l'homme qui la prononce, à laquelle on a affaire, mais une pensée construite, réfléchie, qui parcourt une frange de l'élite intellectuelle européenne, et qui séduit une grande partie de l'électorat.
La question que je me pose -que je vous pose- est celle-ci : pourquoi relier une réflexion pertinente sur la transformation de l'homme moderne par le marché (néo-) libéral à une problématique de race (ici niée par le métissage) ou de mobilité (stigmatisation du nomadisme face à une apologie du sédentarisme) ?
D'ailleurs, Juan Asensio, dont j'apprécie les écrits, la rigueur et l'engagement, malgré ce qui nous sépare, commente ce paragraphe en ces termes :
« Nous voici bien éloignés des fadaises pieuses sur le métissage, la diversité et la nécessaire universalité des aspirations transcendant les abominables particularismes hérités d'une tradition haïe qui ne sont, comme d'ailleurs Alain Badiou (voir à ce sujet le livre de Kostas Mavrakis, De quoi Alain Badiou est-il le nom ?, L'Harmattan, 2010), que le masque grotesque, faussement réputé à l'extrême gauche, d'une dilution dans la Matrice dévoreuse du Marché. »
Je pense que l'on peut au contraire esquisser une via media dans laquelle le métissage n'exclut pas la tradition, mais l'inclut, en l'augmentant. Imaginer, pour faire court, une sortie de crise, un nouveau et nécessaire projet de société, qui ne soit ni une crispation, ni un dilution.