En septembre 2021, un billet sur ce blog venait rappeler le rôle essentiel que jouèrent de nombreuses religieuses chiliennes et étrangères dans la résistance à la dictature civilo-militaire chilienne (1973-1990). Grâce au documentaire "Au nom de tous mes frères" (2019), diffusé des deux côtés de l'Atlantique, la figure de Nadine Loubet a aujourd'hui été mise en lumière et son nom accompagne désormais les grandes figures (masculines) issues du monde chrétien et engagées contre le régime, comme Pierre Dubois, André Jarlan, Mariano Puga ou José Aldunate. Ce film a également permis les retrouvailles de nombreuses femmes qui avaient perdu contact depuis des années, désormais mobilisées par ce travail mémoriel de longue haleine. Destiné à rendre hommage aux femmes de l'ombre de la résistance chilienne, invisibilisées par le machisme et le patriarcat au sein de l'historiographie officielle et des réseaux de l'Église catholique, ce travail va prochainement voir le jour aux Éditions Karthala (collection "Signes des Temps").
Après plusieurs années d'enquête, et alors que les commémorations des cinquante ans du coup d'État de Pinochet et des généraux chiliens s'organisent dans toute la France (11 septembre 2023), une nouvelle piste de recherche s'ouvre sur la résistance à la dictature au Chili. En déplaçant la focale, la recherche actuelle présente l'histoire de nombreuses anonymes liées à l'Église populaire de Santiago qui y jouèrent un rôle clé, risquant leurs vies pour venir en aide aux persécuté.es.

Agrandissement : Illustration 1

Parmi elles, la figure de Nadine Loubet occupe une place particulière. Fille d'un collaborateur de l'Ariège jugé à Toulouse en 1945 et exilé en Argentine, la jeune femme connaît un parcours familial marqué par la Seconde guerre mondiale et les déshonneurs associés à l'Épuration. Depuis l'Uruguay, la jeune Nadine rejoint les ordres au sein de la Congrégation dominicaine de Sainte-Catherine de Sienne. Mais c'est bien au Chili, à partir de 1965, qu'elle s'épanouit en tant que religieuse ouvrière et comme camarade engagée au sein des luttes sociales de ces années particulièrement riches pour le catholicisme latino-américain (Conférence de Medellín, Théologie de la libération...). Dès le 11 septembre 1973, elle fait le choix de la solidarité et de la clandestinité pour défendre celles et ceux dont la vie est en danger et accompagne les réseaux de résistance jusqu'au départ du dictateur du pouvoir, en 1990.
Son histoire est à retrouver dans Des femmes contre Pinochet. Odile et les résistantes de l'ombre (Chili 1973-1990), Préface de Franck Gaudichaud, Éditions Karthala, Collection Signes des Temps, sortie prévue en France métropolitaine en juillet 2023.
Samuel Laurent Xu (SciencesPo Paris, Sorbonne Université) est le réalisateur du documentaire « Au nom de tous mes frères » (2019), primé au Festival international Atlantidoc de Montevideo. Il publie son premier ouvrage dans la collection « Signes des Temps », fruit d’une enquête menée au Chili entre 2018 et 2023 aux côtés d’une vingtaine de femmes chrétiennes engagées dans les réseaux de résistance pendant la dictature. Il travaille depuis l’été 2020 avec Gaspard Marcacci Thiéry (Panthéon Sorbonne), chercheur en histoire spécialisé dans l’étude des sources manuscrites. Ensemble, ils ont reconstruit l’histoire de Nadine Loubet et travaillent aujourd’hui à l’ouverture d’une archive dédiée aux religieuses engagées dans la résistance au Chili entre 1973 et 1990.