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Billet de blog 17 février 2013

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Une intelligence du cœur : une pensée dialectique

  La manière de penser à laquelle nous sommes le plus habitués est la pensée scientifique. C'est une intelligence de l’œil, qui est utile pour bien penser ce que nous observons de l'extérieur, sans y être impliqués personnellement, c'est à dire, pour juste comprendre ce que nous observons, sans le vivre ou le juger. Mais peut-être qu'il existe une autre manière importante de penser, qui serait une pensée dialectique. Ce serait une intelligence du cœur, utile pour bien penser ce qui nous implique, comme notre vécu ou notre intériorité, notre rapport au monde et en particulier aux autres, ou la justification de nos actes, individuels ou collectifs. Ce serait une pensée que des philosophes ont pratiquée, sans forcément la penser comme telle ; et ce serait la pensée telle que Platon puis Aristote l'auraient partiellement pensée, et telle qu'Hegel l'aurait plus complètement pensée. Ce serait aussi cette pensée, qui permettrait de bien penser ce qu'est un état intérieur positif : par exemple un état de sérénité, qui pourrait être pensé comme une mise en rapport dialectique des différentes choses que nous sentons en nous ; et notamment l'état de sérénité des stoïciens, qui pourrait être pensé comme un rapport dialectique à notre connaissance de ce qui s'impose à nous. Et ce serait cette pensée qui permettrait de bien penser ce que sont des rapports positifs aux autres : par exemple, l'amitié pourrait être pensée avec Aristote, comme un rapport dialectique à autrui ; la poursuite d'un bien commun par les membres d'une société, pourrait aussi être pensée avec lui, comme encore une sorte d'amitié entre eux, un rapport dialectique entre eux ; et même peut-être, l'amour chrétien pourrait être pensé comme un rapport dialectique à autrui ou à Dieu.

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 La manière de penser à laquelle nous sommes le plus habitués est la pensée scientifique. C'est une intelligence de l’œil, qui est utile pour bien penser ce que nous observons de l'extérieur, sans y être impliqués personnellement, c'est à dire, pour juste comprendre ce que nous observons, sans le vivre ou le juger. Mais peut-être qu'il existe une autre manière importante de penser, qui serait une pensée dialectique. Ce serait une intelligence du cœur, utile pour bien penser ce qui nous implique, comme notre vécu ou notre intériorité, notre rapport au monde et en particulier aux autres, ou la justification de nos actes, individuels ou collectifs. Ce serait une pensée que des philosophes ont pratiquée, sans forcément la penser comme telle ; et ce serait la pensée telle que Platon puis Aristote l'auraient partiellement pensée, et telle qu'Hegel l'aurait plus complètement pensée. Ce serait aussi cette pensée, qui permettrait de bien penser ce qu'est un état intérieur positif : par exemple un état de sérénité, qui pourrait être pensé comme une mise en rapport dialectique des différentes choses que nous sentons en nous ; et notamment l'état de sérénité des stoïciens, qui pourrait être pensé comme un rapport dialectique à notre connaissance de ce qui s'impose à nous. Et ce serait cette pensée qui permettrait de bien penser ce que sont des rapports positifs aux autres : par exemple, l'amitié pourrait être pensée avec Aristote, comme un rapport dialectique à autrui ; la poursuite d'un bien commun par les membres d'une société, pourrait aussi être pensée avec lui, comme encore une sorte d'amitié entre eux, un rapport dialectique entre eux ; et même peut-être, l'amour chrétien pourrait être pensé comme un rapport dialectique à autrui ou à Dieu.

Dans la pensée scientifique moderne, on n'explique jamais ce qu'on voit par le fait qu'il est bon que cela ait lieu, c'est à dire par le fait que cela s'inscrit dans la poursuite d'une finalité ; jamais même, on ne parle de finalités. On n'explique pas que le théorème de Pythagore est vrai parce qu'il est bon qu'il soit vrai ; ni que tel corps a suivi telle trajectoire au cours de sa chute parce qu'il était bon qu'il suive cette trajectoire. On n'explique même pas que les aigles ont des serres très pratiques pour attraper des choses, et des yeux capables de voir loin, parce qu'il serait bon que leurs membres les rendent mieux aptes à survivre, en les rendant mieux aptes à voir et attraper des proies. On dit seulement pourquoi il est logique qu'ils aient des membres les rendant plus aptes à survivre : les caractéristiques qui rendent plus apte à survivre sont sélectionnées par un processus de sélection naturelle. Et de même, on n'explique pas qu'une maison a un toit parce qu'il est bon qu'elle puisse abriter des gens, mais seulement qu'il est logique qu'elle en ait un : étant donnée la fonction d'abri qu'elle a pour les hommes qui l'ont construite.
 Au contraire, la finalité poursuivie occupe une place centrale dans une pensée dialectique, comme Platon puis Aristote l'avaient donné à penser. Une pensée dialectique, serait en effet celle qui considère qu'une chose est en soi une bonne chose, dès lors qu'elle peut être conçue comme une bonne chose. Dès lors qu'une chose pourrait être conçue comme une bonne chose, ce serait ainsi qu'il serait bon de la concevoir, et non autrement. Ce serait donc le fait de chercher à concevoir une chose comme une bonne chose, qui nous révèlerait ce qu'elle est vraiment. La finalité poursuivie dans sa totalité, ou notre idée du bien, serait donc ce qui nous révèle ce qu'est vraiment une chose, de même que la lumière émise par le soleil serait ce qui nous révèle les choses du monde matériel : comme l'avait dit Platon dans son allégorie de la caverne. En soi, une chose serait comme une graine, et la conception de cette chose comme une bonne chose, guidée par notre idée du bien, serait comme la plante qui pousse à partir de cette graine, guidée par le soleil. La finalité poursuivie dans sa totalité pourrait être elle-même un ensemble équilibré de finalités, qui serait le reflet de notre sensibilité ou de notre cœur. C'est ainsi que la pensée dialectique serait finalement une pensée guidée par le cœur, pleinement consciente de ce qu'elle pense être le contenu du cœur et de ses conséquences : autrement dit ce serait une intelligence du cœur.
 Dans la pensée scientifique, ou bien on affirme quelque chose, ou bien on le nie, mais on ne fait pas les deux à la fois ; il ne faut jamais se contredire.

 Inversement, dans la pensée dialectique il arrive très souvent qu'on affirme des choses en les niant, comme Hegel l'avait donné à penser avec clarté, et comme le suggérait déjà, de manière plus floue, cette pratique que Parménide, Socrate, Platon et Aristote appelaient la dialectique, qui consiste à confronter des opinions qui se contredisent mutuellement, pour dégager à partir d'elles une opinion dans laquelle toutes sont niées dans ce qu'elles ont de faux, pour être mieux affirmées dans ce qu'elles ont de vrai, comme parties d'une vérité plus pleine qui les dépasse et qui est leur synthèse. Si, dans la pensée dialectique, on affirme souvent des choses en les niant, c'est parce que concevoir une chose comme une bonne chose, c'est la concevoir comme s'intégrant harmonieusement, dans le système de choses qui poursuit l'ensemble équilibré de finalités qui constituent notre idée du bien. Intégrer harmonieusement une chose dans un système de choses, c'est la nier en lui imposant des limitations, par lesquelles elle puisse coexister avec les autres choses qui doivent exister sans leur nuire ; et c'est la nier en ne la voyant plus comme quelque chose de satisfaisant à soi tout seul, c'est à dire, en ne la voyant plus comme la seule finalité, voire en la voyant comme un simple moyen, qui n'est rien sans la finalité qu'il sert à poursuivre. Mais en niant ainsi une chose, on l'affirme surtout, parce qu'on lui permet d'exister dans de bonne conditions, en coexistant avec les autres choses qui doivent exister sans leur être nuisible ; et parce qu'on lui permet d'être plus grande qu'elle même, en étant une partie de ce tout plus complet, plus grand qu'elle même dans lequel elle s'intègre. De même aussi, une plante qui pousse à partir d'une graine aura beaucoup d'interactions avec l'environnement dans lequel elle s'intègre, elle aura besoin des autres choses qui existent dans cet environnement, et ne devra pas trop nuire à cet environnement sous peine de le faire disparaître et de disparaître avec lui : elle s'intègrera alors dans l'écosystème.
 La sérénité intérieure peut alors être pensée comme une mise en rapport dialectique des différentes tendances, pulsions, désirs que nous avons en nous, et connaissances de la situation dans laquelle nous sommes placés. C'est à dire qu'on parviendrait à la sérénité quand on parviendrait à affirmer toutes ces choses en les niant, dans un même système harmonieux poursuivant l'ensemble équilibré de finalités qui serait l'idée que nous aurions du bien qui nous concerne, non pas nécessairement parce que ce serait seulement notre bien, mais parce que ce serait celui que nous avons décidé de poursuivre, et parce qu'aussi il peut avoir un rapport particulier avec nous-même.
 La sérénité intérieure stoïcienne, en particulier, serait un rapport dialectique à ce qui, dans la situation où nous sommes placés, est inéluctable. Ce qui est inéluctable ne peut pas être limité, et c'est donc le reste de notre intériorité qui doit se limiter, pour s'intégrer de manière harmonieuse par rapport à notre connaissance de ce qui est inéluctable. Comme tout ce qui appartient à ce tout harmonieux qu'est une intériorité sereine, poursuit une finalité, il ne peut y avoir en lui des regrets, parce que les regrets ne poursuivent aucune finalité qui nous intéresse. Ce qui est inéluctable est en quelque sorte nié, comme n'étant pas tout pour nous à soi tout seul ; et cela est alors surtout affirmé comme partie d'une intériorité sereine. Et de même, le reste de notre intériorité est nié en étant limité par ce qui est inéluctable et comme n'étant pas tout ; mais affirmé comme possible et comme partie d'un tout contenant aussi ce qui est inéluctable : le tout de notre vie dans sa plus juste vérité.
 Pour Aristote, il y a une amitié entre deux personnes, ou entre les membres d'une société, quand ceux-ci se reconnaissent un bien commun, et le poursuivent dans leurs actions collectives et leurs discussions sur ces actions collectives. Reconnaître un bien commun à soi et à un autre ou aux autres membres de sa société, est une manière de s'affirmer en se niant : se nier en ne poursuivant plus seulement son bien propre ; mais s'affirmer comme non nuisible aux autres et capable de faire des choses avec eux.
 Enfin, l'amour chrétien est aussi quelque chose dans quoi nous sommes invités à nous affirmer en nous niant. Mais c'est une affirmation de soi assez spéciale, en se niant totalement, comme un saint martyr. Peut-être donc que certains d'entre nous préfèreront affirmer leur éducation chrétienne en la niant : la nier en refusant l'abnégation totale ; mais l'affirmer alors comme quelque chose qui correspond mieux à ce que nous voulons écouter aussi dans notre cœur, et qui est une volonté de vivre et de vivre dans le bien être. Une intelligence du cœur est aussi possible pour qui ne se sent pas le cœur d'un saint martyr.

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