
Agrandissement : Illustration 1

« C’est, je pense, la sixième ou la septième fois, je ne sais pas, que je viens ici pour vous dire la même chose. Parce qu’après tout, si on me demande de parler du pro bono, je risque de parler du pro bono, c’est-à-dire ce qui fait un élément essentiel de notre profession. Il ne faut pas oublier le très beau serment que nous prêtons aujourd’hui. Moi, j’ai prêté, malheureusement, il y a maintenant 67 ans, un serment qui était absurde ; l’avocat promettait de respecter les lois, les règlements, les bonnes mœurs, de respecter les tribunaux, etc., mais il ne disait pas l’essentiel. Le nouveau serment qui fut proposé en 1982 par Gisèle Halimi et Robert Badinter est extraordinaire. Parce qu’à part tout ce qu’on vous a énuméré tout à l’heure qui est essentiel, évidemment (la dignité, la conscience, etc.), il y a, à la fin, le mot humanité. Et je crois effectivement que notre profession ne se conçoit que pour défendre les hommes, les êtres humains, bien sûr pour ceux qui sont puristes et qui voudraient sans doute appeler le musée de France musée humain alors qu’en définitive, c’est le musée de l’homme comme les droits sont à mon avis les droits de l’Homme, ce qui n’empêche pas bien entendu que les femmes ont les mêmes droits.
Mais je crois que ce serment qui se termine « humanité » est essentiel. Notre profession qui consiste à défendre ceux qui sont accusés ou ceux qui ont besoin de justice, à les défendre, à être au service d’eux, à mettre notre droit, notre humanité, notre parole, ce que nous avons à dire, tout au service de certains est l’essentiel. Certes, nous gagnons notre vie avec cela, mais au fond, au fond, dans toute une vie, quand nous regardons derrière nous comme je le regarde, moi aujourd’hui, dans une vie de plus de 65 ans d’avocat, on se dit : il y a pas mal d’affaires que j’ai plaidées gratuitement, d’autres que j’ai payées en étant payé, d’autres que j’ai plaidé en étant payé et pourtant, où a été l’essentiel de mon métier ? Dans l’un, dans l’autre, qu’importe ! Ce qui importe, c’est la nécessité dans laquelle nous sommes de nous engager totalement pour un être humain.
La première fois que je suis allé dans une cour d’assises, il y avait un homme qui était écrasé par tous. J’étais étudiant, j’étais effaré. Il était dans son box, il s’inclinait, on ne le voyait plus. Et puis il y a eu la partie civile, les experts, tout le monde, l’avocat général dans une charge terrible ne voyait plus que ses mains sur la barre. Il était là, il se baissait, on ne le voyait plus, on ne voyait pas sa tête, on ne voyait plus que ses mains. Quand l’avocat s’est levé, a posé ses mains sur ses mains et a dit : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. » Cette citation de Victor Hugo donnait, à mon avis, toute sa dimension à notre profession. Nous sommes celui qui reste quand il n’y plus personne, il y a toujours quelqu’un pour défendre encore. Et bien vouloir, tous ceux qui nous proposent toutes ces propositions que nous venons d’avoir eu pêle-mêle, que je n’énumèrerai pas parce que je les aurais déjà oubliées, mais qui sont absolument essentielles. Tout cela, c’est ce que provoquent les prix pro bono, c’est-à-dire ce besoin, ce besoin de ne pas laisser les autres seuls. »
Pour le son et l’image de son discours (à 39m40s) :
https://www.facebook.com/Barreau2Paris/videos/c%C3%A9r%C3%A9monie-des-troph%C3%A9es-pro-bono/286235787676450/