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Billet de blog 17 septembre 2024

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Libération d'une enfant de 12 ans placée seule en zone d'attente d'Orly

Situation d'inhumanité vécue par une enfant de 12 ans qui est traumatisée. Lundi 16 septembre 2024, ma cliente, âgée de 12 ans, a été finalement libérée par la Cour d'appel de Paris de la zone d'attente pendant où elle était depuis le 11 septembre 2024. Elle y a vécu l'horreur.

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Elle a 12 ans.

Ses parents l'ont mise dans un avion in extremis pour qu'elle échappe à une excision qui devait avoir lieu le 14 septembre 2024 (toutes les femmes de sa famille sont excisées). Il faut savoir qu'il y a des enlèvement aux fins d'excision. Sa tante maternelle, française, devait l'accueillir à l'aéroport.

Elle était seule en zone d'attente depuis le 11 septembre 2024. Elle est restée sans administratrice ad hoc (représentante légale d'une personne mineure non accompagnée) pendant 10h51 sans qu'aucun droit ne lui soit notifié.

Dimanche 15 septembre 2024, au tribunal judiciaire de Créteil, le juge n'a rien trouvé à redire et a ordonné son maintien en zone d'attente. Il a même indiqué qu’elle était davantage protégée en zone d’attente que de son pays.

Lundi 16 septembre 2024, la Cour d'appel de Paris a infirmé son ordonnance et ordonné sa libération immédiate. Les motifs sont clairs :

 "Priver de liberté une mineure non accompagnée, sans lui notifier le moindre droit, pendant une durée de 10h51 est une atteinte manifeste à ses droits entraînant nécessairement, et sans qu'il soit utile de se prononcer sur les nombreux autres moyens soulevés et tout aussi pertinents, une irrégularité de l'ensemble de la procédure conduisant à infirmer l'ordonnance déférée et à ordonner la libération immédiate de S."

Après le prononcé par la Cour d'appel de sa libération, la Police aux frontières (PAF) lui impose de revenir avec les policiers pour aller chercher ses affaires et récupérer son visa. Je leur indique que ce n'est pas une obligation, qu'elle ira avec sa tante et que, s'il le faut, je les accompagnerai, mais qu'en aucun cas, elle ne reviendra avec eux. Le policier persiste. Je fais intervenir la juge pour lui indiquer ce qu'il se passe. La juge suspend l'audience qui était en train de se dérouler et indique par téléphone au responsable de la PAF : « Lisez mon ordonnance, il y a marqué libération immédiate. Elle peut récupérer ses affaires avec sa tante» .

Je précise que le policier m'a quand même dit à un moment : « Venez dehors, on va s'expliquer. » Il me semble qu'on appelle cela de l'exemplarité policière.

Je quitte donc la Cour d'appel de Paris avec la petite libre et la tante maternelle. Je décide de les accompagner à la zone d'attente d'Orly pour récupérer ses affaires et le visa de 7 jours.

Une fois arrivés, nous sommes accueillis par un panneau « téléphone de courtoisie » (cf. photo), on nous fait attendre et, lorsque nous entrons dans la zone d'attente, je constate l'horreur : il y a 2 enfants (une fille et un garçon) derrière un simple paravent. L'espace fait 3 m2, il y a une télé. C'est là où était ma cliente. Le paravent est le seul élément qui les sépare des adultes. Les enfants n'ont pas le droit d'aller dans la cour pour prendre l'air. Leur seul repas : des chips, de l'eau et une compote (pas de sandwich). Il y a un téléphone mural duquel on peut être appelé sans pouvoir appeler.

Une fois son visa et ses affaires récupérés, nous reprenons le métro. C'était la première fois qu'elle le prenait. Elle souriait par intermittence mais je sentais un profond traumatisme. Je vais évidemment suivre sa demande d'asile.

Elle veut devenir médecin.

Nous allons, avec sa famille en France, entamer les démarches pour qu'elle puisse être scolarisée rapidement (elle rentre en classe de 6e).

Voilà dans quelle société on vit. Je suis fatigué et indigné par toute cette inhumanité.

Je ne cesserai pas de me battre.

De situation à situation, on fait avancer les choses.

Samy DJEMAOUN

Avocat au barreau de Paris

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