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Billet de blog 29 octobre 2025

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Essonne : le département condamné pour avoir laissé une mère et ses enfants dehors

En fuyant un mari violent en Espagne, H. pensait trouver refuge en France. Mère de quatre enfants, titulaire d’un titre de séjour, elle a trouvé l’indifférence : nuits dehors, appels sans réponse au 115, silence du département. Le 27 octobre 2025, le tribunal de Versailles a condamné l’Essonne. Deux jours après, rien. La dignité humaine n’est pas une option budgétaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle s’appelle H.

Elle a 33 ans.

Illustration 1

Elle dort dehors.

Avec ses quatre enfants : 14, 12, 9 et 2 ans et demi.

H. est titulaire d’un titre de séjour “résident de longue durée – UE”.

Ses quatre enfants sont espagnols.

En Espagne, elle a fui un mari violent.

Une plainte avait été déposée pour violences conjugales.

Elle a tout quitté (un logement, un travail, un peu de stabilité) pour sauver ses enfants.

Pendant deux ans, elle a été accueillie dans un centre d’hébergement pour victimes de violences conjugales, en Catalogne.

Mais cet hébergement était temporaire.

Après deux années de présence et plusieurs notifications, une dernière lettre lui a été remise : elle devait quitter définitivement le centre le 1er août 2025.

Quelques jours plus tard, sans solution, elle prend la route de la France avec ses enfants.

Elle croit encore qu’ici, elle sera protégée.

Le 14 août 2025, elle arrive en France.

Elle pense y trouver refuge.

Ce qu’elle a trouvé, c’est la rue.

Elle dort dehors, parfois dans un parc, entourée de ses enfants.

Le plus jeune tousse.

Le plus grand veille, par réflexe.

Ils n’ont nulle part où aller.

Une vie brisée deux fois

Par les violences, puis par l’indifférence.

Chaque jour, H. appelle le 115.

Chaque jour, la même phrase :

“Aucune place disponible.”

Quelques nuitées offertes par la Croix-Rouge et le 115.

Puis, à nouveau, la rue.

Pourtant, les enfants sont scolarisés.

L’inspectrice de circonscription alerte :

Cette instabilité de logement et cette insécurité permanente impactent négativement le parcours scolaire des enfants.

Début septembre, Un de ses enfants a été opéré de l’appendicite.

Il a fait sa convalescence dehors.

Dans la rue.

Le département de l’Essonne saisi…

Et silencieux.

Le 23 octobre, j’écris au département.

J’explique la situation de vulnérabilité extrême et rappelle ses obligations légales d’héberger les mères isolées avec enfants de moins de trois ans.

Aucune réponse.

Aucun contact.

Pendant ce temps, H. et ses enfants (sur)vivent dans la rue.

H. garde ses papiers dans un sac plastique, de peur que la pluie efface ce qu’il lui reste d’existence.

Il fallait agir

Vite.

Pour sauver une mère et quatre enfants de la nuit.

J'ai saisi le juge des référés de Versailles, en référé-liberté, dans l’urgence absolue.

En 48 heures, tout doit être dit : la rue, la dignité, la loi, la vie.

Pour sauver cette mère et quatre enfants de la nuit.

Le juge a entendu.

Le 27 octobre 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a condamné le département de l’Essonne.

Il lui a enjoint de réexaminer sans délai la situation de H en vue de lui offrir un hébergement conforme à l’article L. 222-5 du Code de l'action sociale et des familles.

Une victoire juridique

Mais avant tout, une victoire humaine.

H. et ses enfants ne dormiront plus dans des parcs.

Ils auront enfin un toit.

Un peu de répit.

Un peu d’humanité.

Cette ordonnance s’inscrit dans la continuité des jurisprudences que j’ai obtenues devant le Conseil d’État (CE, ord., 3 déc. 2024, n° 498960 ; CE, ord., 14 janv. 2025, n° 500105), rappelant que l’hébergement doit être pérenne, et non provisoire.

Mais au-delà des ordonnances et des articles, il y a une femme, quatre enfants, et une société qui se regarde dans le miroir.

Une jurisprudence qui s’écrit chaque jour, sur le trottoir

Cette condamnation du département de l'Essonne s’ajoute à une série de condamnations que j'obtiens régulièrement qui rappellent une évidence que l’on semble avoir oubliée :

la dignité humaine n’est pas une option budgétaire.

C’est une liberté fondamentale.

Chaque dossier gagné est une bataille.

Chaque victoire, un souffle d’espoir.

Chaque nuit dehors, une honte collective.

Et maintenant ?

L'ordonnance est rendue.

Reste à ce qu’il soit exécutée. Deux jours plus tard : rien. Aucun hébergement. Aucune solution malgré l'envoi de plusieurs mails. Je vais devoir ressaisir le juge en inexécution.

Reste à ce que la loi protège réellement.

Reste à ce que plus aucun enfant ne soit contraint de dormir dehors sous nos fenêtres.

Référence : TA Versailles, réf., 27 octobre 2025, Mme H c/ Département de l’Essonne, n° 2512701.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.