Les Algériens sont nombreux à être libres de tout engagement à l’égard des factions qui dominent les institutions de l’Etat ou qui aspirent à les dominer à leur tour. Ces factions avaient des filiations claniques, puis elles se sont, au fil des décennies, structurées en comme groupes d’intérêts politico-financiers. Ces groupes ont alors perdu l’essentiel de la légitimité régionaliste qui leur assurait une base de masse. Leurs turpitudes les ont éloignés au fur et à mesure de la décence commune. Ils sont désormais nus ces intérêts économiques, qui s’affrontent depuis des décennies pour utiliser les instruments de la puissance publique à leur profit.
Le premier cercle du Système s’est certes longtemps placé au dessus des groupes d’intérêt fondés sur l’argent. Le système fonctionne sur le postulat que ces groupes de prédation doivent garder une distance respectueuse vis-à-vis des institutions de l’Etat. Mais on connait l’histoire de la barma et du keskess : sur fond d’une ivresse néolibérale qui dure trente ans, c’est à la paralysie de la puissance publique qu’ont conduit l’encerclement puis la pénétration de l’Etat par le business. Un ancien Premier ministre avait dénoncé, au moment de son départ, cette nouvelle réalité de l’Etat algérien. La recherche de l’argent facile marque depuis trop longtemps les différentes couches, mais elle n’a pas permis de résoudre les besoins les plus élémentaires de la population. C’est la mission de l’Etat. C’est dans la satisfaction de ces besoins que se mesure la valeur d’un système et non dans la distribution de subventions sans impact durable sur la vie.
La majorité des Algériens sont à l’écart de l’agitation médiatique en cours, mais ils ne sont pas indifférents, ils l’observent avec attention. Cette majorité, ce ne sont pas les Algériens ordinaires. Ne sont ordinaires, c’est à dire prévisibles, que ceux, minoritaires, qui ont été avalés par la logique de la recherche de l’argent facile. La majorité silencieuse est extraordinaire, car elle est imprévisible. En attendant l’appel secret de son destin, elle ronge son frein, elle fait avec, préservant la décence et l’âme algériennes, dans l’environnement de corruption.
Les « décideurs » ne mesurent sans doute pas le puissant ras-le-bol qui anime aussi ceux des Algériens qui font fonctionner à tous les niveaux les institutions algériennes. Même dans l’ANP, tout le monde sait qu’ils sont nombreux à vivre au diapason du désir populaire de mettre l’Algérie sur de bons rails.
Le peuple et la majorité des « serviteurs de l’Etat » se tiennent certes à l’écart de l’agitation menée par des gens en mission chargés de faire valoir les intérêts de leurs factions respectives. Mais pour la majorité algérienne, la vraie succession à l’ordre du jour est celle qui doit conduire, par le peuple, à un Etat de droit. Par des voies certainement différentes de celle de cette « nouvelle république » factieuse, actuellement en vogue dans le microcosme des repentis politiques de tous bords.
Saoudi Abdelaziz, 10 juin 2013