La lettre aux Algériens du président-candidat ne contient pas d'engagement précis pour lever les blocages nationaux les plus cruciaux. Plus préoccupant encore: Abdelaziz Bouteflika ne semble pas vouloir s'engager pour que la campagne électorale soit l'occasion de mener un débat populaire en vue d'identifier ces blocages.
Evidemment, à ce stade de la campagne électorale, cette lettre, qui est censée présenter un crédo électoral, ne peut pas être un programme exhaustif. Pourtant, un candidat à la charge présidentielle devrait d'emblée annoncer la couleur sur les mesures décisives de son futur mandat.
Un exemple de ce flou délibéré: la lutte contre la corruption c'est la rupture d'avec une sorte de péché cardinal: « la tare de l’insatiabilité matérielle ». Mais, à aucun moment, même si elle mentionne en passant la nécessite de "l'Etat de droit", la lettre n'évoque des mesures républicaines de contrôle sur l'action publique. Contrôle strict dont l'absence permet à la gangrène de la corruption d'essaimer, à partir des hauteurs sociales où siège et se noue "l'insatiabilité".
Continuez de me faire confiance. La lettre aux Algériens peut se résumer dans ces citations : " Le changement que notre société a appelé de ses vœux sous ma conduite est en marche (…). Je voue mes dernières forces au parachèvement de la réalisation du programme pour lequel vous m'avez, à chaque fois, donné mandat (...).Une autre Algérie est née, elle se développera et prospèrera davantage si le cours de sa marche ne vient pas à être interrompu (…).
C'est l'essence d'une démarche de caractère plébiscitaire que d'éviter les objectifs politiques contrôlables. Ainsi, Bouteflika refuse de réagir clairement au large débat et aux propositions qui émerge de tous côtés en faveur d’un « consensus national » pour consigner les nouvelles règles de fonctionnement de l'Etat venues à maturité. Le candidat se limite à un clin d’œil destiné à de vagues « acteurs représentants les différents segments de la société » qu’il veut associer à la construction d’« un modèle de gouvernance". Et, il annonce: "une révision de la Constitution qui sera menée dans le courant de cette année».
Encore une révision constitutionnelle octroyée d’en haut, sans aucun mandat populaire pour en débattre sérieusement. L'assemblée nationale actuelle est, comme on le sait, complètement prise dans les rets de l'ancien logiciel. (Le député démissionnaire Bouchachi vient d' apporter un intéressant témoignage, de l'intérieur). Et la boucle sera encore bouclée? Le joueur de rey-rey, le bonneteau algérois, aime crier en empochant : "qui n'a pas gagné va gagner et la partie continue la même et la pareille".
La démarche constitutionnaliste républicaine, partant du peuple, a été choisi courageusement et appliqué avec succès par nos voisins de l’Est. Ils ont par exemple fixé la manière dont les représentants du peuple contrôlent les contrats publics. Sommes-nous condamné en Algérie au bon vouloir des décideurs, élargis par quelques strapontins promis par le candidat Bouteflika à des "représentants de segments"? La première règle du logiciel en vigueur, qui se retrouve dans cette lettre de Bouteflika, veut que la conduite des affaires publiques doit rester un privilège politique de caste cooptée. Avec cette logique, l'Algérie continuera de dériver entre deux eaux, en apnée. Jusqu'à quand?