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Billet de blog 1 février 2023

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La culture de l’inceste

En septembre 2022, sous la direction d’I. Brey et de J. Drouar, paraît chez Seuil un recueil d’articles intitulé La culture de l’inceste. L’essai s’attaque aux causes d’une des violences les plus invisibilisées et le plus structurelles de nos sociétés : l’inceste.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En septembre 2022, sous la direction d’I. Brey et de J. Drouar, paraît chez Seuil un recueil d’articles intitulé La culture de l’inceste. Sur le modèle de la désignation féministe « culture du viol » l’essai nomme une des violences les plus invisibilisées et pourtant les plus structurelles de nos sociétés : l’inceste. Loin du « tabou universel » posé de façon quelque peu péremptoire par l’anthropologie classique, l’inceste touche en fait un grand nombre de personnes. Ainsi, selon un sondage Ipsos de novembre 2020, réalisé pour l’association Face à l’inceste, un Français sur dix affirme avoir été victime de violences sexuelles dans l’enfance, dans 80% des cas dans la sphère familiale (p. 47, J. Drouar).

A partir du mouvement mondial Me Too, initié en 2007 et popularisé en 2017, à la suite de l’affaire Weinstein, la prise de parole des femmes devient plus fréquente, vouée à faire savoir que le viol et les agressions sexuelles sont plus courantes qu’on ne l’imagine, facilitant la prise de parole d’autres victimes. Elle adopte parfois des modalités particulières suivant les pays. En France, outre Balance Ton Porc, lancé en octobre 2017 par la journaliste Sandra Muller, le mouvement prend forme autour de la libération de la parole des femmes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance. Adèle Haenel, Vanessa Springora et Camille Kouchner figurent parmi les pionnières et ses ambassadrices. Dans ce contexte, et encore encouragé.e.s par l’accueil donné au livre de Camille Kouchner La familia grande, déchiré entre le scandale et la tentative de réinstaurer le silence, un groupe de chercheu.r.se.s, dont Iris Brey, Juliet Drouar, Dorothée Dussy ou Tal Piterbraut-Max, décide de franchir le pas et s’atteler à l’analyse politique de l’inceste, le posant comme fait social, et même comme élément structurant du social.

Juliet Drouar définit en effet l’inceste dans son article « comme un acte de domination pour asseoir et bénéficier des positions de domination liées à l’âge et au sexe qui fondent la famille occidentale. Comme un acte de domination d’une nature spécifique, « par le sexe », lié au sexisme. Comme un acte de domination parmi d’autres et qui s’inscrit dans le fonctionnement général d’une société basée sur le principe de domination » (pp. 48-49, Juliet Drouar). On signalera ici qu’il est possible d’y reconnaître le principe informant la violence relationnelle subordonnante, étudié à propos des violences de genre spécifiquement portées sur les femmes ou des violences exercées dans le cadre de la construction de la catégorie de race. L’inceste enferme sans doute des complexités supplémentaires, comme le rapport au même, mais il fait bien partie de cette grande famille de violences relationnelles subordonnantes, à la fois produit et gage d’un système de domination. C’est pourquoi, comme le signalent dans l’ouvrage les chercheu.r.se.s réuni.e.s, le combattre suppose de remettre en question le principe de domination qui constitue les identités sociales et régit les liens entre individus. Sans doute est-il fondamental, encore aujourd’hui, de le dire et le redire jusqu’à l’épuisement, car, si toutes les violences relationnelles structurelles demeurent déréalisées, ceci est encore plus vrai pour l’inceste, dont on efface toujours les tragiques contours et qu’on réduit au silence.

Le recueil a été entièrement rédigé par des personnes possédant la double casquette de cheurche.r.se.s et d’incesté.es. Elles écrivent ainsi d’un point de vue à la fois intérieur et extérieur. Un point de vue connaissant du bout des doigt une réalité douloureuse et méconnue, puisque le système de domination s’efforce de l’effacer aux yeux de tous, avec son ressenti, ses conséquences et le parcours qu’elle entraîne chez une victime d’inceste pour se reconstruire. L’enfer, somme toute, duquel une victime d’inceste n’a pas d’autre choix que de triompher. Pas toujours, peut-être, car Tal Piterbraut-Max s’est malheureusement suicidé.e après avoir écrit son article. Cependant, la plupart d’auteurs/autrices ayant suffisamment triomphé de ce passé pour mener une vie relativement apaisée, leur écriture navigue dans l’ouvrage entre la distance analytique et la profonde connaissance de la réalité traitée, source autant de détails que d’empathie.

Le livre reste donc un OVNI au milieu d’un culte du silence qui ne fléchit pas. Il permet de réfléchir avec justesse, me semble-t-il, à la situation de l’inceste, pris dans la dialectique norme-exception où nos cultures situent, pour mieux les invisibiliser, toutes les violences structurelles relationnelles. Ainsi, si l’inceste n’est pas la norme, il reste bien, tout comme les violences faites aux femmes, un produit de la norme qui touche une large frange de la population (10%). Infléchir cette désastreuses réalité passe donc, comme c’est le cas pour les violences faites aux femmes, par infléchir les identités sociales et les rapports de pouvoir qui s’établissent entre elles. Un argument de plus, s’il en fallait, pour enfin sommer nos dirigeants de prendre la décision politique de nous conduire vers un autre monde, non pas par l’application de « patchs » plus ou moins bienvenus suivant les contextes, mais par la coordination des solutions données à ce type de problème, insérées dans le même panorama global alternatif à la superstructure dont ils émanent : la société patriarcale.

Le recueil d’articles évoque, puisque le problème est global, des questions de fond que résoudre passerait par infléchir tout le système. Trois d’entre elles sont la place que l’on peut accorder dans le social à l’enfance, les inconséquences de la culture populaire à l’égard de l’inceste et l’irresponsabilité des pouvoirs publics qui, en ignorant son invisibilisation, tombent dans une acceptation tacite de l’ordre établi.

Dans la mesure où, en Occident, l’enfance s’insère entre une idéalisation extrême, qui nous pousse à dessiner mentalement ses paysages comme paradis perdu, et un mépris tout aussi extrême, avec des autodénommés pro-vie qui s’obstinent à faire naître des enfants sans assurer leur devenir, ou des réseaux de prostitution captant impunément des enfants des pays émergents ou issus de l’immigration clandestine, une réflexion de ce type est réellement bienvenue. Car il ne fait pas de doute que le premier problème que pose l’enfance est la difficulté à la situer dans son véritable contexte, insérée au milieu d’un nœud de rapports de pouvoir, d’âge et de sexe, très peu visibles de l’extérieur, puisque situés dans le vase clos qu’est toujours la famille.

Puis, l’essai évoque la culture populaire de la pornographie et les lieux communs qui dans le langage en dérivent, par le biais de l’article d’Ovidie, personnalité qui connaît également cette réalité de l’intérieur. Elle explore ainsi les nouvelles modes venues des Etats-Unis, mettant en scène un inceste heureux par le biais des figures de la step momp, step dad et du scénario récurrent montrant les rapports entre frère et sœur. Nous connaissons déjà, par l’impact de la pornographie sur les violences faites aux femmes, les nuisances que ce type de fictions peuvent avoir, alors même qu’elles ne sont pas explicitées comme telles et que beaucoup de spectateurs, particulièrement s’ils sont jeunes, les interprètent comme ayant trait à une certaine réalité. Comme dans la dérive que l’enfance peut connaître par manque de zèle institutionnel, entre en jeu alors l’irresponsabilité dont font preuve les pouvoirs publics à l’égard de toutes ces questions.

L’œuvre dirigée par Iris Brey et Juliet Drouar explore une violence qui, si elle est encore incroyablement invisibilisée, n’en reste pas moins structurelle, et donc sujette au même système de domination que les autres : le patriarcat. Il ne fait pas de doute que l’heure est venue, comme pour les autres, d’y mettre un terme en infléchissant les identités sociales et le rapport qu’entre elles établit ce système, et ceci par le biais de nouveaux projets politiques alternatifs, sérieux, panoramiques, réfléchis, et non par l’application de « patchs » issus d’un effet de mode, comme cela est malheureusement encore le cas.

Iris Brey et Juliet Drouar (sous la direction de), La culture de l’inceste, Paris, Seuil, 2022.

Illustration 1

 Gustav Moreau, Le Victorieux Sphinx (détail), 1886.

La cultura del incesto

En septiembre de 2022, bajo la dirección de I. Brey y de J. Drouar, la editorial Seuil editó un compendio de artículos titulado La cultura del incesto. El ensayo trata de discernir las causas de una de las violencias más invisibilizadas y estructurales de nuestras sociedades: el incesto.

En septiembre de 2022, bajo la dirección de I. Brey y de J. Drouar, la editora Seuil publica un compendio de artículos titulado La cultura del incesto. Sobre el modelo de la expresión feminista “cultura de la violación”, el ensayo nombra una de las violencias más invisibilizadas y sin embargo estructurales de nuestras sociedades: el incesto. Lejos del “tabú universal” postulado quizá de forma precipitada por la antropología clásica, el incesto afecta en realidad a gran número de personas. De este modo, según la encuesta Ipsos de noviembre de 2020, realizada para la asociación Frente al incesto, un francés de cada diez afirma haber sido víctima de violencias sexuales en la infancia, en un 80% de los casos, en la esfera familiar (p. 47, J. Drouar).

Tras el movimiento mundial Me Too, que empezó en 2007 y se popularizó en 2017, con el caso Weinstein, la toma de palabra de las mujeres se vuelve más corriente. Va encaminada a dar a conocer a la opinión pública que la violación y las agresiones sexuales son más comunes de lo que se pensaba, con el fin de facilitar la expresión de otras víctimas y la solución del problema. Según los países, adopta a veces modalidades particulares. En Francia, además del movimiento “Designa a tu Cerdo”, lanzado en octubre de 2017 por la periodista Sandra Muller, la toma de palabra se efectúa en torno a mujeres que han sufrido violencias sexuales en la infancia. Adèle Haenel, Vanessa Springora y Camille Kouchner son las pioneras y embajadoras de esa liberación. En este contexto, y animado por la acogida que recibió el libro de Camille Kouchner La familia grande, a caballo entre el escándalo y la tentativa de restituir la capa de hormigón que aseguraba el silencio, un grupo de investigador.e.a.s, entre l@s cuales se encuentran Iris Brey, Juliet Drouar, Dorothée Dussy o Tal Piterbraut-Max, decide avanzar y emprender el análisis político del incesto, considerándolo como hecho social, y hasta como elemento social estructurante.

En su artículo, Juliet Drouar define en efecto el incesto como “un acto de dominación encaminado a afianzar y extraer beneficio de las posiciones de dominación ligadas a la edad y al sexo que fundan la familia occidental. Como acto de dominación de particular naturaleza, “vinculada al sexo”, ligada al sexismo. Como un acto de dominación entre otros, que se inscribe en el funcionamiento general de una sociedad basada en el principio de dominación” (pp. 48-49, Juliet Drouar). Nos permitiremos señalar que se puede reconocer en la definición el principio de la violencia relacional subordinante, ya estudiado a propósito de las violencias de género específicamente dirigidas contra las mujeres, o de las violencias ejercidas en el marco de la construcción de la categoría de raza. Sin duda el incesto encierra complejidades adicionales, como la relación a un@ mismo que fatalmente conlleva para el/la agresor@ la relación a un/a hij@, pero integra la gran familia de las violencias relacionales subordinantes, a la vez producto y garantía de reconducción de un sistema de dominación. Por eso, como lo señalan l@s investigador.e.a.s reunid@ para esta obra, combatirlo supone cuestionar el principio de dominación que funda las identidades sociales y rige los vínculos entre individuos. Sin duda es todavía hoy fundamental decirlo, y decirlo hasta el agotamiento, pues, si todas las violencias relaciones estructurales se invisibilizan, esto es todavía más cierto para el incesto, cuyos trágicos contornos se difuminan y que aún hoy se reduce al silencio.

El compendio de artículos ha sido redactado por completo por investigador.e.a.s también víctimas de incesto. El punto de vista desde el que escriben es por tanto a la vez interior y exterior. Un punto de vista que conoce al dedillo una dolorosa realidad bastante ignorada, puesto que el sistema se esfuerza en borrarla, con sus vivencias, sus consecuencias y el recorrido que una víctima de incesto debe llevar a cabo para reconstruirse. El infierno, al fin y al cabo, que una victima de incesto debe superar, por no quedarle otra posibilidad. Quizá no siempre, pues Tal Piterbraut-Max por desgracia se ha suicidado tras haber terminado su artículo. Pero, como much@s de ell@s han logrado llevar a cabo esa hazaña lo suficiente como para llevar una vida relativamente asentada, su escritura navega entre la distancia analítica y el profundo conocimiento generador tanto de detalle como de empatía.

El libro no deja de ser un OVNI, en medio de un culto al silencio que no ceja. Sus artículos dan sobrada materia de reflexión sobre la exacta situación del incesto, inserto, como las otras violencias estructurales relacionales, dentro de una dialéctica norma-excepción que agudiza su invisibilidad. De este modo, si bien el incesto no es la norma, no deja de ser, como las violencias de género sobre las mujeres, un producto de la norma que afecta a un amplio sector de la población, 10%. Terminar con esta desastrosa realidad exige, como sucede con las violencias de género ejercidas sobre las mujeres, que se alteren las identidades sociales y las relaciones de poder que entre ellas se establecen. Un argumento más, si es que todavía hacían falta, para exigirles a nuestros dirigentes que tomen por fin la decisión política de conducirnos hacia otro mundo, no aplicando “parches”, más o menos bienvenidos según los contextos, sino coordinando las soluciones aportadas a cada problema dentro de la misma propuesta alternativa global a la realidad de la que casi todos derivan: la sociedad patriarcal.

Puesto que el problema es global, el compendio de artículos evoca cuestiones de fondo cuya solución exigiría que se trastocase el sistema entero. Tres de ellas son el lugar que en la sociedad debe tener la infancia, las inconsecuencias a las que da lugar la cultura popular a propósito del incesto y la irresponsabilidad de los poderes públicos que, al ignorar la invisibilización de que éste es objeto, incurre en la tacita aceptación de su realidad.

En la medida en que, en nuestras sociedades, la infancia toma lugar entre una extrema idealización, que nos empuja a dibujar mentalmente sus paisajes como paraíso perdido, y un desprecio igualmente extremo, en el que los autodenominados provida continúan trayendo al mundo niños sin asegurar su devenir, o las redes de prostitución captando impunemente l@s que emanan de países emergentes o de la inmigración clandestina, una reflexión de ese tipo realmente es bienvenida. Pues no cabe duda de que el primer problema que la infancia plantea es la dificultad de situarla en su auténtico contexto, inserta en un nudo de relaciones de poder, de edad y de sexo, muy poco visibles desde fuera, puesto que se dan en la realidad cerrada de la familia.

El ensayo evoca también la cultura popular de la pornografía y los lugares comunes que de ella derivan a través de la escritura de Ovidie, una personalidad que también conoce desde el interior dicha realidad. La autora explora las modas venidas de Estados-Unidos que, a través de las figuras de la step mom, el step dad y los guiones en que las relaciones entre herman@s son recurrentes, aluden a una especie de “incesto feliz”. Conocemos ya, por el impacto que la pornografía tiene sobre las violencias hacia las mujeres, lo nocivas que dichas ficciones pueden resultar, sobre todo en la medida en que no suelen venir claramente delimitadas como tales y much@s espectador.e.a.s, en particular jóvenes, las interpretan como derivadas de cierta realidad. Como sucedía con las derivas que la infancia puede conocer por falta de vigilancia institucional, entra aquí en juego la irresponsabilidad que los poderes públicos pueden demostrar hacia este tipo de problemáticas. 

La obra dirigida por Iris Brey y Juliet Drouar explora una violencia que, si bien se encuentra todavía increíblemente invisibilizada, no deja de ser estructural y de estar sujeta al mismo sistema de dominación que las demás: el patriarcado. No cabe duda de que, como sucede con las demás, ha llegado la hora de ponerle fin, alterando las identidades sociales y la relación que entre ellas se establece. Queremos que esto se realice a través de nuevos proyectos políticos, serios, panorámicos, meditados, que no se limiten a aplicar “parches” emanados de un efecto de moda, como todavía sucede aún por desgracia con muchas de estas problemáticas.

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