Octobre 2025
La pornographie représente des contenus directement sexuels à des fins d’excitation du public qui les reçoit. Plus brutale et immédiate que l’érotisme, elle a toujours existé. Au XXème siècle, elle évolue au gré des progrès techniques. Lorsque la vidéo et la télévision se généralisent, elle s’assimile à la production de films X. Avec le développement d’Internet et le « streaming », elle prend de l’ampleur : les restrictions liées à l’âge et au prix de vente sont plus facilement contournées, de même que les lois concernant les droits des actrices et la nature des images.
La pornographie tend à reproduire les structures sociales de pouvoir, prolongeant et exacerbant les inégalités homme/femme. Une grande partie de la production exploite, voire maltraite, humilie et brutalise le corps féminin pour un regard masculin. Des offres moins hétéropatriarcales ont vu le jour, comme le porno féministe ou gay ou lesbien. Dans ses pratiques, comme dans les imaginaires qu’elle développe, généralement la pornographie renforce le pouvoir.
Le site French Bukkake, qui diffuse des vidéos pornographiques ultraviolentes, se trouve au centre d’un scandale humanitaire. Dès 2020, quarante-deux personnes et quatre associations (Les Effrontées, le Mouvement du Nid, Osez le féminisme et la Ligue des droits de l’Homme) ont porté plainte. Leurrées pour leur recrutement, les victimes étaient soumises contre leur volonté à des pratiques bestiales, dont la diffusion massive a fini de briser leur vie sociale, après le trauma du tournage. J’ai lu le livre coordonné par Stéphanie Khayat, Sous nos regards. Récits de la violence pornographique, aux Ed. Seuil. Il porte le témoignage des victimes, il m’a glacé le sang.
L’affaire met en examen 17 personnes (dont Pascal Ollitrault, dit Pascal OP, détenteur du site) pour des faits de viol -souvent en réunion-, traite d’êtres humains, proxénétisme aggravé et travail dissimulé. Cassation25, la Cour de cassation a reconnu les circonstances aggravantes de « sexisme » et « racisme », mais pas celles de « tortures et actes de barbarie ». Les peines encourues passent ainsi de vingt à trente ans. L'affaire ne relève plus de la Cour criminelle, mais de la Cour d’assises.
L’enquête a révélé que l’équipe repérait sur les réseaux des jeunes femmes fragiles, qu’elle appâtait et piégeait avec une mécanique étudiée, rôdée et inhumaine. Sous le nom d’Axelle Vercoutre, un certain Julien Dhaussy les attirait, devenant d’abord leur amie, puis promettant de larges rémunérations pour leur faire tourner des vidéos pornographiques seulement diffusées au Canada. En fait, les victimes ont souvent été violées avant le tournage, puis durant le tournage devant la caméra, pour des scènes très dégradantes. Ainsi, le bukkake, qui donne son nom au site, consiste à ce que des dizaines d’hommes éjaculent sur une femme.
Il est regrettable que la justice n’ait pas saisi l’occasion pour porter un coup aux modes de recrutement employés par la prostitution et la pornographie les plus malsaines. Je vois dans les témoignages le recours réitéré à des méthodes éprouvées pour soumettre la volonté et briser l’individu. La justice aurait dû s’en inquiéter d’autant plus qu’elles peuvent un jour toucher nos filles, toucher n’importe qui. Il y a eu « tortures et actes de barbarie » parce qu’il y a eu abus de faiblesse pour imposer ces sévices.
Signalons, en premier lieu, qu’il existe un profil pour les filles sélectionnées : la plupart ont vécu des épisodes traumatiques dans l’enfance, voire très traumatiques – abandon, agression sexuelle, inceste… Or, des processus physiologiques comme la dissociation ou la sidération, qui se mettent en marche durant une agression et bloquent la victime, se déclenchent plus facilement lorsque la victime a déjà subi des violences. Puis, le recours à « Axelle » : la mise en confiance par la duperie n’est pas un deal ouvert et frontal, me semble-t-il. Pourquoi ce stratagème s’il s’agissait d’obtenir un consentement net et éclairé ? C’est plutôt une dépendance, voire une contrainte psychologique, que le recours à Axelle était susceptible d’installer… Les victimes étaient d’autant moins consentantes qu’elles arrivaient au tournage sans savoir ce qu’elles avaient à faire et passaient des accords qui n’étaient pas respectés... Parfois, on leur délivrait de l’alcool ou de la cocaïne. Un juge avait considéré, lors du premier procès, que la volonté de celles qui les avaient acceptés était là… C’est plutôt le contraire : certaines ont accepté parce qu’elles étaient sous emprise, voire dissociées.
Qu’est-ce que tout cela ? L’emprise psychologique est une dépendance affective créée par la manipulation de quelqu’un, qui dispose d’un ascendant sur la personne. Phase obligée des violences dans le couple, elle peut toucher tout le monde.
La dissociation est un mécanisme de défense psychique du corps humain, le Dr. Muriel Salmona les a étudiés. Elle se déclenche en cas de très grand stress et entraîne un état de déconnexion qui se traduit par une anesthésie émotionnelle. En cas d’agression, la victime a l’impression d’être la spectatrice et non la cible. La douleur s’en trouve amoindrie. Elle devient une automate, comme indifférente à la situation. Ce qui est là pour aider à survivre peut devenir un piège dans les cas de violences sexuelles. Moins aptes à se défendre lorsqu’elles sont dissociées, les victimes sont en outre susceptibles de développer une accoutumance.
Les pratiques qu’on a imposées aux plaignantes ont provoqué des dégâts physiques, parfois durables, et des dégâts psychiques : le déchaînement du stress post-traumatique et de la mémoire traumatique. Comme une bombe à retardement, ces mécanismes ramènent et ramènent ce que la dissociation et l’amnésie traumatique évitaient. Une pluie de souvenirs douloureux, inopinés, constants, bombarde les victimes et compromet encore une vie sociale et professionnelle déjà en sursis.
Plus que le procès qui détermine si la notion de proxénétisme s’applique à la pornographie, le procès de l’affaire French Bukkake aurait dû être celui de la mise sous contrainte psychologique, que l’on retrouve massivement dans la prostitution et la pornographie. Pourquoi occulter la pratique de l’appât, qui peut toucher tant de jeunes filles, fragiles ou simplement crédules ? Pourquoi poursuivre la désinformation sur des processus psychologiques étudiés, alors que leur connaissance permettrait aux jeunes filles de se défendre ? Pourquoi ne pas se décider à changer le rapport homme-femme, si impacté par la pornographie, et venir à bout de la culture du viol, cause première de toutes ces dérives ? La cause est claire : parce qu’il n’y a pas de volonté politique. Parce que nous sommes toujours minorées, considérées citoyennes de seconde zone. Parce que l’argutie des deux sortes de femmes, perdues ou vertueuses, tourne encore à plein régime pour leur garantir l’impunité. Redoublons d’effort pour venir à bout de cet appareillage. L’affaire French Bukkake peut faire jurisprudence, avec 42 témoignages qui rendent compte de la soumission psychique, elle reste une occasion ratée.

Gustav Moreau, Le Victorieux Sphinx (détail), 1886.
El caso French Bukkake, una oportunidad perdida para denunciar el abuso psicológico
La página French Bukkake difundía videos pornográficos de extrema violencia. Para rodar violaciones reales, recurría a la manipulación y al abuso psicológico. Un juicio está en curso.
Octubre de 2025
La pornografía representa contenidos directamente sexuales, a fines de excitación del público que los recibe. Más brutal e inmediata que el erotismo, siempre ha existido. En el siglo XX, evoluciona pareja a los progresos técnicos. Cuando el vídeo y la televisión se generalizan, se confunde con las películas X. Crece con el desarrollo de Internet y el “streaming”, pues se allanan las restricciones vinculadas a la edad y al precio de venta o las generadas por las leyes que protegen a las actrices y reglamentan las imágenes.
La pornografía tiende a reproducir las estructuras sociales de poder, prolongando y exacerbando las desigualdades entre hombres y mujeres. Gran parte de la producción explota, o incluso maltrata, humilla, brutaliza el cuerpo femenino para una mirada masculina. Nacen géneros menos heteropatriarcales, como el porno feminista o gay o lesbiano. En las prácticas, al igual que en los imaginarios que desarrolla, la pornografía suele reforzar al poder.
La página French Bukkake, que difunde videos pornográficos ultraviolentos, es objeto de un escándalo humanitario. Cuarenta y dos personas y cuatro asociaciones (Les Effrontées, le Mouvement du Nid, Osez le féminisme y la Ligue des droits de l’Homme) presentaron denuncia en 2020. Captadas mediante engaños, las víctimas eran sometidas contra su voluntad a prácticas bestiales, cuya difusión masiva ha terminado de destrozar su vida social, tras el trauma del rodaje. He leído el libro coordinado por Stéphane Khaya, Sous nos regards. Récits de la violence pornographique, en Ed. Seuil. Contiene los testimonios de las víctimas y me ha dejado helada.
El caso encausa a 17 personas (entre las cuales Pascal Ollitrault, llamado Pascal OP, propietario de la página) por hechos de violación -a menudo en grupo-, trata de seres humanos, proxenetismo agravado y trabajo encubierto. En mayo de 2025, el Tribunal supremo reconoció circunstancias agravantes de “sexismo” y “racismo”, pero no de “torturas y actos de barbarie”. Con esto, las penas aplicables pasaron de veinte a treinta años y el caso a ser juzgado en lo penal.
La investigación ha revelado que el equipo seleccionaba a jóvenes frágiles, que engatusaba y cazaba con una mecánica estudiada, calculada e inhumana. Con el nombre de Axelle Vercoutre, un tal Julien Dhaussy las atraía, primero haciéndose amiga y luego prometiéndoles una buena remuneración por rodar videos pornográficos que solo se verían en Canadá. En realidad, las víctimas solían ser violadas antes y durante el rodaje, frente a la cámara, para escenas muy degradantes. El bukkake, que da nombre a la página, consiste en que decenas de hombres eyaculen sobre una mujer.
Es lamentable que la justicia no haya aprovechado la oportunidad para darle una estocada a los métodos de captación de la prostitución y la pornografía más malsana. Los testimonios muestran que se recurre a métodos conocidos para someter la voluntad y destrozar al individuo una y otra vez. La justicia habría hecho tanto mejor en sancionarlos cuanto que pueden llegar a afectar a alguien conocido, afectar a cualquiera. Ha habido “torturas y actos de barbarie” porque ha habido abuso para imponerlos.
Señalemos, en primer lugar, que las seleccionadas responden a un perfil: la mayoría han vivido episodios traumáticos en la infancia, o incluso muy traumáticos -abandono, agresión sexual, incesto… Procesos psicológicos como la disociación o la sideración, que se ponen en marcha durante una agresión y bloquean a la víctima, se dan con mayor facilidad cuando ésta ya ha sufrido maltrato. Y el recurso a “Axelle”: ganarse a la persona mediante engaños no es un deal abierto y frontal, creo yo. ¿Por qué tal estratagema si se trataba de obtener un consentimiento claro y cabal? Es más bien una dependencia, o incluso una coacción, lo que instalaba el recurso a Axelle… Las víctimas consentían tanto menos cuanto que se presentaban en el rodaje sin saber lo que tendrían que hacer y llegaban a acuerdos que no se respetaban… A veces, se les suministraba alcohol o cocaína. En el primer juicio un juez consideró que había voluntad por parte de las que los habían aceptado… Es más bien lo contrario: algunas aceptaron porque ya estaban bajo dominio, o hasta disociadas.
¿Qué es todo eso? El dominio psicológico es una dependencia afectiva creada por algún manipulador, que influye a la persona. Fase obligatoria de las violencias de género en pareja, puede afectar a cualquiera.
La disociación es un mecanismo de defensa psíquica del cuerpo humano, el dr. Muriel Salmona los ha estudiado. Se desencadena cuando la persona se ve desbordada por el estrés y conlleva un estado de desconexión que se traduce por una anestesia emocional. A la víctima le da la impresión de presenciar solamente la agresión. El dolor disminuye. La agredida se vuelve un autómata, parece indiferente. Lo que debía ayudar a sobrevivir, en caso de violencias sexuales se vuelve una trampa. Menos aptas para defenderse estando disociadas, las víctimas hasta pueden volverse dependientes.
Las prácticas que han sufrido las denunciantes han provocado destrozos físicos, a veces duraderos, y psíquicos: oleadas de estrés postraumático y memoria traumática. Como una bomba de relojería, traen una y otra vez lo que la disociación y la amnesia traumática evitaban. Una lluvia de recuerdos dolorosos, imprevisibles, constantes bombardea a las víctimas, comprometiendo aún más una vida social y profesional suspendidas.
Más que el juicio que determine si la noción de proxenetismo se aplica a la pornografía, el del French Bukkake tenía que haber sido el de la sumisión psíquica, masivamente utilizada en prostitución y pornografía. ¿Por qué ocultar que se usa un cebo, cuando puede afectar a tantas jóvenes, frágiles o simplemente ingenuas? ¿Por qué seguir desinformando sobre procesos psicológicos estudiados, cuando conocerlos les permitiría defenderse? ¿Por qué no decidirse a cambiar el tipo de relación entre hombres y mujeres, tan impactado por la pornografía, y terminar con la cultura de la violación, causa de tantas derivas? La razón es evidente: porque no hay voluntad política. Porque se nos sigue minorando, considerando ciudadanas de segunda. Porque la argucia de los dos tipos de mujeres, perdidas o virtuosas, sigue garantizándoles impunidad. Redoblemos de esfuerzo, para terminar con el dispositivo. Aunque el caso French Bukkake haga jurisprudencia, con 42 testimonios que conllevan abuso psíquico, será una oportunidad perdida.