Un régime théocratique s’est mis en place en Iran depuis 1979, lorsque la République islamique est venue substituer le régime du Chah d’Iran. Si la révolte dont il émane correspondait à ses débuts à un grand espoir de la population, dans un contexte de décolonisation et de sentiment anti-occidental et anti-impérialiste, ce régime a vite dérivé vers un autoritarisme dont la rhétorique adoptait avec cynisme la façade du fonctionnement démocratique. Le régime iranien est en effet un régime hybride, reposant sur la façade d’une supposée compétition électorale aussi bien que sur un autoritarisme de moins en moins voilé, qui met en échec l’Etat de droit. L’usage de la rhétorique étant fondamental dans ce type de régime, le régime iranien n’a pas dérogé à cette règle. Sa rhétorique repose donc depuis des années sur l’idéalisation de la grandeur passée, l’appel à sa « reconquête » qui passerait par confronter la dépravation occidentale et un usage abondant des stéréotypes du masculin et du féminin pour structurer cette dichotomie entre l’Orient et l’Occident. S’il n’est tout de même pas possible de la qualifier d’habile, nul ne peut en revanche nier qu’elle ait été efficace. Sur le plan interne, elle a fait de toute personne partageant les valeurs sur lesquelles sont fondées les démocraties occidentales un ennemi, un traître et un déviant. La dichotomie Occident-Orient posée au niveau national en partie grâce à l’usage des stéréotypes de genre superpose en effet au premier la démocratie, le mélange, la féminité et la dépravation, réservant à l’autre le nationalisme, l’anti-universalisme, la virilité et la capacité d’action. Sur le plan externe, la rhétorique du régime optimise pour tenir la population le ressentiment légitime contre un Occident in fine artisan des réalités du Nord et du Sud global qui divisent aujourd’hui la planète.
Cependant, au-delà du discours, le régime iranien possède des réalités qui se trouvent parfois loin de coïncider avec lui. Malgré l’obéissance entretenue chez toute la population, l’ordre social est loin d’être égalitaire en Iran : le régime repose essentiellement sur les hommes d’affaires, les (para)militaires et les agents publics, les élites fonctionnant pour beaucoup à la collusion et à la corruption. Tout comme cela était le cas pour le fonctionnement démocratique, l’existence d’intellectuels est en partie fictive et orchestrée : tandis que les intellectuels indépendants sont tenus à l’écart du jeu social au moyen de la répression, un groupe d’intellectuels de façade fait le jeu du pouvoir pour le légitimer. L’ordre émanant de ce régime est si fermé que le passage des années n’a pu que le scléroser. Le régime iranien qui se présente aujourd’hui est ainsi un régime vieillissant, handicapé par l’excès de bureaucratie, qui produit des collusions dans les compétences et la gestion des problèmes, et rongé par les rivalités que la perspective d’une succession du Guide suprême a développées. Si on rajoute à ces traits l’importante militarisation, qui n’a fait que croître durant les dernières décennies, le régime iranien se trouve en réalité plutôt mal paré aujourd’hui pour gérer la dissidence. De plus en plus, face à un conflit, la solution politique de réconcilier une société divisée s’est éloignée de ses possibilités, la fuite en avant répressive étant probablement la seule réponse qu’il a capacité à donner.
Et cette réponse, ça fait longtemps que le régime la donne. Elle a abondamment été utilisée durant les dernières révoltes, provoquées par la faim et la misère qui, dans un contexte d’inflation généralisée, ont sévi dans le pays comme conséquence de la diminution des subventions de l’Etat. Le prix des denrées basiques s’étant parfois multiplié par deux ou par trois, des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays, 43 à 45% de la population iranienne vivant sous le seuil de pauvreté. Déjà le pouvoir en place n’a su que réprimer les revendications en tirant à balles réelles et en coupant internet pour empêcher les dissidents de communiquer. Il a également créé une diversion par une surenchère idéologique, durcissant la répression exercée sur les femmes, qui n’étaient pourtant déjà que 11% dans la vie active. Le régime a ainsi durci le contrôle du port du hijab, prôné une politique nataliste encourageant les mariages précoces et ségrégué les femmes et les hommes dans les parcs.
C’est dans ce contexte très tendu qu’éclate l’actuelle révolte, initiée par les femmes, dont le détonateur est le tabassage à mort de Mahsa Amini, une jeune kurde de 22 ans alors en visite à Téhéran, par la police des mœurs, qui l’avait arrêtée pour avoir mal porté son voile. Dès son enterrement, des manifestations ont eu lieu, aux cris de « marg borg diktator » (mort au dictateur) et « le hidbjab l’a tuée ». Elles se sont poursuivies, d’abord au Kurdistan puis dans le reste du pays. Mahsa Amini est devenue le symbole de l’oppression des femmes aux mains de la République islamique d’Iran et de la brutalité du régime. A ces manifestations pacifiques, le régime n’a su donner que la seule réponse dont il semble aujourd’hui capable : une répression démesurée, qui à la fin septembre avait déjà produit soixante morts et un millier d’arrestations.
Si la première vague de révoltes avait été principalement féminine, portée par le slogan « Femme, Vie, Liberté » et axée sur le refus du voile obligatoire, les manifestations ont rapidement intégré également des hommes et les revendications se sont étendues de la fin du voile obligatoire à celle du régime. Les affrontements, pacifiques à l’origine, ont, eux aussi, tourné à la bataille de rue. Les manifestants ont attaqué les symboles de la République islamique, brûlant publiquement les portraits de certains de ses représentants majeurs, comme la figure de martyr du général Qassem Soleimani ou le propre Guide suprême, Al Khamenei. Puis, malgré la brutalité bien connue du régime, nombre de protestataires n’ont plus hésité à lyncher les agents tombés entre leurs mains, ce qui était encore impensable dans un passé récent. Finalement, quelques voix dissidentes se sont élevées timidement au sein même du régime, plusieurs personnalités religieuses et politiques ayant regretté publiquement la mort de Mahsa Amini et des chaînes de télévision nationale ayant évoqué la revendication sur le voile. En effet, dans un contexte aussi fermé cela revient déjà à critiquer le régime.
La révolte déclenchée par l’assassinat de Mahsa Amini apparaît comme différente des précédentes pour plusieurs motifs. C’est tout d’abord une révolte menée par de très jeunes gens, ce qui explique sans doute la place que les réseaux sociaux - Whatsapp, TikTok, Instagram – ont pris pour communiquer, aussi bien avec l’intérieur qu’avec l’extérieur du pays. C’est grâce à eux qu’un des gestes individuels de révolte des femmes iraniennes, celui d’ôter leur voile ou même de le brûler face à la caméra, a pu être relayé en Occident. La mixité du mouvement contestataire est également remarquable dans un pays qui pratique la ségrégation sexuelle, car elle brise l’image d’Épinal d’une population masculine faisant bloc dans la visée d’installer un horizon culturel de domination. Si la bataille que mènent les protestataires est culturelle, sociale et religieuse, la fracture avec le régime apparaît comme étant surtout culturelle : c’est la sortie du carcan religieux que les manifestants revendiquent désormais. A ce propos, c’est un atout de la révolte que d’avoir fédéré des mouvements sociaux lui préexistant. La lutte des femmes dure en effet depuis une trentaine d’années, agissant activement dans la société civile depuis une vingtaine d’années, au point de s’être fait souvent pour cela cible d’attaques programmées par l’Etat. Si ses revendications étaient jusque-là surtout sociales, avec l’avancée de la révolte, elle a joint sa voix à la demande de sécularisation en Iran. C’est probablement le contexte politique qui rend possible la formulation ouverte pour la première fois d’une demande de sortie du carcan religieux. Le régime semble en effet être parvenu à une impasse dont l’actuelle révolte ne peut que bénéficier, donnée par la fuite en avant répressive systématique, le vieillissement de ses leaders et la gangrène bureaucratique et militaire.
Quel sera le devenir de la révolte en Iran ? Peut-on réellement espérer la chute d’un régime particulièrement tyrannique pour les femmes, alors même qu’il est aux abois et que c’est dans leur oppression que se chiffre, déjà depuis un certain temps, son identité chancelante ? Au sein de la propre population féminine associée à un horizon culturel périmusulman l’obligation du port du voile fait débat, le clivage existant entre l’Occident - où elle revendique avec récurrence le droit de le porter - et l’Orient - où elle en arrive à risquer sa vie, comme ici, pour refuser cette obligation - n’échappant désormais à personne. A une période de dérive de l’Islam, à la suite de son instrumentalisation comme vecteur d’opposition à l’Occident, dans un cadre de décolonisation culturelle, certain.e.s d’entre nous se prennent à rêver que la révolte iranienne sonne le début d’une émancipation autochtone des pays musulmans, qui débouche sur une société civile égalitaire régie par les mécanismes que ces pays auront eux-mêmes produits et installés.

Gustav Moreau, Le Victorieux Sphinx (détail), 1886.
Mujeres, vida, libertad
Desde que una joven fuera asesinada por el régimen a causa de la forma en que llevaba el velo, una rebelión popular afronta la teocracia iraní. Una ocasión para interrogarse acerca de la especificidad de dicha revuelta y de los horizontes de expectativa que abre.
Un régimen teocrático gobierna Irán desde 1979, cuando la República islámica sustituye al régimen del Chah de Irán. Si la rebelión de la que emana correspondía en inicio a una gran esperanza de la población, en un contexto de descolonización y de sentimiento antioccidental y antiimperialista, el régimen deriva rápidamente hacia un autoritarismo cuya retórica adopta con cinismo la fachada del funcionamiento democrático. El régimen iraní es en efecto un régimen hibrido, que reposa sobre la fachada de una supuesta competición electoral tanto como sobre un autoritarismo cada vez menos velado, incompatible con el Estado de derecho. El uso de la retórica es esencial para ese tipo de régimen, y el régimen iraní no escapa a esa regla. Su retórica reposa desde hace años sobre la idealización de la grandeza pasada, la llamada a “reconquistarla” enfrentando para ello la depravación occidental y un uso abundante de los estereotipos de género para estructurar dicha dicotomía entre Oriente y Occidente. Si no se puede decir que sea hábil, tampoco se puede negar que haya sido eficaz. A nivel interno convierte a todo individuo que adopte los valores que cimientan las democracias occidentales en enemigo, traidor y degenerado. En efecto, la dicotomía Occidente-Oriente, instalada a nivel nacional en parte gracias al uso de estereotipos de género, identifica al primero con la democracia, la mezcla, la feminidad y la depravación, reservando al segundo el nacionalismo, el antiuniversalismo, la virilidad y la capacidad de acción. A nivel externo, la retórica del régimen optimiza para someter a la población el legítimo rencor hacia un Occidente in fine artífice de las realidades del Norte y del Sur global que hoy dividen al planeta.
Sin embargo, más allá del discurso, el régimen iraní posee realidades que a veces se encuentran alejadas de él. Pese a la obediencia que obtiene por parte de toda la población, dista de ser igualitario: reposa esencialmente sobre los hombres de negocios, los (para)militares y los agentes públicos. Son la colusión y la corrupción lo que rige el comportamiento de sus élites. Como sucedía con el funcionamiento democrático, la existencia de intelectuales es en parte ficticia y se encuentra orquestada: mientras que los intelectuales independientes son excluidos del juego social gracias a la represión, un grupo de intelectuales de fachada sirve al poder para legitimarlo. El orden que emana del régimen es tan cerrado que el paso de los años no ha podido sino esclerosarlo. De este modo, hoy el régimen iraní se presenta como un régimen envejecido, paralizado por el exceso de burocracia, que produce colusiones en las competencias y en la gestión de los problemas, y carcomido por las rivalidades que la perspectiva de la sucesión del Guía supremo ha potenciado. Si a estos rasgos añadimos la importante militarización, que no ha hecho sino crecer en las últimas décadas, el régimen iraní se encuentra en realidad hoy en día mal parado para gestionar la disidencia. La solución política a la hora de enfrentar un conflicto de reconciliar una sociedad dividida se aleja cada vez mas de sus posibilidades, la huida hacia adelante represiva quedando probablemente como la única respuesta de la que es capaz en ese caso.
Y hace mucho que, en dichas circunstancias, el régimen da ese tipo de respuesta. Recurrió abundantemente a ella durante las últimas revueltas, provocadas por el hambre y la miseria que, en un contexto de inflación generalizada, afectaron al país como consecuencia de la disminución de las subvenciones del Estado. El precio de los alimentos básicos llegó a multiplicarse por dos o por tres, provocando manifestaciones espontáneas en todo el país, donde entre el 43 y el 45% de la población vive bajo el umbral de la pobreza. Ya entonces, el poder sólo supo reprimir las reivindicaciones, disparando con balas reales y cortando internet para impedir que los disidentes se comunicaran. Creó también una diversión, al llevar cada vez más lejos su ideología, endureciendo la represión ejercida hacia las mujeres, de las que sin embargo sólo un 11% estaba ya en la vida activa. El régimen ejerció un mayor control sobre el uso del velo, estableció una política natalista incentivando los matrimonios de niñas y segregó en los parques a hombres y mujeres.
Es en ese contexto de tensión cuando estalla la actual rebelión, iniciada por las mujeres, cuyo detonador es la paliza mortal que recibe Mahsa Amini, una joven kurda de 22 años que se encontraba de paso en Teherán, por parte de la policía de la moral, que la había detenido por llevar mal el velo. Ya desde su entierro tienen lugar manifestaciones, al grito de “marg borg diktator” (muerte al dictador) y de “la ha matado el hidjab”. Prosiguen por todo Kurdistan, y más tarde por el resto del país. Mahsa Amini se convierte en el símbolo de la opresión de las mujeres a manos de la República islámica de Irán y de la brutalidad del régimen. A dichas manifestaciones pacíficas el régimen responde de la única forma que actualmente parece saber hacerlo: con una represión desmedida, que a finales de septiembre había producido ya sesenta muertos y unos mil arrestos.
Si la primera oleada de revueltas había sido principalmente femenina, portada por el lema “Mujeres, Vida, Libertad” y centrada sobre el rechazo del velo obligatorio, las manifestaciones integran rápidamente a los hombres y las reivindicaciones se extienden del fin del velo obligatorio al fin del régimen. Los enfrentamientos, pacíficos en origen, evolucionan también hacia las batallas callejeras. Los manifestantes atacan los símbolos de la República islámica, quemando públicamente los retratos de algunos de sus más señeros representantes, como la figura de mártir del general Qassem Soleimani o la del propio Guía supremo, Al Khamenei. Pese a la conocida brutalidad del régimen, muchos manifestantes no dudan ya en linchar a los agentes caídos entre sus manos, algo impensable hace unos años. Finalmente, en el seno del propio régimen se han elevado tímidamente algunas voces disidentes, ya que varias personalidades religiosas y políticas han lamentado públicamente la muerte de Mahsa Amini y que las cadenas de televisión nacional han llegado a evocar la reivindicación del velo. En efecto, en un contexto tan cerrado como el iraní, ello equivale ya a criticar al régimen.
Varios rasgos diferencian de las anteriores la revuelta que desencadena el asesinato de Mahsa Amini. En primer lugar, se trata de una revuelta llevada por gente muy joven, lo que sin duda explica el lugar que en ella ocupan las redes sociales -Whatsapp, TikTok, Instagram- para comunicar, tanto con el interior como con el exterior del país. Es gracias a ellas como uno de los gestos individuales de revuelta de las mujeres iraníes, el de quitarse el velo o incluso quemarlo frente a la cámara, ha podido ser difundido en Occidente. El carácter mixto del movimiento contestatario también es de señalar en un país que practica la segregación sexual, pues rompe la imagen estereotipada de una población masculina unida en la intención de instalar un horizonte cultural de dominación. Si la batalla que llevan a cabo los opositores es cultural, social y religiosa, la fractura con el régimen resulta ante todo cultural: es la salida de la estructura religiosa lo que los manifestantes reivindican ahora. A ese propósito, otro mérito de la revuelta es el de haber mantenido en su seno los movimientos sociales que la precedían. La lucha de las mujeres existe en efecto en Irán desde hace unos treinta años y lleva a cabo acciones en la sociedad civil desde hace unos veinte años, motivo por el que a menudo ha sido objetivo de ataques llevados a cabo por el Estado. Si hasta ahora sus reivindicaciones eran esencialmente sociales, con el avance de la revuelta ha unido su voz a la demanda de secularización. Es probablemente el contexto político lo que hace posible formular por primera vez abiertamente la reivindicación de salir de la estructura religiosa. La huida adelante represiva sistemática, el envejecimiento de los lideres y la gangrena burocrática y militar parecen en efecto haber situado al régimen en una vía sin salida, condición de lo que la revuelta en curso se beneficia.
¿Cuál será el futuro de la revuelta en Irán? ¿Puede un@ esperar realmente la caída de un régimen particularmente tiránico hacia las mujeres, aún cuando éste se encuentra acorralado y es en su opresión donde cifra, desde hace ya tiempo, su identidad vacilante? La obligación de llevar el velo provoca debates entre de la propia población femenina asociada a un horizonte cultural perimusulmán. La oposición que se ha generado entre Occidente -donde reivindica con frecuencia el derecho a llevarlo- y Oriente -donde llega incluso a arriesgar la vida, como ahora, para rechazar esa obligación- no se le escapa ya a nadie. En un periodo de deriva del Islam, como consecuencia de su instrumentalización como vector de oposición a Occidente, en el marco de una descolonización cultural, algun@s de nosotr@s soñamos con que la revuelta iraní de el toque de salida para una emancipación autóctona de los países musulmanes, que desemboque sobre la puesta en marcha de sociedades igualitarias, regidas por mecanismos que ellos mismos hayan creado e instalado.
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