Janvier 2025
A l’issue du procès enduré durant ces trois derniers mois et demi avec un courage admirable par Gisèle Pélicot, j’allais lui consacrer tout ce billet ; les coïncidences de la vie font que je me permette une petite incise. Commençons, bien sûr, par Gisèle Pélicot.
Durant une décennie, Gisèle Pélicot a été victime de viols de la part de son mari et de dizaines d’autres hommes. Droguant sa femme au préalable, Dominique Pélicot conviait d’autres hommes à la violer, il filmait souvent la scène. Un peu par hasard, la police a appris ces faits et les a communiqués à la victime, ce qui lui a permis d’engager un procès pour viols contre les 51 hommes dont la sentence a été prononcée ce 19 décembre. Véritable électrochoc, l’affaire a heurté l’opinion, provoquant que débats et prises position émaillent le déroulement du procès.
Bien au-delà des frontières de la France, le procès des viols de Mazan est devenu historique. Plusieurs éléments expliquent son caractère emblématique. Tout d’abord, Gisèle Pélicot a tenu à ce que son nom soit connu et cité, alors que normalement le nom de la victime n’est pas dévoilé dans les procès pour viol. Gisèle Pélicot a dit vouloir confronter l’opinion publique à ce qu’elle a subi, entre autres pour aider les femmes qui traverseraient des épreuves similaires. Son attitude elle-même tend donc à faire du procès de Mazan un procès historique, comme en leur temps ont pu l’être le procès de Bobigny où le procès contre les trois violeurs d’Anne Tonglet et d’Araceli Castellano. Rappelons que Gisèle Halimi avait obtenu avec leur médiatisation d’en faire des étapes dans l’obtention de la loi Veil en 1975, pour le droit à l’avortement, et celle de la criminalisation du viol, en 1980.
Cependant, la répercussion entraînée par le choix courageux de Gisèle Pélicot n’est pas le seul élément à rendre le procès historique. Il a exposé au grand jour des réalités qui contredisent les représentations usuelles du viol, issues de l’appareil idéologique du patriarcat. La première réalité est le nombre d’accusés, tous des hommes « ordinaires ». Elle rend indéniable le caractère structurel de la violence sexuelle. En effet, pas d’individu sinistre ou ombrageux parmi les accusés, tous jugés pourtant pour des faits de viol d’une violence inouïe, abordés par eux comme normalité au moment des faits.
Encore relativement inconnue du très grand public, la soumission chimique, qui a permis l’invraisemblable, est malheureusement récurrente. Depuis longtemps des associations féministes s’emploient à sensibiliser à ce danger, parcourant les festivals et soirées, où elle sévit le plus souvent, la drogue subrepticement versée dans le verre négligé de sa propriétaire.
Puis, les embûches rencontrées par l’héroïque Gisèle Pélicot durant le procès sont représentatives. Les propos tenus par certain.e.s avocat.e.s de la défense ont révolté toute la France, à raison. Pourtant, il n’est pas rare dans un procès pour viol qu’on attaque la victime. Nous ne remercierons jamais assez Gisèle Pélicot d’avoir fait face aux nombreux affronts que lui a déparés le procès. Rappelons, pêle-mêle, qu’un avocat de la défense l’a questionnée sur ses « penchants exhibitionnistes » ou qu’une autre s’est moquée de sa soumission chimique en postant sur les réseaux sociaux une vidéo où elle chantait « Wake me Up before you Go Go », du groupe Wham !.. Au cours des dernières séances, des avocats de la défense ont encore comparé les citoyennes venues soutenir la victime aux « tricoteuses de la révolution », qui attendaient pelotes et aiguilles en main de voir guillotiner les condamnés, et les accusés aux Juifs reclus dans les camps durant la Shoa. Si seul un tiers des accusés a consacré ses derniers mots au tribunal à Gisèle Pélicot, certains ont réitéré ne pas se considérer coupables : Pélicot les avait conviés ; ils ont cru s’adresser à un couple libertin, dont la femme serait consentante. Gisèle Pélicot a confronté avec stoïcisme et entièreté tous ces outrages, pour reconquérir sa dignité et aider celles qui traversent ce type d’épreuve. Elle a montré à la société une femme débout, plutôt qu’humiliée.
La couverture médiatique du procès a été inégale. Elle permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir pour faire des médias des alliés dans la lutte contre les violences sexistes. Certains ont eu recours encore à la notion de « fait divers », qui maquillait jadis les féminicides. Heureusement, il est établi aujourd’hui que, si les violences résultent d’une sorte de dysfonctionnement du jeu des identités sociales, elles n’ont rien de ponctuelles.
Même si Gisèle Pélicot a affirmé respecter la décision de la cour, les sentences n’ont pas toujours été bien accueillies par la foule rassemblée devant le tribunal. Reconnu coupable de tous les chefs d’accusation, Dominique Pélicot a été condamné à la peine maximale pour viol, vingt ans de réclusion criminelle, dont une période de sûreté de deux tiers du temps. Il a intégré le fichier des délinquants sexuels. Puis, la cour a prononcé un nombre important de sursis, alors même qu’elle a reconnu les accusés coupables de viol. En cause les nuances établies suivant que l’accusé ait ou non récidivé ; qu’il ait été ou non au courant avant sa venue que la victime était droguée. La foule a exprimé bruyamment son désir de faire appel, l’espoir qu’elle avait de faire du procès une référence tronqué par cette casuistique, qui ressemble à une caution. Était-elle bien nécessaire, alors que 17 condamnés sont assez sûrs d’eux pour faire appel ? Ayant écopé de peines d’entre huit et treize ans, ils affichent pourtant la totale absence d’empathie caractéristique des hommes violents. L’un d’entre eux s’est même déclaré victime et a souhaité qu’une enquête soit ouverte sur Gisèle Pélicot…
Le procès des viols de Mazan aura confronté l’opinion publique à des réalités que la culture s’efforce d’occulter : les agresseurs sont des hommes « ordinaires » ; leur violence est structurelle ; la soumission chimique ne laisse, ni opportunité de se défendre, ni traces ; la victime est souvent attaquée et révictimisée pendant les procédures. Autant de vérités dérangeantes désormais moins voilées. Par ailleurs, Dominique Pélicot a écopé de la peine maximale.
Minime, l’incise exprime ma double reconnaissance pour le procès de Mazan. En effet, il me redonne espoir qu’un jour se tienne à Nice un procès similaire, jugeant les faits que j’avais évoqués sur ce blog en février 2024, dans le billet intitulé « Le « drame de ma vie ». Témoignage ». Stérilisée de force, au cours d’un processus de onze ans auquel ont participé des dizaines de personnes, de façon plus ou moins consciente, je souhaite obtenir désormais que les meneurs soient condamnés à trente ans de prison, pour crime contre l’humanité et sévices. Au prétexte de « prendre soin » de moi, ils ont brisé systématiquement mes liens affectifs durant cette période, en particulier ceux du couple. Je remercie en conséquence doublement Gisèle Pélicot pour la jurisprudence que son courage a permise. Merci, Gisèle.

Gustav Moreau, Le Victorieux Sphinx (1886).
Acabar con el patriarcado
[30 años de cárcel]
Se ha dictado sentencia contra Dominique Pélicot y los demás maltratadores de Gisèle Pélicot. Una ocasión para reflexionar sobre lo que se juega en este juicio histórico.
Enero de 2025
Termina el juicio que Gisèle Pélicot ha soportado con admirable valor durante estos tres últimos meses y medio. Iba a dedicarle todo el artículo, pero las coincidencias de la vida hacen que me permita un paréntesis. Comencemos, por supuesto, con Gisèle Pélicot.
Gisèle Pélicot ha sido violada durante una década por su marido y por decenas de hombres. Tras drogarla, Dominique Pélicot invitaba a otros hombres a violarla, a menudo filmaba la escena. La policía ha descubierto los hechos por casualidad y se los ha revelado a la víctima, permitiéndole presentar una denuncia. El juicio por violaciones comenzó en septiembre contra 51 hombres, cuya sentencia ha sido pronunciada este 19 de diciembre. El caso ha sido como una descarga eléctrica para la opinión pública, provocando debates y posicionamientos que se han prolongado durante su desarrollo.
El juicio por las violaciones de Mazan se ha vuelto histórico, más allá de las fronteras de Francia. Varios elementos explican que se haya vuelto emblemático. En primer lugar, Gisèle Pélicot ha insistido para que su nombre sea divulgado, cuando lo común en juicios por violación es no revelar el nombre de la víctima. Gisèle Pélicot ha afirmado su voluntad de confrontar a la opinión pública a lo que ha sufrido, también para ayudar a otras mujeres. Su propia actitud tiende por tanto a convertir el juicio de Mazan en juicio histórico, como en su tiempo lo fueron el juicio de Bobigny o el juicio contra los tres violadores de Anne Tonglet y Araceli Castellano. Recordemos que, al mediatizarlos, Gisèle Halimi los convirtió en etapas para que se aprobasen en 1975 la ley Veil, que legalizaba el aborto, y en 1980 la ley que definía la violación como crimen, y no como delito
Sin embargo, lo que implica la valiente decisión de Gisèle Pélicot no es el único elemento que vuelve histórico este juicio. Ha sacado a la luz realidades que contradicen las representaciones más usuales de la violación, surgidas del aparato ideológico patriarcal. La primera es el número de acusados, todos hombres “ordinarios”, que demuestra sin vuelta de hoja que la violencia sexual es estructural. No se observan individuos siniestros o sombríos entre los acusados, juzgados todos sin embargo por hechos de violación de indecible violencia, que todos abordaron como normalidad en el momento de los hechos.
Aunque el gran público todavía no la conozca bastante, la sumisión química, que ha permitido que ocurra lo inimaginable, por desgracia también es recurrente. Hace mucho que las asociaciones feministas se esfuerzan por sensibilizar a ese peligro, recorriendo festivales y fiestas, su marco más habitual, en los que la droga se vierte subrepticiamente en vasos descuidados por sus propietarias.
Además, los obstáculos con los que Gisèle Pélicot se ha topado durante el juicio son representativos. Las afirmaciones de algun@s abogad@s de la defensa han indignado a toda Francia, con razón. Sin embargo, es frecuente que se ataque a la víctima en los juicios por violación. Nunca le agradeceremos lo bastante a Gisèle Pélicot que haya confrontado las innumerables afrentas que le ha valido el suyo. Por ejemplo, recordemos que un abogado de la defensa la ha interrogado sobre sus “tendencias exhibicionistas” o que otra se ha burlado de su sumisión química subiendo a las redes sociales un video en el que canta “Wake me Up before you Go Go”, del grupo Wham!... Durante las últimas sesiones, los abogados de la defensa han comparado a las mujeres reunidas fuera del tribunal en apoyo a la víctima con las “tejedoras de la revolución”, que hacían punto mientras esperaban que se guillotinase a los condenados, y a los acusados con los judíos reclusos en los campos de concentración durante el holocausto. Sólo un tercio de los acusados le ha dedicado sus últimas palabras en el tribunal a Gisèle Pélicot, mientras que otros han declarado no considerarse culpables: la propuesta venía de Pélicot; estaban convencidos de dirigirse a una pareja libertina, en la que la mujer estaba de acuerdo. Gisèle Pélicot ha plantado cara a tamañas afrentas con estoicismo y entereza, para reconquistar su dignidad y ayudar a otras mujeres. Al hacerlo, le ha mostrado a la sociedad una mujer en pie, más que humillada.
La cobertura mediática del juicio muestra el camino que queda para convertir alos medios en aliados en la lucha contra las violencias sexistas. Algunos han recurrido todavía a la noción de “suceso”, que englobaba antes los feminicidios. Hoy ha quedado establecido que, si bien las violencias machistas resultan de una suerte de disfuncionamiento en el juego de las identidades sociales, éstas no tienen nada de ocasional.
Aunque Gisèle Pélicot haya declarado que aceptaba la decisión del tribunal, las sentencias que ha dictado no han sido siempre bien acogidas por la muchedumbre agrupada delante del edificio. Dominique Pélicot ha sido declarado culpable de todos los cargos y condenado a la pena máxima por violación, veinte años de cárcel, con un periodo de seguridad de dos terceras partes de ese tiempo. Su nombre ha integrado el fichero de los delincuentes sexuales. Pese a reconocer la culpabilidad de los acusados de violación, el tribunal les ha concedido a bastantes la libertad condicional. Lo ha hecho en base a matices que ha establecido: si el acusado había ido una vez o varias; si estaba o no al tanto antes de ir de que la víctima estaba drogada. La muchedumbre ha manifestado estrepitosamente su deseo de apelar, ya que la esperanza que tenía de convertir el juicio en referencia se ha visto truncada por una casuística que se parece a un aval. ¿Era realmente necesario, cuando 17 condenados están lo bastante seguros de si mismos para apelar? Pese a recibir penas de entre ocho y trece años, desprenden la característica ausencia total de empatía propia de los hombres violentos. Uno incluso ha declarado ser víctima y ha deseado que se investigue a Gisèle Pélicot…
El juicio de las violaciones de Mazan habrá confrontado a la opinión pública a realidades que la cultura se esfuerza por ocultar: los maltratadores son hombres “comunes”; su violencia es estructural; la sumisión química no deja, ni oportunidad de defenderse, ni rastro; a menudo se ataca y revictimiza a la víctima durante los juicios. Incómodas realidades que ahora se encuentran algo menos veladas. Además, Dominique Pélicot ha sido condenado a la pena máxima.
Mínimo, el paréntesis expresa mi doble agradecimiento por el juicio de Mazan. En efecto, me devuelve la esperanza de que algún día tenga lugar en Niza uno similar, por los hechos que he evocado en el artículo de febrero de 2024, titulado “El “drama de mi vida”. Testimonio”. Se me ha esterilizada por la fuerza, a lo largo de un proceso que ha durado once años y en el que han participado decenas de personas, de forma más o menos consciente. Ahora deseo obtener que los cabecillas sean condenados a treinta años de cárcel, por crimen contra la humanidad y tortura. Bajo pretexto de “cuidarme”, durante ese periodo han roto mis vínculos afectivos por sistema, en particular los de pareja. Le agradezco en consecuencia doblemente a Gisèle Pélicot la jurisprudencia que su valor ha permitido. Gracias, Gisèle.