Les élections présidentielles turques étaient très attendues, après 21 ans au pouvoir de Recep Tarik Erdogan (1), et une évolution autoritaire, islamisante et corrompue de ses gouvernements. Elles ont finalement été moins concluantes qu’espéré, et n’ont donné la victoire à Erdogan qu’au deuxième tour, après un premier tour où il arrivait en tête de justesse face au principal candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu. La très longue période au pouvoir d’Erdogan, qui a successivement occupé les postes de premier ministre et de président, lui a permis de façonner le pays, le marquer d’une empreinte durable. Si au début de sa carrière politique l’électorat pouvait attendre qu’il incarne un renouveau, l’évolution de son exercice du pouvoir en a décidé autrement : la religion musulmane se fait chaque jour plus présente en Turquie, les médias et les institutions apparaissent gangrenés par la corruption, la crise économique appauvrit la population et le conflit kurde s’enlise.
Erdogan a été élu président de la République pour la première fois en 2014, il incarnait alors un espoir d’ouverture, concrétisé par un discours et des mesures semblant s’orienter vers la modernisation et la libéralisation. L’AKP, son parti, s’appuie sur une base électorale de musulmans conservateurs. Sous couvert de démocratie, Erdogan lève dans un premier temps les interdictions concernant l’enseignement religieux et l’interdiction pour les femmes de porter le voile. En effet, le fondateur de la République turque, Ataturk, avait fait de la Turquie un pays laïc. En 2012, Erdogan situe la Turquie parmi les premiers pays à ratifier la Convention d’Istanbul, devant entériner des mesures pour lutter sur le plan international contre les violences faites aux femmes. En 2015, il abolit la peine de mort. Or, avec le temps, il revient sur ces mesures, ou affiche leur vrai visage : la Turquie se retire de la Convention d’Istanbul en 2022 ; depuis 2016, Erdogan parle de rétablir la peine de mort ; la supposée liberté religieuse a viré à l’autoritarisme religieux. En 2013, les manifestations en faveur de la laïcité avaient été brutalement réprimées et s’affirmer laïc aujourd’hui en Turquie est devenu un problème.
Cette évolution, de figure progressiste à vecteur d’autoritarisme, peut être constatée sur le plan des institutions et sur celui de la question kurde, centrale pour le pays. En 2007, l’AKP avait évoqué un projet de remaniement de la Constitution, qui devait faire du concept de dignité de la personne humaine le centre du texte. Or, celui-ci ne sera jamais adopté, et lorsqu’une nouvelle Constitution entre en vigueur en 2018, à la suite de la tentative de coup d’Etat de 2016, ce sera pour doter Erdogan de prérogatives sans précédent, faisant passer la Turquie d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Si l’armée, dépositaire de l’héritage d’Ataturk, avait été par le passé un vecteur de modernisation pour le pays, Erdogan réussit à diminuer son rôle politique. Il crée des tribunaux d’exception et fait arrêter de nombreux hauts gradés. La tentative de coup d’Etat de 2016 par l’armée marque en effet un tournant : il est suivi d’une féroce répression et la nouvelle Constitution dote Erdogan d’un pouvoir accru. La justice et les médias tombent également, au fil des mandats, sous le contrôle du pouvoir. Le président nomme ainsi une partie du Conseil des juges et des procureurs, qui doit désigner et destituer les magistrats, tandis que les autres sont nommés par la majorité parlementaire. Un moyen de placer des figures favorables aux postes clés du système judiciaire. Quant aux chaînes de télévision publiques, elles ont été rachetées au fil des années par le parti d’Erdogan, tant et si bien qu’elles ont joué un rôle dans l’élection présidentielle appuyant Erdogan, qui a eu 48 heures d’antenne, contre 32 minutes pour Kemal Kiliçdaroglu.
La question kurde est depuis longtemps centrale pour la Turquie : il s’agit de la plus grande minorité du pays, et elle a été depuis longtemps mise de côté par le nationalisme qui a empreint le pouvoir depuis la naissance de la République. Les Kurdes sont majoritaires à l’Est. En 2012, Erdogan autorise les chaînes de télévision kurdes et entame un processus de paix, ce qui était impensable sous les gouvernements précédents. De même, il essaie de faire évoluer la représentation de la citoyenneté turque, du nationalisme turc à l’histoire commune, liant des peuples que rassemblerait une même origine musulmane, Kurdes et Turques étant sunnites. Mais 2015 constitue un tournant dans cet effort. Le HDP est le premier parti kurde à franchir la barre de 10% et à constituer un acteur de poids au parlement. Cette même année, l’AKP perd sa majorité. S’estimant menacé par le processus de paix, Erdogan l’enterre après l’assassinat de deux policiers : l’armée revient aux villes de l’est et plusieurs députés de l’HDP sont arrêtés.
Si Erdogan s’inscrivait dans le panorama politique turc comme figure progressiste, après ses deux premiers mandats son image se trouve totalement modifiée, tant et si bien que la question se pose de savoir si la Turquie continue à être une démocratie, ou si elle est devenue une dictature. A peine quelques mois avant la célébration du centenaire de la fondation de la république turque, en octobre 2023, Erdogan semble même commencer à se percevoir comme figure comparable à Ataturk, père de la République, façonnant à son image une nouvelle Turquie, opposée en bien de points à l’ancienne : religieuse, conservatrice et moins tournée vers l’occident, mais tout aussi nationaliste.
Malgré sa réélection au second tour avec 52,11% des suffrages exprimées, Erdogan confronte donc une insatisfaction croissante chez la population. De multiples affaires de corruption ont éclaboussé ses proches ; la crise économique appauvrit le peuple et la mauvaise gestion du séisme de février 2023, véritable tragédie, en a aggravé le numéro de morts, plutôt que d’offrir une solution rapide aux survivants. Cependant, l’opposition n’emporte pas une adhésion sans failles. La population lui reproche son côté disparate, qui fait douter de sa capacité à gouverner : elle rassemble gauche-radicale, Kurdes, socio-démocrates, libéraux, conservateurs et même une frange de l’extrême droite. Puis, le profil de Kemal Kiliçdaroglu, ne rassure pas une population maintenant habituée à assimiler la pratique de l’Islam à un nationalisme turc qui a de tous temps servi à définir la citoyenneté. En effet, Kiliçdaroglu est de confession alévie -chiite avec des apports soufies, chamaniques et panthéistes-, alors que la majorité des Turcs sont sunnites. Sa stratégie électorale a pourtant été avisée, et elle n’a pas totalement épargné Erdogan. Exploitant la figure maintenant rodée en politique de l’outsider, Kiliçdaroglu s’est construit comme antithèse d’Erdogan : tourné vers l’Europe, il fustige les dérives d’un Etat mafieux avec lequel il souhaite en finir. Il appelle à un retour à la démocratie qui rassemble Turcs et Kurdes et se présente comme une sorte de sage bienveillant et paternaliste, tout en réflexion et retenue. Il exploite durant toute la campagne la question des réfugiés, majoritairement syriens, qui est un des points faibles du candidat Erdogan. Après 2016, celui-ci avait en effet passé avec l’U.E. un accord toujours en vigueur pour que la Turquie prenne en charge l’affluence de réfugiés syriens vers l’Europe, moyennant une aide de 6 milliards d’euros. Trois millions de réfugiés syriens vivent ainsi aujourd’hui en Turquie. Au premier tour, Kiliçdaroglu s’était engagé à les retourner en Syrie dans les deux ans s’il était élu. Puis, sans doute pour gagner l’électorat du candidat nationaliste Sinan Ogan, troisième au premier tour, il s’est attaqué avec plus de virulence au deuxième tour aux migrants, syriens et non syriens, les rendant responsables de nombreuses nuisances : pillages, trafics de drogue, attaques à mains armée, viols et féminicides. Les migrants sont en effet confrontés à une exclusion grandissante, la dérive sécuritaire du pays leur étant souvent attribuée. Des renvois illégaux vers la Syrie ont déjà lieu en Turquie et au Liban, alors qu’il est de notoriété publique que les réfugies y subissent tortures et détentions illégales.
L’adhésion que l’électorat conservateur porte encore à Erdogan ; la propagande largement diffusée par les médias ; la peur des représailles, dans un pays gangrené par la corruption, et les irrégularités électorales, dont il est pour l’instant difficile de déterminer l’importance, ont assuré sa réélection, dans une Turquie pourtant éloignée de l’enthousiasme de ses premiers mandats. Une réélection qui est cruciale, pour ce pays, comme pour l’Europe et le monde.
La longue influence d’Erdogan est susceptible de durablement façonner la Turquie. Comme d’autres pays de la sphère arabo-musulmane, elle a évolué, au tournant du XXème siècle, d’un pouvoir de tendance socialiste et laïque à un pouvoir de tendance islamiste et libérale. Une évolution globale qui sans doute fait suite à une décolonisation non achevée et à un nouvel ordre économique mondial où la répartition Nord global-Sud global semble irréversible. En ce contexte, beaucoup de pays arabo-musulmans paraissent avoir adopté l’Islam comme vecteur d’opposition à l’Occident, l’investissant de valeurs qui ne lui étaient pas systématiquement, ou pas forcément, associées. La laïcité, l’égalité hommes-femmes… bien que l’Islam, comme les autres monothéismes, n’ait jamais fait de ces valeurs un étendard, il n’y était pas non plus aussi radicalement opposé qu’il l’est aujourd’hui dans des pays comme l’Iran, l’Afghanistan, ou même comme dans une Turquie en transformation, qui s’est retirée de la Convention d’Istanbul et intensifie l’éloge du voile. Pour cheminer vers un monde globalement plus juste, il nous faut attendre que les pays arabo-musulmans décident d’eux-mêmes d’une transition vers des sociétés moins hiérarchisés, moins religieuses et plus respectueuses de toutes les vies, les structurant dès l’intérieur comme ils l’entendront. Cependant, il est possible de les accompagner dans cet effort avec les mesures à notre portée : en diminuant la déstabilisation du pouvoir en place par nos entreprises occidentales ; en luttant contre une crise climatique qui les affecte davantage; en adoptant des mesures économiques d’ordre décolonial -comme celle proposée par le ministre de l’économie de Rafael Correa, de ne pas exploiter plusieurs puits de pétrole trouvés dans la forêt amazonienne contre une compensation économique partielle par les pays occidentaux du manque à gagner, puisque la forêt amazonienne est une richesse planétaire. Il faut se dire que ces évolutions seront certes importantes pour les pays concernés, mais qu’elles le seront aussi pour nous, Nord global. Nous avons tendance à nous croire à l’abri des troubles politiques qui affectent les pays du Sud, et le monde islamique. Il n’en est rien, car dans un monde ultraconnecté, tout trouble local est devenu global. A plus forte raison quand il s’agit du formatage de sociétés entières pour que ses intégrants se représentent le monde en sociétés ultrahiérarchisées, comprenant des inégalités qui vont jusqu’à installer la complète arbitrariété de certaines morts. A plus forte raison quand ces formatages se correspondent avec une réalité qui nous envahit, comme le poids économique -et donc politique et social- que les monarchies du Golfe sont en train d’acquérir en Europe. Nous ne pouvons pas continuer à minimiser la question de l’évolution démocratique du monde arabo-musulman. Nous devons soutenir cette évolution sans envahir ces pays, sans leur donner des leçons, dans les domaines de notre ressort, jusqu’à ce que cette évolution se construise de l’intérieur.
- Erdogan a été premier ministre entre 2003-2014 et président entre 2014 et aujourd’hui.
Gustav Moreau, Le Victorieux Sphinx (détail), 1886.
Elecciones en Turquía: hay que apoyar al país vecino
El 28 de mayo, la segunda vuelta de las elecciones presidenciales turcas le dio la victoria a Erdogan, un presidente que, tras 21 años en el poder, está marcando el país de forma duradera. Preocupa por su deriva autoritaria, sobre todo cuando la proximidad de Turquía con Europa convierte al país en socio y cuando su evolución integra, por otra parte, la evolución general del mundo islámico.
Las elecciones presidenciales turcas han generado gran expectativa, tras 21 años en el poder de Recep Tarik Erdogan (1), y una evolución autoritaria, islamizante y corrupta de sus gobiernos. Han resultado finalmente menos concluyentes de lo que esperado, y no le han dado la victoria a Erdogan sino en la segunda vuelta, tras una primera vuelta en la que ganaba por muy poco frente al principal candidato de oposición, Kemal Kiliçdaroglu. El largo período en el poder de Erdogan, que ha sido sucesivamente primer ministro y presidente, le ha permitido moldear el país, marcándolo de forma duradera. Si al principio de su carrera el electorado esperaba que encarnase una renovación, la evolución de su estancia en el poder ha dado otro resultado: la religión musulmana se haca cada día más presente en Turquía, la corrupción gangrena los medios de comunicación y las instituciones, la crisis económica empobrece a la población y el conflicto kurdo se ha enquistado.
Erdogan fue elegido presidente por primera vez en 2014, encarnaba entonces una esperanza de apertura, concretizada por un discurso y medidas que parecían orientarse hacia la modernización y la liberalización. El AKP, su partido, se apoya sobre una base electoral de musulmanes conservadores. Bajo cubierta de democracia, Erdogan termina en un primer momento con las prohibiciones referidas a la enseñanza religiosa y al velo de las mujeres. En efecto, el fundador de la República turca, Ataturk, había hecho de Turquía un país laico. En 2012, Erdogan sitúa a Turquia entre los primeros países que ratifican la Convención de Estambul, que establece en el plano internacional medidas para luchar contra la violencia de género. En 2015, abole la pena de muerte. Sin embargo, con el tiempo, anula esas medidas, o muestra su verdadera naturaleza: Turquía se retira de la Convención de Estambul en 2022; desde 2016, Erdogan habla de restablecer la pena de muerte; la supuesta libertad religiosa se ha convertido en autoritarismo religioso. En 2013, las manifestaciones en favor de la laicidad fueron brutalmente reprimidas y hoy se ha convertido en un problema decirse laico en Turquía.
Dicha evolución, de figura progresista a vector de autoritarismo, se constata también en el plano de las instituciones y en el de la cuestión kurda, central para el país. En 2007, el AKP había evocado el proyecto de modificar la Constitución, que debía hacer del concepto de dignidad de la persona humana el centro del texto. Sin embargo, jamás fue adoptado y cuando por fin entra en vigor una nueva Constitución en 2018, tras la tentativa de golpe de Estado de 2016, ésta dota a Erdogan de prerrogativas sin precedente, convirtiendo a Turquía de régimen parlamentario en régimen presidencial. Si el ejército, depositario de la herencia de Ataturk, había constituido en el pasado un vector de modernización para el país, Erdogan logra disminuir su influencia en política. Crea tribunales de excepción y arresta a numerosos altos mandos. La tentativa de golpe de Estado de 2016 a manos del ejército marca por tanto un giro: lo sigue una represión feroz y la nueva Constitución dota a Erdogan de más poder. La justicia y los medios también terminan cayendo, al filo de los mandatos, bajo el control del poder. El presidente nombra a una parte del Consejo de jueces y fiscales, que designa y destituye a los magistrados, mientras que la otra parte es nombrada por la mayoría parlamentaria. Un medio para atribuir a figuras favorables los puestos estratégicos del sistema judicial. En cuanto a las cadenas de televisión públicas, han sido compradas con el paso de los años por el partido de Erdogan, tanto es así que juegan un papel en la reciente elección al apoyar a Erdogan, quien ha beneficiado de 48 horas de antena, contra 32 minutos para Kemal Kiliçdaroglu.
La cuestión kurda ha sido durante largo tiempo central para Turquía: se trata de la mayor minoría del país, y durante largos años el nacionalismo del poder la ha mantenido excluida. Los kurdos son mayoría en el Este. En 2012, Erdogan autoriza las cadenas de televisión kurdas y abre un proceso de paz, lo que era impensable con gobiernos anteriores. Del mismo modo, trata de hacer evolucionar la representación de la ciudadanía turca, de nacionalismo turco a historia común que vincula a pueblos reunidos por un mismo origen musulmán, ya que kurdos y turcos son sunitas. Pero 2015 constituye un giro en ese esfuerzo. El HDP es el primer partido kurdo que supera el 10% de votos, adquiriendo peso en el parlamento. Ese mismo año, el AKP pierde la mayoría. Estimándose amenazado por el proceso de paz, Erdogan lo entierra tras el asesinato de dos policías: el ejército vuelve a ocupar las ciudades del este y varios diputados del HDP son arrestados.
Si Erdogan se inscribía en el panorama político turco como figura progresista, después de sus dos primeros mandatos su imagen queda completamente modificada, tanto es así que resulta difícil saber si Turquía sigue siendo una democracia, o si se ha convertido en una dictadura. Apenas unos meses antes de la celebración del centenario de la fundación de la republica turca, en octubre de 2023, Erdogan parece así empezar a percibirse como figura comparable a Ataturk, padre de la República, moldeando a su imagen otra Turquía, opuesta en muchos puntos a la anterior: religiosa, conservadora, menos girada hacia occidente, pero igual de nacionalista.
Pese a haber sido reelegido en la segunda vuelta con el 52,11% de los sufragios expresados, Erdogan confronta por tanto la creciente insatisfacción de la población. Múltiples casos de corrupción han afectado a su entorno; la crisis económica empobrece a la población y la mala gestión del seísmo de febrero de 2023, auténtica tragedia, aumenta el número de muertos, en lugar de ofrecer una rápida salida a los supervivientes. Sin embargo, la oposición no recibe un apoyo sin fallas. La población le reprocha su aspecto heterogéneo, que pone en duda su capacidad de gobernar: reúne a la izquierda radical, a los kurdos, los sociodemócratas, los liberales, los conservadores y hasta a una franja de la extrema derecha. Además, el perfil de Kemal Kiliçdaroglu no tranquiliza a una población ahora acostumbrada a asimilar la práctica del islam a un nacionalismo turco que siempre ha definido a la ciudadanía. En efecto, Kiliçdaroglu es de confesión aleví – una mezcla de chiismo con aportes sufíes, chamánicos y panteístas-, mientras que la mayoría de los turcos son sunitas. A pesar de todo, su estrategia electoral era astuta, y no ha dejado inmune a Erdogan. Explotando la ya rodada figura en política del outsider, Kiliçdaroglu se construye como antítesis de Erdogan: girado hacia Europa, fustiga las derivas de un Estado mafioso con el que desea romper. Llama a un retorno a la democracia que reúna a turcos y kurdos y se presenta como una suerte de sabio protector y paternalista, reflexivo y sereno. Explota durante toda la campaña la cuestión de los refugiados, mayoritariamente sirios, que es uno de los puntos débiles del candidato Erdogan. Después de 2016, éste había llegado a un acuerdo con la UE, que sigue en vigor, para que Turquía se encargara de la afluencia de refugiados sirios hacia Europa, a cambio de recibir una ayuda de seis mil millones de euros. Tres millones de refugiados sirios viven así hoy en Turquía. Durante la primera vuelta, Kiliçdaroglu se había comprometido a devolverlos a Siria en dos años si era elegido. En la segunda vuelta, sin duda para ganarse al electorado del candidato nacionalista Sinan Ogan, tercero en la primera vuelta, ataca con mayor violencia a los migrantes, sirios y no sirios, haciéndolos responsables de numerosos problemas: saqueos, tráfico de droga, ataques a mano armada, violaciones y feminicidios. En efecto, los migrantes son objeto de una exclusión cada vez mayor y a menudo se les reprocha la deriva policial del país. Ya hay devoluciones ilegales hacia Siria en Turquía y en el Líbano, cuando es de notoriedad publica que los refugiados sufren allí torturas y detenciones ilegales.
El apoyo que el electorado conservador todavía le proporciona a Erdogan; la propaganda ampliamente difundida por los medios; el miedo a las represalias, en un país gangrenado por la corrupción, y las irregularidades electorales, cuya amplitud todavía es difícil medir, le han asegurado la reelección, en una Turquía sin embargo alejada del entusiasmo de sus primeros mandatos. Una reelección crucial, tanto para este país como para Europa y el mundo.
La larga influencia de Erdogan puede moldear a Turquía de forma duradera. Como otros países de la esfera arabo-musulmana ha evolucionado, en el ocaso del siglo XX, de un poder de tendencia socialista y laica a un poder de tendencia islamista y liberal. Una evolución global que probablemente resulte de una descolonización inacabada y de un nuevo orden económico mundial en el que el reparto Norte global-Sur global parece irreversible. En dicho contexto, muchos países arabo-musulmanes parecen haber adoptado el islam como vector de oposición a occidente, cargándolo con valores que no le eran sistemáticamente, o no forzosamente, asociados. La laicidad, la igualdad entre hombres y mujeres… aunque desde luego el islam, como el resto de los monoteísmos, no hiciera de ellos un estandarte, tampoco se oponía tan radicalmente a ellos como lo hace hoy en día en países como Irán, Afganistán, o incluso como en una Turquía en evolución, que se ha retirado de la Convención de Estambul e intensifica el elogio del velo. Para avanzar hacia un mundo globalmente más justo, debemos esperar a que los países arabo-musulmanes decidan por sí mismos evolucionar hacia sociedades menos jerarquizadas, menos religiosas y más respetuosas de todas las vidas, estructurándolas desde dentro como mejor les parezca. Sin embargo, sí es posible acompañarlos en el esfuerzo con medidas a nuestro alcance: disminuyendo la desestabilización del poder que efectúan a veces las empresas occidentales, luchando contra una crisis climática que les afecta más a ellos, adoptando medidas económicas de orden decolonial -como la que propuso el ministro de economía de Rafael Correa, de no explotar varios pozos de petróleo encontrados en la selva amazónica a cambio de una compensación económica parcial por parte de los países occidentales, ya que la selva amazónica es una riqueza planetaria. Hay que tener presente que esas evoluciones desde luego serán importantes para los países concernidos, pero que también lo serán para nosotros, Norte global. Tenemos tendencia a creernos al abrigo de las perturbaciones políticas que afectan a los países del Sur, y al mundo islámico. No es así, pues, en un mundo ultraconectado, toda perturbación local se ha vuelto global. A mayor motivo cuando hablamos del formateo de sociedades enteras para que sus integrantes se representen el mundo en sociedades ultrajerarquizadas, en las que hay desigualdades que pueden llegar hasta la completa arbitrariedad de algunas muertes. A mayor motivo cuando esos formateos se corresponden con una realidad que nos invade, como el peso económico -y por tanto político y social- que las monarquías del Golfo están adquiriendo en Europa. No podemos continuar minimizando la cuestión de la evolución democrática del mundo arabo-musulmán. Debemos apoyar esa evolución, sin invadir esos países, sin darles lecciones, apoyándola en las esferas que nos incumben, hasta que dicha evolución se construya desde dentro.
- Erdogan fue primer ministro entre 2003 y 2014 y presidente desde 2014 hasta hoy en día.