Elle poussa la porte en chêne massif en prenant soin de ne pas faire grincer ses gonds, elle avança dans le couloir en se faufilant telle une ombre. Ses pieds nus frôlaient à peine le marbre glacé, la soie de sa robe légère crissait à chaque mouvement. Sa chevelure couvrait ses épaules. Elle marchait, déterminée, la tête haute et une lueur féroce dans les yeux, les pommettes terriblement pâles, poussée par la faim infinie d’un animal à l’affût.
Si des yeux indiscrets avaient pu contempler la scène, il ne fait pas de doute que son image serait restée gravée dans l’esprit de l’indiscret jusqu’au jour de sa mort : la taille menue, le pas impérial, la tête dressée comme une déesse de la mort. Et cette fièvre dans ses yeux, ces dents délicates qui maintenant mordillaient à peine sa lèvre inférieure tandis qu’elle réfléchissait.
Elle s’arrêta un instant au pied de l’escalier. Elle s’amusa à observer son absence dans l’immense miroir qui lui faisait face, répétant quelques pas de danse pendant qu’elle riait en silence. Puis la faim ancestrale, déchaînée, insondable telle un abîme de douleur, la gagna de nouveau. Elle gravit la première marche. L’escalier était couvert d’un tapis qui aurait soulagé la morsure glacée du marbre dans la chair chez tout autre qu’elle, mais pas chez elle. Elle, cela faisait plusieurs siècles qu’elle ne sentait plus rien. Rien d’autre que la faim, le désir et le plaisir animal de sentir de nouveau la vie palpiter dans ses tempes, dans ses veines.
Elle finit de gravir la dernière marche, avec une lenteur infinie malgré la faim. Elle aimait penser à Laura, qui dormait du sommeil du juste derrière la troisième porte sur la gauche. Sa chevelure comme les blés, son regard transparent, ses pommettes si rosées, conservant encore la douceur et la courbe de l’enfance malgré son corps de femme. Ses conversations agitées et vides, charmantes, dessinaient les contours de son petit monde édulcoré : la sévérité de son père ; les manies de sa mère ; les fleurs dans le jardin ; les plats de Nanny ; quelque vague prince lointain qui la sauverait. A la fois charmant et ridicule ; fascinant et si loin… Elle jouait avec elle comme avec une souris, elle était cependant tellement plus qu’une souris. Elle était son jouet, son désir, sa vie, sa fascination.
Bien avant d’ouvrir la porte, dès l’escalier, elle sentit l’odeur de l’ail et la respiration régulière de Laura. L’odeur la fit sourire avec la sauvagerie et la méchanceté que lui inspiraient toujours ces stupides superstitions. Les vivants lui semblaient si grotesquement vulnérables, se cramponnant à elles comme un enfant à sa poupée. Il devait rester peu de gens qui sachent mourir avec dignité, peu de gens qu’il soit excitant de tuer.
Laura. La respiration de Laura. Le battement paisible de son cœur. Son sommeil agité, ses balbutiements lorsqu’elle rêvait, sa chevelure éparpillée sur l’oreiller. Elle entra dans la chambre sans faire de bruit. Les ténèbres permettaient à peine d’y voir, mais cela faisait longtemps qu’elle se passait de lumière. Elle s’arrêta au pied du lit, s’assit sur son bord. Laura dormait la gorge découverte, les rubans d’une chemise de nuit en coton détachés sur sa poitrine. Elle la regarda. Elle pouvait percevoir la trace légèrement bleutée des veines sous sa peau ; percevoir la façon dont sa poitrine montait et descendait à chaque respiration.
Elle savait que le moment était arrivé. La vie palpitait encore dans Laura, mais sa force déclinait. Elle l’avait vidée de son sang, gorgée par gorgée, baiser après baiser. Dans le calme et la sensualité, avec méthode et sans autre forme de sentimentalisme que la fascination, tel un véritable animal de mort. Elle regrettait de ne plus ressentir cela à l’avenir. Etait-ce de l’amour ? Un monstre peut-il aimer ? Peut-il aimer autre chose que soi-même, ses désirs déchaînés, les abîmes de sa faim et de son plaisir ? Difficile à dire, mais cela lui pesait de ne plus la revoir. C’est pour cela qu’elle la regardait. Elle se remplissait les yeux d’elle, se souvenait de chaque instant passé à ses côtés, trouvait tellement charmante sa simplicité, son insouciance, son monde sans nuances ni complexités, qui était sur le point de disparaître avec elle.
Et la faim la saisit de nouveau. Une veine palpitait sur le cou de Laura, elle approcha sa bouche, presque sans pouvoir s’en empêcher. Au fond dans son regard, elle avait maintenant un mélange de bestialité et de douleur. Ses dents traversèrent la peau délicate, elle atteignit ce mets sacré et se mit à exercer une lente succion, prolongeant le moment qui la séparerait d’elle. Chaque battement de son cœur battait aussi en elle à présent. Pour un moment, éphémère, elles étaient réunies. Elle perdit la tête à ce moment même, se laissa transporter loin, son corps dissout dans l’espace, dissout dans Laura. Elle revint tout à coup. Le dernier battement dans ses tempes, le dernier battement de celle qu’elle aimait. Elle relâcha le corps, déchirée. Elle savait par avance qu’elle la perdrait de ses mains, qu’elle la perdrait et se perdrait, une fois de plus, une de celles qu’elle avait vécues dans sa non-vie si remplie. Elle était cependant comme écorchée vive. Paradoxalement, elle était plus belle que jamais : le rose d’une toute première jeunesse pointait sur ses joues, ses yeux noirs demeuraient rivés sur le sol, à peine visibles sous les longs cils, la chevelure désordonnée l’enveloppait, laissant à peine deviner son profil. Le cadavre pâle de Laura reposait encore entre ses bras. Elle n’osa pas la regarder une dernière fois, elle ne le pouvait pas. Elle ferma les yeux et se souvint de leur première rencontre, alors qu’elle jouait dans le jardin avec le chien, courant comme une petite fille aux cheveux désordonnés dans la lueur crépusculaire du coucher de soleil. Elle déposa le corps inanimé sur le lit sans le regarder, gagnée par quelque chose que dans une vie passée on aurait pu nommer douleur et qu’elle ne savait plus très bien comment nommer maintenant.
Elle se leva comme mue par un ressort et pressa le pas en se dirigeant vers la fenêtre. Elle l’ouvrit avec détermination, contempla la nuit : les étoiles brillaient comme des pics de glace dans un ciel sans lune, de jais. Un monde glacé et profond s’ouvrait à elle, sa demeure pour l’éternité. Elle se hissa sur le rebord, le vent caressait son visage. Elle partit d’un grand éclat de rire puis elle sauta, triste et gagnée à la fois par l’indescriptible ébriété du monstre repu, l’instinct sauvage de vie imprégnant chacun de ses pores.
Carmilla
Segunda entrega de la mini serie gótica. Carmilla es una novela fantástica publicada en 1872, unos años antes del Drácula de Bram Stocker. Se enmarca dentro de la producción gótica. Narra la seducción y muerte una joven aristócrata inglesa, Laura, por su protagonista, la vampira Carmilla.
Empujó la pesada puerta de roble cuidando que no chirriasen las bisagras, avanzó por el corredor deslizándose como una sombra. Sus pies descalzos rozaban apenas el helado mármol, la seda de su vestido ligero crujía a cada movimiento. El pelo le caía sobre los hombros. Caminaba determinada, con la cabeza erguida y un brillo feroz en los ojos, las mejillas tremendamente pálidas, empujada por el hambre infinita de un animal al acecho.
Si unos ojos indiscretos hubieran podido contemplar la escena, sin duda su imagen habría permanecido en la mente del curioso hasta el día de su muerte : la talla diminuta, el paso imperial, la cabeza erguida como una diosa de la muerte. Y ese brillo en los ojos, esos dientes ahora delicados que apenas mordisqueaban el labio inferior cuando pensaba.
Se detuvo un instante al llegar al pie de la escalera. Se divirtió observando su ausencia en el inmenso espejo que le hacía frente, ensayando mientras reía callada unos pasos de baile. Pero el hambre ancestral, desatada, insondable como un abismo de dolor la alcanzó de nuevo. Subió el primer peldaño, la escalera estaba cubierta por una alfombra que a otra que a ella la habría aliviado la mordedura helada del mármol en la carne. Pero a ella no. Ella hacía ya varios siglos que no sentía nada. Nada más que hambre, deseo y placer animal de sentir de nuevo la vida palpitando en sus sienes, en sus venas.
Acabó de subir el último peldaño, con infinita lentitud pese al hambre. Le gustaba pensar en Laura, que dormía con el sueño del justo en la tercera puerta a la izquierda. Su pelo como los trigos, sus ojos transparentes, sus mejillas infinitamente rosadas, que conservaban aún la curva y la suavidad de la infancia, pese a un cuerpo ya de mujer. Sus conversaciones agitadas e insustanciales, encantadoras, dibujando los contornos de su pequeño y edulcorado mundo : la severidad de su padre ; las manías de su madre ; las flores del jardín ; los platos de Nanny ; algún lejano príncipe que la salvaría. A la vez conmovedor y ridículo ; fascinante y tan lejos… Jugaba con ella como con un ratón y era sin embargo tanto más que un ratón. Era su juguete, era su deseo, era su vida, era su fascinación.
Mucho antes de abrir la puerta, desde la escalera, sintió ya el olor a ajo y la acompasada respiración de Laura. El olor la hizo sonreír con el salvajismo y la maldad que siempre le provocaban esas estúpidas supersticiones. Le parecían los vivos tan ridículamente vulnerables, aferrándose a ellas como un niño a su muñeco. Quedaba quizá poca gente que supiera morir con dignidad, poca gente a la que la excitase matar.
Y Laura. La respiración de Laura. Sus latidos acompasados. Su sueño agitado, sus balbuceos mientras soñaba, su pelo regado en la almohada. Entró en su cuarto sin hacer ruido. Las tinieblas apenas permitían vislumbrar nada, pero hacía ya mucho que no le hacía falta encender una luz. Se detuvo al pie de la cama y se sentó en el borde. Laura dormía con la garganta al descubierto, los lazos de un camisón de algodón desatados sobre su pecho. La contempló. Podía ver cada traza levemente azul de una vena bajo su piel ; ver subir y bajar su pecho, con cada respiración.
Sabía que había llegado el momento. La vida aún palpitaba en Laura y sin embargo lo hacia cada vez con menos fuerza. La había desangrado trago a trago y beso a beso. Con calma, con sensualidad, con método y sin sentimentalismos mas allá de la fascinación, como un auténtico animal de muerte. Le pesaba no volver a sentir eso. ¿Sería amor? ¿Puede un monstruo amar? ¿Puede amar a otra cosa que a sí mismo, sus deseos desatados, sus simas de hambre y de placer? Difícil de decir, pero le pesaba no volver a verla. Por eso la miraba. Se llenaba los ojos con ella, rememoraba cada instante pasado a su lado, encontrando tan enternecedora su simplicidad, su despreocupación, su mundo sin matices ni complejidades que ahora desaparecería con ella.
Y el hambre la alcanzó de nuevo. La vena del cuello de Laura palpitaba, acercó su boca casi sin poder impedirlo. En los ojos tenía ahora una mezcla de animalidad y de dolor. Atravesó con los colmillos la piel delicada, alcanzó el sagrado manjar y comenzó a succionar lentamente, prolongando el momento que la separaría de ella. Cada latido de su corazón latía ahora también en ella. Por un momento, efímero, estaban unidas. Perdió la cabeza en ese preciso momento, se dejó transportar tan lejos de allí, su cuerpo disuelto en el espacio, su cuerpo disuelto en Laura. Súbitamente volvió. El último latido en su sien, la última palpitación en su amada. Se desprendió del cuerpo con un desgarro. Sabía de antemano que la perdería por su propia mano, que la perdería y se perdería, una vez más, una de las varias que había vivido ya en su apretada no-vida. Y sin embargo se hallaba como desollada. Paradójicamente, estaba más bella que nunca : en las mejillas un rubor digno de la primera juventud, los ojos negros fijados en el suelo, apenas visibles bajo larguísimas pestañas, la cabellera desordenada cubriéndola, dejando apenas intuir su perfil. En sus brazos descansaba aún el cadáver macilento de Laura. No se atrevió a mirarla una última vez, no podía. Cerró los ojos y se la rememoró el primer día, jugando en el jardín con el perro, corriendo como una niña con el pelo revuelto en la luz crepuscularia del atardecer. Sin mirarlo, dejó el cuerpo inerte sobre la cama, con algo que quizá en otra vida hubiera llamado dolor y que no sabía bien cómo llamar ahora.
Se levantó como movida por un resorte y avivó el paso dirigiéndose hacia la ventana. La abrió con determinación, contempló la noche : el cielo negrísimo, sin luna, las estrellas brillando como punzones de hielo. Un mundo gélido y profundo, su hogar por toda la eternidad. Subió al alféizar. Con algo de viento acariciando aún su rostro saltó, en medio de una carcajada, triste y a la vez embargada por la indescriptible ebriedad del monstruo saciado, con el instinto salvaje de vida empapando cada poro de su piel.