Elle n’a pas porté plainte. Comme tant d’autres femmes, elle a subi une violence pour laquelle elle n’a pas porté plainte. Puisqu’elle n’a pas porté plainte, elle ne parle pas de cette violence et peut-être, avec le recul, lui importe-t-elle moins que la raison pour laquelle elle n’a pas porté plainte.
Apparemment, beaucoup de femmes ne portent pas plainte par peur ou par honte. Ce n’est pas son cas, car elle a toujours été pourvue d’une sorte de féminisme inné, pour ainsi dire, qui lui a fait voir dans le violent un primate et en elle simplement une fille à qui la vie avait posé une cible dans le dos du fait d’être une femme et qui n’avait pas assez lu à cette époque. Cela est une chance en soi. Elle, elle n’a pas porté plainte parce qu’elle voulait gagner et, dès les premières fois où elle a tenté de dire ce qui se passait, elle a compris que cela constituerait un autre front ouvert et qu’elle ne pouvait pas gaspiller de l’énergie sur deux fronts si elle voulait gagner ce qui était en jeu : sa peau. Et elle voulait la gagner. Elle n’a pas porté plainte et, bien que cela lui pèse, elle a bien fait car, même en laissant des plumes, elle a gagné. Encore aujourd’hui elle est convaincue qu’elle n’aurait pas gagné si elle l’avait fait.
C’est du fait de se voir confrontée à un engrenage grand et bien huilé de remises en questions, discrédit, infantilisation et mépris qu’elle n’a pas porté plainte. Elle s’est fait cependant à cette époque la promesse de combattre cet engrenage dès qu’elle aurait repris des forces. La première étape consistait à ne pas leur donner l’opportunité de minimiser quoi que ce soit. Sans pleurs mais sans clémence elle a confronté depuis chaque jour la société aux conséquences de ses schémas mentaux, qui ne pèsent pas seulement sur elle, mais sur tant d’autres femmes qui décident de se taire et de vivre avec cela. La deuxième étape consistait à étudier ne serait-ce qu’un peu cette violence structurelle qui est de donner systématiquement plus de crédit à un homme, quand bien même celui-ci serait un crétin, qu’à une femme et qui se décline en tant de variantes. Elle ignore quelle sera la troisième étape, elle improvise.
Comme tant d’autres femmes, ce n’est plus la même. Après avoir somatisé et traversé plusieurs années de dépression, elle est arrivée à une période de calme et, plus que de calme, de se retrouver face-à-face avec une femme qui n’est pas elle, qui vit dans son corps et qui peu à peu s’y habitue comme celle qui s’habituerait à des chaussures neuves qui ne sont pas celles qu’elle voulait. Elle ne regrette pas ce qu’elle était, ce qui explique sans doute qu’elle ne déteste pas l’univers, mais elle ne se reconnaît pas non plus en ce qu’elle est. Comme on ne peut pas vivre éternellement en décalage avec soi même, peut-être finira-t-elle simplement par s’habituer à ses nouvelles chaussures.
Maintenant que tout est passé elle pense que, comme tant d’autres femmes, elle ne pardonne ni se sent dans l’obligation de pardonner à qui que ce soit le manque de protection dans lequel on les laisse. Malgré tous les instants perdus que ce qu’elle a traversé implique, elle est très consciente que cela est peu en comparaison des énormes violences que vivent d’autres femmes. Souvent elles les traversent, à ce qu’elle lit, en étant aussi peu crues qu’elle le fut. Aujourd’hui, dans ses nouvelles chaussures, son nouveau moi, dont elle n’a pas honte, choque souvent par sa fermeté. Evidemment, les voix pour l’accuser du terrible opprobre qu’est le déficit de féminité n’ont pas manqué. Il doit constituer pour eux la suprême insulte et ils espèrent la faire céder en l’invoquant. Elle ne cède pas. Par chance, elle n’a pas traversé seule tout cela. Elle l’a fait avec une seule personne à ses côtés, sans doute une bonne fée a voulu que ce soit un homme. Cela rend les choses plus faciles pour se remettre à vivre en recommençant de zéro que si cela n’avait pas été un homme. Tout de même, la question la taraude: comment aurait fait une femme moins consciente de ses droits ? plus perdue ? qui se retrouve seule ? Et elle n’est pas, elle ne sera plus jamais capable de les laisser seules, la voix de chacune d’entre elles résonne dans sa tête.
NO INTERPUSO DENUNCIA
En un momento en que en Francia se denuncian sólo el 10% de las violaciones, pequeña reflexión ficcionalizada a propósito de la dificultad de denunciar las violencias psicológicas.
No interpuso denuncia. Como tantas otras mujeres, sufrió una violencia contra la cual no interpuso denuncia. Puesto que no interpuso denuncia, ni siquiera habla de ella y, mirado con distancia, quizá le importe ahora algo menos esa violencia que el motivo por el cual no interpuso denuncia.
Por lo visto, muchas mujeres no denuncian por vergüenza y por miedo. No fue su caso porque siempre tuvo suficiente feminismo innato, por decirlo así, como para ver en el violento a un simio y en ella simplemente a una chica a quien la vida le había colocado una diana en la espalda por ser mujer y que en aquella época no había leído bastante. Ya es en sí una suerte. Ella no denunció porque quería ganar y desde las primeras veces en que abrió la boca para hacer el amago de decir lo que estaba pasando pudo constatar sin atisbo de duda que eso sería otro frente abierto y que no tenía caso desperdiciar energía en dos frentes si quería ganar lo que estaba en juego : su pellejo. Y quería ganarlo. No denunció y mal que le pese hizo bien, porque, aunque dejando plumas, ganó. A día de hoy, no cree que hubiese ganado de hacerlo.
Aunque no denunció por ver que se enfrentaba sola a un maquinaria grande y bien rodada de cuestionamiento, descrédito, infantilización y ninguneo, se hizo a sí misma la promesa de dar guerra apenas cobrara fuerzas. La primera etapa fue no darles el gusto de poder minimizar nada. Sin llantos pero sin clemencia confrontó desde entonces día a día a la sociedad a las consecuencias de sus esquemas mentales, que no pesan sólo sobre ella sino sobre tantas otras mujeres que sí deciden callarse y vivir con eso. La segunda etapa fue proponerse estudiar mínimamente esa violencia estructural que es el dar sistemáticamente más crédito a un hombre, así sea un patán, que a una mujer y que se declina en tantas otras variantes. La tercera etapa no sabe, pero irá improvisando.
Como tantas otras mujeres, ya no es la misma. Después de somatizar y de atravesar varios años en depresión, llegó a un periodo de calma y, más que de calma, de encontrarse con una tipa que no era ella, viviendo en su cuerpo y habituándose a él como quien se habitúa a unos zapatos nuevos que no son los que quería. No echa de menos lo que era, lo cual explica quizá que no odie al mundo, pero tampoco se reconoce en lo que es. Como no se puede vivir eternamente en desfase consigo mismo, quizá simplemente se acabe acostumbrando a los zapatos.
A toro pasado piensa que, como tantas otras mujeres, ni perdona ni se siente en la obligación de perdonar a nadie la desprotección en que se deja a las mujeres. Con toda la pérdida de vida que pueda suponer lo que atravesó, es muy consciente de que es poco comparado a las enormes violencias que muchas mujeres viven, atravesándolas a menudo, por lo que lee, siendo tan poco creídas como lo fue. A día de hoy, con sus zapatos nuevos, su nuevo yo, del que no se avergüenza, choca muchas veces por su firmeza. Obviamente, no ha faltado ya quien la acuse del oprobioso déficit de feminidad, que para ellos debe ser el insulto supremo, y con el que esperan que ceda. No cede. Por suerte, no atravesó sola aquello. Lo hizo con una sola persona a su lado que, quizá por obra de alguna hada madrina, es un hombre, lo cual hace más fácil empezar de cero para reengancharse a la vida que si no hubiera sido un hombre. Con eso y todo la pregunta la persigue : ¿cómo hará una mujer menos consciente de sus derechos? ¿más perdida? ¿qué no tenga a su lado a nadie? Y no es, no será ya nunca capaz de dejarlas solas, la voz de cada una de ellas resuena en su cabeza.
 
                 
             
            