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Billet de blog 16 octobre 2016

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Nouvelle génération

Le vote imminent d’adhésion au CETA par l’UE a redonné une nouvelle vigueur aux mobilisations sociales engagées contre sa signature, le tout soulevant la question pertinente de savoir si ces traités ne sont pas en train de nous fermer définitivement la porte à une autre forme de comprendre l’existence.

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Le vote imminent le 18 octobre de l’adhésion au CETA par les pays de l’UE, et sa signature le cas échéant le 27 octobre, a redonné ces dernières semaines une nouvelle vigueur aux mobilisations sociales engagées contre sa signature et celle du TAFTA, les deux traités de commerce de « nouvelle génération » que l’UE souhaite ratifier avec le Canada et les Etats Unis.

En effet, le raccord entre les cadres législatifs européen et américain ou canadien que, pour faciliter les échanges, ces traités prévoient en des domaines tels que l’environnement, l’agroalimentaire et le social risque fort de démanteler certains de nos droits. Les deux traités comprennent également des dispositions pour mettre en place de tribunaux internationaux d’arbitrage, auprès desquels les entreprises pourraient engager des poursuites judiciaires contre les Etats partenaires, si elles s’estiment lésées par leurs décisions. Ces tribunaux éviteraient la voie judiciaire classique, plus lente, et leurs décisions concernant les conflits seraient à appliquer par les deux parties concernées, le problème se trouvant aussi dans la constitution de ces tribunaux, dont la négociation à été entourée d’une grande opacité  et qui devaient même être constitués, dans le cas du TAFTA, par des experts indépendants. Ce dernier point suppose dans les faits une perte de souveraineté des Etats, car il est à prévoir que beaucoup de leurs décisions jusqu’alors possibles choquent frontalement avec le souci de profit des entreprises : interdiction du Round-Up ; adoption de lois comme celle proposée en Suède de réduire la TVA sur les réparations pour réduire déchets et émissions de carbone en freinant la consommation ; mise en place de congés de paternité intransférables d’une durée égale à ceux de maternité, pour favoriser l’égalité des droits entre les hommes et les femmes...

La perte de capacité de décision est gênante en soi, mais celle-ci nous ferme en outre les portes d’un autre monde possible. La question se posait déjà dans des domaines comme l’économie ou l’agro-alimentaire, champs dans lesquels les théories et perspectives allant à l’encontre des intérêts des entreprises sont bien souvent en écrasante minorité dans les institutions de recherche, presque bannies de l’éducation et laissées à l’abandon par l’Etat. L’imbrication entre l’économique et le politique, qui existe depuis longtemps, s’accroît de jour en jour dans un monde où, parmi les 100 entités économiques les plus puissantes de la planète, 69 sont des entreprises et seulement 31 des pays.

Il est déjà grave que les institutions de l’Etat prennent massivement à notre place la décision de ne pas explorer sérieusement certaines voies, qui auraient pu être plus profitables à l’humain, au prétexte qu’elles contreviennent à la logique du système actuel. En changeant une grande partie du cadre légal de nos vies quotidiennes et en ouvrant la possibilité d’une ingérence plus explicite des entreprises en politique par le biais de ces tribunaux, ces traités de nouvelle génération fixent peut-être définitivement le système actuel en rendant très difficile la possibilité d’explorer des voies « autres » dans le futur.

Et pourtant, ces voies « autres » foisonnent : depuis les initiatives d’économie sociale et solidaire, jusqu’aux projets d’architecture durable, ou les explorations de possibilité de  diminution du temps de travail telle que celle menée en Suède de réduire à six heures la journée de travail et qui s’est avérée productive … il suffit de regarder un tant soit peu autour de soi pour constater le formidable éclat vital de tout un monde de citoyens et d’organisations solidaires qui souhaitent vivre autrement.

Ces traités représentent donc bel et bien l’imposition quasi-définitive à l’ensemble de la population d’un mode parmi tant d’autres de comprendre l’existence et d’un modèle de vie. Face à cela, l’UE défend ses traités en ayant recours à l’incontournable argumentaire de la compétitivité. Outre le fait que cet argumentaire a été mis en cause par des économistes au sein de cette même logique de faire des profits (1), il faut quand-même rappeler que le système capitaliste et patriarcal n’est qu’un système de pensée parmi d’autres et que c’est bien le fondement de ce système lui-même que tant de petits gestes du quotidien, d’initiatives des Etats nordiques, de démarches communautaires des pays « périphériques » ou de véritables nouvelles théories développées par des intellectuels, sortant des clivages capitalisme/socialisme, mettent en question.

Le capitalisme actuel apparaît à des horizons de pensée très divers comme une fuite en avant, une idéologie de moins en moins collée aux réalités du fait qu’elle ignore les tensions sociales et mondiales, qu’elle pense faire taire éternellement par la répression, et les dommages causés à la nature, qu’elle pense compenser en repoussant toujours plus loin ses frontières : fracking, recours à la chimie et aux OGM en agriculture pour pallier les dommages causés par les inégalités et les conflits… Il s’agit donc, pour beaucoup d’horizons de pensée, de se donner aujourd’hui de véritables chances de construire du nouveau. Cela ressemblerait presque à une tautologie, et pourtant il faut croire que ce n’est pas si évident.

C’est pour ma part depuis le féminisme et les analyses des relations de pouvoir liées aux études de genre que je remets en question la notion de compétitivité. Depuis toujours la pensée libérale –prolongation naturelle s’il en est en ce qu’elle est devenue de la logique patriarcale- nous dit que la concurrence poussera chacun à s’améliorer et nous explique gentiment que sans elle nous reviendrions à l’âge des cavernes. Nul besoin d’être économiste ni même d’être passé par l’université pour faire, au regard du monde, le constat banal que en dehors de belles abstractions des constructions idéales, ci-bas, dans l’imperfection de la condition humaine, la concurrence telle qu’on l’entend aujourd’hui pousse plus à détruire l’autre qu’à s’améliorer soi-même. Qu’elle mène à la mise en place de sociétés violentes et fragmentées où les harcèlements sont en train de devenir des phénomènes de société et où ce n’est sans doute pas un hasard si les crises du capitalisme se traduisent souvent par une hausse des violences faites aux femmes.

Il serait heureux qu’on réussisse à briser le tabou institutionnel qui pèse sur la remise en question du postulat que la concurrence mène au progrès global, car il est de plus en plus évident, depuis différents horizons, qu’il peut et doit être remis en question depuis l’Etat lui-même. La société civile n’a pas attendu quant à elle d’autorisation pour effectuer cette remise en question et peut-être doit-on prendre ces mouvements sociaux comme l’occasion toute trouvée pour réfléchir aux nouvelles pistes qu’ils proposent, et aux différentes remises en question qu’ils portent. Parmi celles-ci, non de moindres, la réflexion sur ce qu’adviendrait de la notion déjà en crise de démocratie dans une société où les entreprises auraient le pouvoir d’imposer leurs profits comme préoccupation première aux organes de représentation citoyenne. Ce sont traditionnellement les élites qui informent de leurs valeurs les sociétés, mais peut-être qu’au XXI siècle une construction sociale qui reflète sa réalité se doit d’être construite entre tous et non par imposition.

J’écris ce billet depuis ma position de citoyenne, en sachant pertinemment que sans doute quelques « trolls » de tous bords me tomberont dessus du fait d’être une femme ; je l’écris quand-même. Parce qu’il serait temps de mettre au clair que, si nous ne sommes pas dans la même logique qu’eux, c’est parce que leur logique ne nous convainc pas, pas parce qu’on ne l’ait pas bien comprise.

(1) Selon Pierre Kohler et Servaas Storm le niveau de revenu intérieur brut de l’UE pourrait diminuer de 0,49% d’ici 2023 en cas de signature du CETA. « Rejet wallon du Ceta, nouvel accroc pour le libre-échange », Le Monde Diplomatique, 14 octobre 2016,  http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2016-10-14-Rejet-du-Ceta-accroc-libre-echange

Nueva generación

El inminente voto de adhesión al CETA por la UE ha dado un nuevo impulso a las movilizaciones sociales iniciadas contra su firma, actualizando la cuestión de saber si esos tratados no nos están cerrando definitivamente la puerta a otro modo de entender la existencia.

El inminente voto el 18 de octubre de adhesión al CETA por parte de los países de la UE, y la firma de éste llegado el caso el 27 de octubre, ha dado estas últimas semanas un nuevo impulso a las movilizaciones sociales iniciadas contra su firma y la del TTIP, los dos tratados de comercio de “nueva generación” que la UE pretende ratificar con Canadá y EEUU.

En efecto, la armonización de los marcos legislativos europeo y americano o canadiense que, para facilitar los intercambios, prevén estos tratados en ámbitos como el medio ambiente, el sector agroalimentario y el social desmantelará según toda probabilidad algunos de nuestros derechos. Los dos tratados comprenden asimismo disposiciones para crear tribunales internacionales de arbitraje, en los cuales las empresas podrían iniciar trámites judiciales contra los Estados asociados, si se estiman perjudicadas por sus decisiones. Dicho tribunales evitarían seguir la vía clásica, más lenta, y sus decisiones serían vinculantes para las dos partes implicadas. El problema se encuentra además en la constitución de estos tribunales, cuya negociación ha sido rodeada de gran opacidad y que debían ser constituidos, en el caso del TTIP, por expertos independientes. Este último punto supone en los hechos una pérdida de soberanía por parte de los Estados, pues es de prever que muchas de las decisiones hasta entonces posibles choquen frontalmente con la preocupación de las empresas por su beneficio : prohibición del glifosato ; adopción de leyes como la que ha sido propuesta en Suecia para reducir el IVA sobre las reparaciones a fin de disminuir las emisiones de carbono frenando el consumo ; puesta en marcha de bajas de paternidad intransferibles de una duración igual a las bajas por maternidad, para favorecer la igualdad de derechos entre hombres y mujeres…

La pérdida de capacidad de decisión es de por sí molesta, pero ésta nos cierra además las puertas de otro mundo posible. La cuestión ya se planteaba en ámbitos como la economía o el sector agro-alimentario, campos en los que las teorías y perspectivas que van en contra de los intereses de las empresas se encuentran a menudo en minoría en las instituciones de investigación, casi excluidas del ámbito educativo y dejadas al abandono por el Estado. La imbricación entre lo económico y lo político, que existe desde siempre, crece día a día en un mundo en el que, de las 100 entidades económicas más poderosas del planeta, 69 son empresas y sólo 31 países.

Ya es grave que las instituciones del Estado decidan masivamente en nuestro lugar no explorar otras vías, que habrían podido ser más favorables a lo humano, bajo pretexto que contravienen a la lógica del sistema actual. Al cambiar una gran parte del marco legal de nuestras vidas cotidianas y abrir la posibilidad de una injerencia más explícita de las empresas en política a través de esos tribunales, esos tratados de nueva generación fijan quizá definitivamente el sistema actual volviendo mucho más difícil la posibilidad de explorar vías alternativas en el futuro.

Y sin embargo esas vías alternativas florecen hoy por hoy : desde iniciativas de economía solidaria, hasta proyectos de arquitectura eco-sostenible, o posibilidades de disminuir la jornada laboral como la explorada en Suecia de reducirla a seis horas y que resultó productiva… basta con mirar siquiera un poco a su alrededor para constatar el formidable impulso vital de todo un mundo de ciudadanos y de organizaciones solidarias que desean vivir de otro modo.

Esos tratados representan por tanto la imposición casi definitiva al conjunto de la población de un modo entre tantos de entender la existencia y de un modelo de vida. Frente a esto, la UE defiende sus tratados recurriendo al ineludible argumento de la competitividad. Más allá de que ese argumento haya sido cuestionado por economistas dentro de esa misma lógica del beneficio (1), hay que recordar que el sistema capitalista y patriarcal no es sino un sistema de pensamiento entre muchos y que es el fundamento mismo de ese sistema el que tantos gestos de la vida cotidiana, iniciativas de los Estados nórdicos, procederes comunitarios de los países “periféricos” o verdaderas nuevas teorías desarrolladas por intelectuales, fuera de las oposiciones capitalismo/socialismo, cuestionan.

El capitalismo actual aparece ante horizontes ideológicos de muy diversa índole como una huida hacia delante, una ideología cada vez menos adaptada a la realidad por el hecho de hacer caso omiso de las tensiones sociales y mundiales, que espera silenciar eternamente con la represión, y de los perjuicios causados a la naturaleza, que espera compensar llevando siempre más lejos sus fronteras : fracking, recurso a la química y a los OGM en agricultura para paliar los daños causados por las desigualdades y los conflictos… Se trata por tanto, para muchos horizontes ideológicos, de darse una verdadera oportunidad de construir algo nuevo. La idea parece casi una tautología y sin embargo forzoso es constatar que no resulta evidente.

Es por mi parte desde el feminismo y desde el análisis de las relaciones de poder vinculadas a los estudios de género desde donde cuestiono la noción de competitividad. Desde siempre el pensamiento liberal –prolongación natural si cabe en su modalidad actual de la lógica patriarcal- nos dice que la competencia empujará a cada uno a mejorar y nos explica que sin ella volveríamos a la edad de piedra. No hay necesidad de ser economista ni tan siquiera de haber pasado por la universidad para constatar al mirar el mundo esta banalidad : fuera de las bellas abstracciones que son las construcciones ideales, aquí abajo, en lo imperfecto de la condición humana, la competencia tal y como la entendemos hoy empuja más a destruir al otro que a mejorar uno mismo. La competencia ha formado sociedades violentas y fragmentadas en las que los acosos se están convirtiendo en fenómenos de sociedad y en las que seguramente no sea casualidad si las crisis del capitalismo se traducen tan a menudo por un aumento de las violencias de género.

Es deseable que logremos romper el tabú institucional que pesa sobre el cuestionamiento del postulado de que la competencia lleva al progreso del conjunto, pues es cada vez más evidente, desde distintos horizontes, que puede y debe ser cuestionado desde el propio Estado. La sociedad civil no ha esperado a que le den permiso para efectuar esta puesta en tela de juicio y quizá haya que tomar esos movimientos sociales como una ocasión para reflexionar sobre las nuevas pistas que ofrecen y los distintos cuestionamientos que portan. Entre ellos, no de los menores, la reflexión sobre lo que sería de la noción ya en crisis de democracia en una sociedad en la que las empresas tuvieran el poder de imponer sus beneficios como primera preocupación a los órganos de representación ciudadana. Tradicionalmente han sido las élites las que han informado los valores de las sociedades, pero quizá en el siglo XXI una construcción social que refleje su realidad deba efectuarse entre todos y no por imposición.

Escribo esta tribuna desde mi posición de ciudadana, sabiendo perfectamente que es muy posible que algunos “trolls” de distintos horizontes me caigan encima por el hecho de ser mujer y decir esto ; la escribo de todos modos. Porque va siendo hora de dejar claro que, si no nos situamos en la misma lógica que ellos, es porque su lógica no nos convence, no porque no la entendamos.

(1) Según Pierre Kohler y Servaas Storm el nivel de ingreso interior bruto de la UE podría disminuir en un 0,49% de aquí a 2023 en caso de que se firme el CETA. « Rejet wallon du Ceta, nouvel accroc pour le libre-échange », Le Monde Diplomatique, 14 octobre 2016,  http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2016-10-14-Rejet-du-Ceta-accroc-libre-echange 

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