Le 18 juin la justice décidait si elle laissait ou non en liberté les intégrants de « la Meute » en attente du procès en appel. Le simple fait que cette requête soit accueillie avec autant de normalité, après tout ce qui s’est passé, m’a indignée : la brutalité de l’agression, la conversation de wasapp qui planifie de façon explicite un viol et n’est pas retenue comme preuve, les déclarations qui ont été faites dans certains espaces de débats pendant que l’on attendait le jugement, la légèreté de la peine –neuf ans-, le fait que les inculpés se soient permis de surveiller la victime après les faits, le lyrisme de l’argumentaire que le juge qui était en désaccord avec la sentence et souhaitait absoudre le groupe a dû produire pour expliquer sa position, les filtrations par la justice de données de la victimes en raison d’une erreur informatique, l’exposition volontaire de données de la victime par des individus primitifs comme instrument explicite de châtiment. Depuis, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la victime, cette héroïne involontaire qui a été conduite face aux autorités par des témoins emplis de bonnes intentions, et qui depuis a encaissé toute sortes d’offenses et vexations, institutionnelles, individuelles et tout simplement crétines, au nom de la liberté de toutes les femmes. Tout en la remerciant au nom des filles que je n’aurai probablement pas, mais aussi au nom de ma nièce, je ne veux pas la laisser seule en cela. Et elle n’est pas seule : outre le soutien d’associations et de son cercle, nous avons pu voir comment la rue l’a soutenue massivement. Il n’empêche, nous avons pu voir aussi comment la justice réagissait, avec une mentalité propre d’il y plusieurs siècles, signifiant à cette fille qu’il n’y a pas mort d’homme et que, si elle ne veut pas être violée, elle n’a qu’à pas sortir de chez elle. Que la justice envisage les femmes comme des individus pourvus de droits –de sortir, de dire non, de mettre une claque à un type qui les dérange-, et non comme des êtres dont l’insubordination mérite punition, est un véritable combat, un combat que nous devons gagner.
Au milieu de toute cette agitation, des initiatives comme celle de Ruth Toledano, qui a raconté dans l’un de ses articles son viol et les motifs pour lesquels elle n’y a pas opposé de résistance physique, auront sans doute constitué un grand apport (1). De ce fait, au cas où mes mots parviendraient à cette fille que je ne connais pas, je vais émuler Toledano et parler de mon expérience du viol. Dans mon cas, c’est mon compagnon qui m’a violée. Un compagnon qui a exercé de la violence physique sur ma personne à deux reprises, celle-ci étant l’une d’entre elles. Le viol a été une lutte de pouvoir en bonne et due forme. Les choses n’allaient pas bien entre nous, en raison de sa possessivité et de sa violence. Ce jour là, je me suis rendue compte que j’avais oublié de prendre la pilule et il m’a violée pour essayer de me faire tomber enceinte. A dire vrai, du fait que j’ai très tôt évolué dans ma vie au centre de nœuds tendus de rapports de pouvoir, j’ai été très consciente à tout moment que c’est bien plus qu’un rapport sexuel qui était en jeu. C’est la volonté de m’humilier qui était en jeu, tout comme celle de me retenir –d’après lui, si je tombais enceinte-, en quelque sorte la volonté de me réduire à la basse condition de mon anatomie.
Avant ce jour-là je n’avais pas spécialement réfléchi au viol, et bien que j’ai été à tout moment consciente que c’est d’un bras-de-fer qu’il s’agissait, je ne peux pas dire que je m’attendais à ce qui s’est passé, cela m’a prise de court. De ce fait, bien que j’aie pu exercer une résistance, j’ai subi la dissociation, que je ne connaissais pas non plus à l’époque. C’est comme regarder ce que vous vivez dès l’extérieur et cela procure une sensation de paix très hors-propos, puisqu’elle ôte de l’efficacité à votre défense et que les effets psychologiques d’un viol, évidemment, se prolongent bien au delà de la dissociation qui a lieu sur le moment.
Je me suis donc dissociée, mais ce n’est pas pour ce motif que, tout comme Toledano, j’ai arrêté de me débattre. J’ai arrêté de me débattre parce que je me suis rendue à l’évidence que je pesais 50 kilos, alors qu’il en faisait plus de 80, et qu’il m’avait immobilisée. Bien que dissociée, j’étais très consciente de ce qui était en jeu dans cette scène – j’avais déjà lu à l’époque des essais de Foucault. De ce fait, j’ai arrêté de me débattre très prosaïquement parce qu’il m’a paru évident que cela était inutile et que la dernière chose que je voulais c’était alimenter son délire de puissance en résistant. En somme, en ce contexte, j’ai fait ce que j’ai pu pour l’emmerder : lui gâcher le plaisir qu’il pensait y trouver. Au même moment où il me violait pour me mettre enceinte, il savait que je n’étais pas là. Qui a « gagné » ? J’imagine que l’on peut dire qu’on a fait match nul. J’ai du caractère, par chance ou par malheur, et j’ai atteint mon but de l’emmerder.
Je me rappelle bien des premiers moments qui ont suivi –tout s’est passé très vite- de par l’aspect inattendu de mes sensations et de mes sentiments. En tout premier lieu, la surprise de ne pas me sentir au bord du suicide. J’étais très consciente du degré d’aliénation que j’avais atteint dans le rapport d’objet, et c’est comme cela que je l’ai vécu, non pas comme la transgression d’un tabou judéo-chrétien, mais comme cette sorte de mécanise de coaction foucaldien –que de fait constitue le viol-, avec cette distance sur les événements. Le problème est que le corps violé pour être puni était mon corps. Et cela se produisait en outre dans le contexte bien précis qu’il y avait un risque que je tombe enceinte. Cela avait était pour lui la tentative de me renvoyer à ma seule condition physique. J’ai donc senti une sorte de fracture. Non pas physique, mais existentielle. De ce jour, je n’ai plus ressenti mon corps de la même façon. Je ne me sens pas salie, je suis très consciente des motifs qui l’ont conduit à faire cela. Mais la perception du « moi » homogène que j’avais de moi-même avant ce jour n’est plus revenue. J’ai commencé à sentir mon corps comme s’il ne m’appartenait pas, le vivant comme quelque chose où je suis, pour ainsi dire, et non que je suis.
La plus grande souffrance que ce viol m’a procurée n’est venue en réalité que deux ou trois ans plus tard. D’une certaine manière, mon psychisme avait bien atténué l’impact au delà du moment du viol. En effet, la plus grande souffrance est psychique, et elle est difficile à décrire. Dans mon cas elle était diffuse. Elle ne s’est pas manifestée par des flash traumatiques, comme cela a pu être le cas pour d’autres violences auxquelles j’ai été confrontée. Elle ne s’est pas manifestée non plus par un sentiment d’abjection, comme j’ai pu le lire parfois. Elle s’est manifestée sous la forme d’un mal-être généralisé, et de ce « divorce » de mon corps, que je n’ai plus jamais senti comme mien, comme partie intégrante de moi-même. Comme je l’ai déjà dit, j’ai sans doute eu l’avantage par rapport à d’autres personnes ayant vécu des choses similaires, d’avoir été consciente à tout moment que cela n’avait rien de sexuel, que cela ne concernait même pas mon corps, que cela concernait mon autonomie et ma capacité intellectuelle.
Tous les viols sont différents, mais ils ont tous quelque chose en commun : ils sont un acte de domination qui a peu ou rien à voir avec la sexualité. Puisque c’est dans mon cas mon compagnon qui m’a violée, et qu’il m’a violée dans le but de me mettre enceinte, il va sans dire que je l’ai vécu comme un bras-de-fer. Depuis mes 50 kilos, j’ai quand-même réussi à ce qu’il n’atteigne pas son objectif de me démolir psychiquement, ni celui de prendre du plaisir, mais je ne suis pas sortie non plus indemne, j’ai cette fracture, cette sorte d’aliénation du corps qui m’est devenu partiellement extérieur, support de ce que je suis.
Je n’ai pas porté plainte ce jour, mais je fais d’une autre façon ce que je peux pour que cela n’arrive pas aux plus jeunes. C’est par calcul de rentabilité psychique, pour ainsi dire, que je n’ai pas porté plainte sur le moment. Mon objectif était de guérir, or c’est mon compagnon qui m’avait violée, j’étais pratiquement sûre que la police n’avait pas lu Michel Foucault et, pesant rationnellement ce que j’avais à y gagner et à y perdre compte tenu de mon objectif qui était de minimiser l’impact et de me régénérer, je suis arrivée à la conclusion que la meilleure chose à faire était de ne pas porter plainte et de retourner le coup. Les femmes sont physiquement plus petites pour la plupart, il est vrai, mais les hommes sont très fragiles psychologiquement. Il n’est pas vrai que les femmes n’aient pas de marge pour porter préjudice : elles en ont. Pour ma part c’est ce que j’ai fait et je considère que l’affrontement s’est résolu en match nul.
Mais revenons à la fille de Pampelune, car je raconte cela pour deux motifs : 1. contribuer à mettre en avant le problème du déficit de justice institutionnelle 2. contribuer à ce que cette fille se sente, peut-être, un peu mieux. J’ai déjà parlé de la justice et des motifs qui m’ont poussée à ne pas porter plainte. Maintenant je peux m’adresser à cette fille, je crois, comme celui qui lance une bouteille à la mer. Personnellement, je crois que le mieux qu’elle puisse faire dans un premier temps pour se sentir mieux est de rationaliser et d’accepter. Rationaliser, c’est-à-dire, comprendre l’ensemble du processus, comprendre comment, bien qu’il s’agisse de son corps, il n’est en quelque sorte pas le premier concerné. En ce qui les concerne eux, le viol vise en premier lieu à leur permettre de se créer vis-à-vis des autres et vis-à-vis d’eux-mêmes une image fallacieuse de puissance et de supériorité existentielle, partageant un privilège de détruire dont ils l’excluent elle. Puis, en ce qui la concerne elle, il vise à discipliner toute la catégorie d’individus à laquelle elle appartient –les femmes- pour ne pas qu’elles sortent de chez elles durant les festivités de San Firmin, surtout les leurs, et qu’elles ne les trompent pas, par exemple, et toutes ces inquiétudes qu’ont les hommes peu sûrs d’eux. Pour guérir, cette jeune fille doit aussi accepter : accepter que certaines choses ne seront plus comme avant, que la première chose à faire est de consacrer du temps à connaître cette inconnue qu’elle est devenue, l’aimer pour ce qu’elle est, la survivante d’une bande de crétins et de quelques Messieurs prêts à faire d’elle le dommage collatéral de leurs privilèges.
Une grande partie de la société s’est comporté comme si son corps ne valait rien, c’est sûr, nous n’allons pas le nier à ce stade, mais cela est quelque chose qui arrive dans tous les régimes de domination. Ce n’est pas pour rien que, dans les plantations, une des punitions pour les esclaves désobéissants était d’être violés par le contremaître devant leurs familles et leurs connaissances. Nous savons de quoi nous parlons : exactement du même phénomène. Je souhaite donc dire à cette fille de prendre de la hauteur, de voler, très haut et très loin, de rétablir la perspective, d’être consciente qu’elle a été traitée comme un rebus, mais parce que cela est un mécanisme de coaction destiné à un collectif. In fine, quelles seraient les implications d’incarcérer pour 25 ans 5 types qui ont encerclé et pénétré par tous les orifices de son corps une adolescente seule ? Cela supposerait de reconnaître que cela ne peut procurer du plaisir à pratiquement personne – invalider le message de 98% des fictions pornographiques. Cela supposerait de reconnaître que les femmes qui pèsent 50 kilos et ne sont pas ceinture noire d’une art martial ont autant de droits que n’importe qui –à combien le kilo de droits ? Cela supposerait, surtout, de se reconnaître eux-mêmes comme individus parmi d’autres, et non comme maîtres de l’univers.
Quel que soit le comportement de l’institution, cela doit être très clair dans la tête de cette jeune fille : un violeur n’est pas quelqu’un de fort ; un violeur est un crétin amoureux de sa personne tâchant de compenser quelque chose à travers du mécanisme propre aux crétins, se créer une illusion. Son corps à elle importe, il est important pour beaucoup d’entre nous et il doit être important pour elle : elle doit en prendre soin et voir le viol comme ce que c’est, la tentative désespérée d’un imbécile d’être quelqu’un, une déclaration d’impuissance en soi.
C’est là qu’intervient, d’ailleurs, la deuxième phase de guérison que je conseillerais à cette fille : leur rendre la monnaie de leur pièce, comme on dit, mais pas n’importe comment, la leur rendre avec méthode et discipline. Qu’elle ne s’attèle pas à rendre quoi que ce soit tant qu’elle ne sera pas bien et maître de sa personne ; qu’elle les rende, d’ailleurs, uniquement à l’intérieur du cadre légal, car de tels abrutis ne valent pas la peine qu’elle perde son temps de vie en prison. Qu’elle mette en place une sorte d’autodéfense féministe temporisée, salope jusqu’à la moelle et complètement assumée qui va lui faire du bien.
Il est possible de fermer ce billet en disant aux plus jeunes que cela a été génial de les voir déferler comme cela massivement dans les manifestations, tant de jeunes de moins de 25 ans criant que ces hommes étaient méprisables. On peut aussi leur rappeler, sachant que ce rappel est apparemment moins nécessaire que ce que certains chiffres pouvaient laisser penser, que toute pratique sexuelle non consentie est un viol, et cela implique aussi les femmes qui conjoncturellement n’ont pas le discernement pour dire oui –que ce soit par un état d’ivresse, parce qu’elles dorment ou sont sous médicaments- ou toute autre situation qui ne permet pas de dire oui.
La bataille de la justice est en cours. Par chance, nous avons la certitude que la question des agressions sexuelles et de la perspective machiste de la justice inquiète sincèrement une partie importante de la magistrature, mais la forme dont ce cas a été conduit et la sentence sur laquelle il débouche ne fait qu’exposer dramatiquement les velléités réactionnaires de domination d’une partie de la magistrature, ainsi que l’inertie de la machine institutionnelle, qui, nous en sommes tous conscient-e-s, ne va pas évoluer toute seule. Il est tout de même très inquiétant que tant d’initiatives individuelles de femmes doivent palier à cet immobilisme.
(1) Ruth Toledano, “Mi violación”, eldiario.es, 19/11/2017, https://www.eldiario.es/zonacritica/violacion_6_709789026.html
Carta abierta a la víctima de “la Manada” : mi experiencia de la violación
Ante la perspectiva de cerrar el blog por el verano, finalmente no me quedo tranquila con la idea de las eventuales evoluciones del caso de la Manada, ya tan indignante en su conjunto, y anticipo quizá, de cara a la víctima, alguna cosa que me hubiera gustado transmitirle, antes de cerrar hasta septiembre.
El 18 de junio se dirimía si la justicia dejaba o no en libertad a la espera del nuevo juicio de recursos a los integrantes de la “Manada”. El simple hecho de que la demanda fuera acogida con tanta normalidad, después de todo el conocido desarrollo de los hechos, me pareció indignante : la brutalidad de la agresión, la cadena de wasapp que planifica explícitamente una violación y no ha sido retenida como prueba, las declaraciones que han podido hacerse en espacios de debate a la espera del juicio, lo ligero de la pena –nueve años-, que los inculpados se permitan vigilarla después de los hechos, el poema que es en sí el voto particular del juez que aboga por la absolución, las filtraciones de la justicia de datos de la víctima por un error informático, la exposición voluntaria de datos de la víctima por individuos primitivos como explícita herramienta de castigo. Y desde entonces no he podido dejar de pensar en la víctima, esa involuntaria heroína que fue llevada a las autoridades por bienintencionados testigos y que desde entonces ha encajado toda suerte de agravios y vejaciones, institucionales, individuales y simplemente cretinas en aras de la libertad de las demás. A la vez que se lo agradezco por las hijas que probablemente no tenga, pero también por mi sobrina, no quiero dejarla sola en esto. Y sola no está : al margen del apoyo de asociaciones, familiares y amigos hemos visto como la calle se ha volcado con ella. Sin embargo, ahí tenemos a la justicia reaccionando con varios siglos de retraso, diciéndole a la chica que tampoco es para tanto, que si no quiere ser violada que no salga de casa. Que la justicia enfoque a las mujeres como a individuos con derechos –a salir, a decir que no, a partirle la cara a un tipo que las molesta-, y no como seres cuya insubordinación merece castigo es un verdadero combate, un combate que debemos ganar.
En medio de tanta agitación, iniciativas como la de Ruth Toledano, que contó en uno de sus artículos su violación y los motivos por los que no se resistió, sin duda habrán aportado mucho (1). Por eso, por si mis palabras le llegan a esa chica que no conozco, voy a emular a Toledano y hablar de mi experiencia de la violación. En mi caso fue mi compañero sentimental el que me violó. Un compañero sentimental que ejerció violencia a nivel físico dos veces sobre mí, una de ellas esa. La violación fue una lucha de poder con todas las de la ley. Las cosas no nos iban bien a nivel de pareja, por su posesividad y su violencia. Ese día, yo me percaté que había olvidado tomarme la píldora anticonceptiva y él me violó para intentar dejarme embarazada. La verdad es que por haberme tenido que desenvolver muy pronto en nudos tensos de relaciones de poder, fui muy consciente de que lo que allí estaba en juego era bastante más que una relación sexual. Lo que ahí estaba en juego era la voluntad de humillarme, y a la vez retenerme –según él, si quedaba embarazada- de algún modo devolverme a la baja condición de mi anatomía.
Antes de ese día yo no había reflexionado particularmente sobre violaciones, y si bien fui muy consciente del pulso que estábamos teniendo, no puedo decir que me lo esperase, me pilló por sorpresa. Por eso, a pesar de que pude ejercer resistencia, si que viví la famosa disociación, que tampoco conocía en aquella época. Es como ver lo que te pasa desde el exterior y procura una sensación de paz inadecuada, porque resta eficacia a tu defensa y porque los efectos psicológicos de una violación, obviamente, se prolongan bastante más allá de la disociación que sucede en ese momento.
Así pues, yo me disocié, pero no es por eso por lo que, como Ruth Toledano, dejé de defenderme. Dejé de defenderme porque pronto se me hizo obvio que, pesando yo 50 kilos y él más de 80 me tenía inmovilizada. Aunque estaba disociada, era muy consciente de lo que estaba en juego en esa escena –ya había leído varios ensayos de Foucault. Por tanto, dejé de debatirme, prosaicamente porque se me hizo evidente que era inútil y lo último que quería era alimentar su delirio de potencia ofreciendo resistencia. En suma en ese contexto hice lo que pude para resistir : fastidiarle el placer que esperaba encontrar. En el mismo momento en que me estaba violando para dejarme embarazada, él sabía que yo no estaba allí. ¿Quién « ganó » ? Supongo que se puede decir que quedamos en tablas. Por suerte o por desgracia, yo tengo bastante carácter, y sí logré mi objetivo de fastidiarle la agresión.
Recuerdo bien los primeros momentos que siguieron –todo pasó muy rápido- por lo inesperado de mis sensaciones y sentimientos. En primer lugar, sorpresa de no sentirme al borde del suicidio. Era muy consciente del grado de alienación que había adquirido en la relación de objeto, y como tal lo viví, no como la transgresión de un tabú judeocristiano, sino como esa suerte de mecanismo de coacción foucaldiano –que de hecho es la violación-, con esa distancia sobre los acontecimientos. El problema es que el cuerpo violado para ser castigado era en ese caso mi cuerpo. Y además sucedía en el contexto bien preciso de que había riesgo que quedara embarazada. Para él había sido un devolverme a mi mera condición física en toda la regla. Así, lo que sí sentí es una suerte de fractura. No física, pero sí existencial. Desde ese día no he vuelto a sentir mi cuerpo de la misma manera. No me siento sucia ni nada por el estilo, soy muy consciente de los motivos por los que hizo eso. Pero la sensación del « yo » homogéneo que tenía de mí misma antes de ese día no ha vuelto. Empecé a sentir mi cuerpo como si no fuera mío, viviéndolo como algo en lo que “estoy”, por decirlo así, pero no como algo que soy.
El mayor sufrimiento que me procuró esa violación no vino en realidad sino hasta dos o tres años más tarde. De algún modo mi psiquismo sí había dormido el impacto más tiempo que el de la mera violación. En efecto, el mayor sufrimiento es psíquico, y es difícil de describir. En mi caso fue difuso. No se manifestó en flashes traumáticos como sí han podido dejarme otras violencias. Tampoco en una suerte de sentimiento de abyección, como he podido leer en algunos sitios. Se manifestó en un malestar general, y en ese “divorcio” del cuerpo, que nunca volví a sentir como mío, como parte integrante de mi ser. Como dije, cuento sin duda con la ventaja, respecto a personas que hayan tenido que confrontar coyunturas similares, de haber sido del todo consciente de que aquello no tenía nada de sexual, de que ni siquiera iba con mi cuerpo, de que iba con mi autonomía y mi capacidad intelectual.
Todas las violaciones son distintas y sin embargo todas tienen un punto común : son un acto de dominación que poco o nada tiene que ver con el sexo. Puesto que en mi caso me violó mi pareja, y me violó además para dejarme embarazada, obvia decir que la viví como un pulso. Desde mis 50 kilos, conseguí hundirle el objetivo, pero no salí indemne, tengo esa fractura, esa suerte de enajenamiento del cuerpo que se me ha vuelto extraño, soporte de lo que soy.
No denuncié ese día, pero hago de otro modo lo que puedo por las que vienen detrás. No denuncié por un mero cálculo de rentabilidad respecto a mi objetivo, que obviamente era sanar : quien me había violado era mi pareja, estaba casi segura de que la policía no habían leído a Michel Foucault y pesando racionalmente lo que tenía que perder y que ganar en mi objetivo de minimizar daños y regenerarme, llegué a la conclusión de que lo mejor que podía hacer era no denunciar y devolver el golpe. Las mujeres somos físicamente más pequeñas, es cierto, pero los hombres son increíblemente frágiles a nivel psicológico. No es cierto que no tengamos ningún margen de daño : lo tenemos. Por mi parte es lo que hice y considero como digo que quedamos en tablas.
Pero volviendo a la chica de Pamplona, cuento todo esto por dos motivos : 1. contribuir a subrayar el problema del déficit de justicia institucional 2. contribuir a que esa chica, quizá, se sienta algo mejor. Ya he hablado de la justicia y de por qué yo no denuncié. Ahora puedo dirigirme a ella, creo, como quien lanza una botella al mar. Personalmente, creo que lo mejor que puede hacer ahora para sentirse mejor es, en un primer momento, racionalizar y aceptar. Racionalizar, esto es, entender todo el proceso, entender cómo, aunque desde luego es su cuerpo, el asunto no va con él. El asunto va destinado, de cara a ellos, a crearse una imagen falaciosa de potencia y de superioridad existencial, compartiendo el privilegio de vejar, del que la excluyen. De cara a ella, a disciplinar a toda su categoría de individuos –las mujeres- para que no salgan de casa en San Fermines, particularmente las suyas, y no les pongan los cuernos, por ejemplo, o toda esa suerte de problemas que tienen los tipos inseguros. Y aceptar : aceptar que algunas cosas no volverán a ser como eran, que lo primero que tiene que hacer es dedicarse a conocer a esa desconocida que ahora es, quererla tal cual es, la superviviente de una panda de cretinos y de unos señores que están dispuesto a hacer de ella el daño colateral de su privilegio.
Gran parte de la sociedad se ha comportado como si su cuerpo no tuviera valor, desde luego, no vamos a estas alturas a decir que no, pero eso es algo que sucede en todos los regímenes de dominación. No por nada en las plantaciones uno de los castigos a los esclavos díscolos era ser violados por el capataz delante de toda su familia y conocidos. Sabemos de qué estamos hablando : exactamente del mismo fenómeno. Así pues, que tome altura, que vuele, muy alto y muy lejos, que restablezca la perspectiva, y sepa que ha sido tratada con total ausencia de respeto, pero como mecanismo de coacción sobre un colectivo mucho mayor. In fine, ¿qué supondría meter en la cárcel durante 25 años a 5 tipos que han acorralado y penetrado por todos los orificios del cuerpo a una chica sola? Supondría reconocer que eso no es placer para casi nadie –invalidar el mensaje del 98% de las ficciones pornográficas. Supondría reconocer que las mujeres que pesan 50 kilos y no son cinturón negro de ningún arte marcial tienen tantos derechos como cualquiera -¿a cuánto está el kilo de derechos? Supondría, sobre todo, reconocerse a sí mismos como individuos corrientes, y no como dueño de la creación.
Pero, haga lo que haga la institución, que ella lo tenga muy presente : un violador no es alguien fuerte ; un violador es un cretino enamorado de sí mismo intentando compensar algo a través del mecanismo propio de un cretino, haciéndose una película. Su cuerpo importa, nos importa a muchas y le tiene que importar a ella : que lo autocuide y que vea la violación como lo que es, la tentativa desesperada de un imbécil por ser alguien, en sí una declaración de impotencia.
De hecho, aquí interviene la segunda fase de curación que yo le aconsejaría esta chica : devolverlas, como se dice, pero no de cualquier manera, devolverlas con método y disciplina. Que no las devuelva mientras no esté bien y sea dueña de sí misma ; que las devuelva sólo dentro del marco de la ley, porque semejantes patanes no merecen que ella pierda tiempo de vida entre rejas. Una suerte de autodefensa feminista temporizada y cabrona que le sentará bien.
Cabe cerrar esto diciéndole a los más jóvenes que fue fabuloso verlos asistir tan masivamente a las manifestaciones, tanto chaval de no más de 25 años gritando que esos tipos son deleznables. Recordarles, sabiendo que por lo visto es menos necesario de lo que las cifras dejan pensar, que toda práctica sexual que no reciba consentimiento es violación, y ello implica tanto a las mujeres sin discernimiento para decir que sí –por estado de embriaguez, por estar dormidas o medicadas- como cualquier otra cosa que no permita decir que sí.
La batalla de la justicia está en curso, y por suerte tenemos la certeza de que la cuestión de las agresiones sexuales y del sesgo machista de la justicia preocupa sinceramente a una parte de la magistratura, pero la forma en que se ha gestionado este caso y la sentencia en que desemboca no hace sino dejar dramáticamente a la luz las veleidades reaccionarias de dominación de una parte de la magistratura, y la inercia de la maquinaria general, que, todos lo tenemos presente, no se va a mover sola. No deja de ser preocupante que tantas iniciativas individuales de mujeres tengan que paliar a su inmovilismo.
(1) Ruth Toledano, “Mi violación”, eldiario.es, 19/11/2017, https://www.eldiario.es/zonacritica/violacion_6_709789026.html