L'ONG Médecins du Monde a annoncé récemment qu’elle saisissait la Cour européenne des droits de l’Homme pour tenter d’abroger la pénalisation des clients prévue dans la loi de prostitution de 2016, en compagnie de 19 associations et de 250 travailleuses du sexe. En effet, elle a échoué au préalable à ce que le Conseil Constitutionnel l’abroge. Ses arguments : la loi précarise et fragilise les personnes prostituées, les exposant à davantage de violences qu’au préalable dans leur exercice. Elle prétend aussi que la loi constitue, à terme, une atteinte aux droits fondamentaux à la santé et la sécurité, ainsi qu’à celui du respect à la vie privée. Le recul sur le modèle suédois serait suffisant pour affirmer qu’il met en danger les personnes prostituées et l’ONG souhaite, en ce sens, que la France cesse, conformément aux recommandations de l’ONU, d’adopter des lois répressives, dit-elle dans son communiqué.
La démarche illustre sans doute une vérité des gens de terrain qui, tout en reflétant une vérité partielle, n’est pas opérationnelle pour l’ensemble. Il est difficile de mettre en doute que depuis 2016 le quotidien ait été peut-être plus dur pour les personnes prostituées, la question étant que cette loi n’a pas été appliquée convenablement, comme cela a déjà été signalé. Parmi les trois aspects qu’elle contemple -prévention, répression et protection des victimes-, seulement la pénalisation du recours à la prostitution par les clients et l’aménagement d’un parcours de sortie de la prostitution ont été envisagés. Par ailleurs, les financements de l’Etat qui lui sont consacrés sont en baisse : de 6,8 millions ils sont passé à 5 millions en 2018, puis à 2 millions en 2019. Les crédits de l’Aide financière à l’insertion sociale et professionnelle (AFIS) et les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ont particulièrement baissé. Il faudrait en outre une impulsion du gouvernement, une directive qui mette en adéquation les politiques locales et les politiques de 2016 pour qu’une application homogène et systématique se fasse sur le territoire.
Certes, pour évaluer cette loi, il y a le modèle suédois, sur lequel elle prend modèle. La question est que, concernant la prostitution, nous avons aussi un autre modèle : celui de l’Allemagne, qui, elle, a modifié depuis 2002 la situation légale de cette activité. Depuis 2002, la gestion de personnes prostituées est devenue légale. Même si leur exploitation reste illégale, la persécution du proxénétisme a été rendue presque impossible par ce changement de statut.
Le nombre de maisons closes a en effet beaucoup augmenté en Allemagne depuis 2002, jusqu’à totaliser 3500, éparpillées dans tout le pays. Le chiffre d’affaire résultant de la prostitution a également augmenté : 14,5 milliards d’euros en 2013, contre trois à quatre fois moins en 2002. L’Allemagne est devenue, suivant l’estimation de beaucoup, le plus grand bordel d’Europe. C’est un fait avéré : « les droits fondamentaux à la santé, la sécurité et au respect à la vie privée » des personnes prostituées, pour reprendre les termes de Médecins du Monde, ne sont pas davantage respectés.
Quelques 400.000 prostituées -dix fois plus qu’en France- sont recensées dans le pays, majoritairement des migrantes sans papiers, victimes de la traite d’êtres humains, venant de pays de l’Est et du Nigeria. Puisque, une fois légalisée, la prostitution est contemplée comme une affaire commerciale ne se distinguant pas des autres, les offres commerciales que l’on découvre en Allemagne sont, bien souvent, tout simplement aberrantes pour les femmes, aussi bien pour celles qui sont prostituées que pour les femmes en général, en tant que catégories d’individus dont on peut se représenter une telle dégradation. En effet, certaines maisons closes offrent ainsi des packages forfaitaires de 70 euros la journée et 100 euros la soirée. Toutes les pratiques sexuelles sont proposées, y compris sans préservatif, ainsi que les gangbang. Les maisons closes offrent même des femmes prostituées enceinte, jusqu’à de six mois, fantasme qui a été à la mode à un moment.
C’est en 1999 que la Suède a mis en place son modèle. Il pénalise le client et offre une voie de réinsertion aux personnes en situation de prostitution. Sa mise en place correspond à l’analyse suivant laquelle la prostitution est en soi une violence. Pour reprendre l’affirmation de Françoise Héritier, « dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter ». Ce modèle a eu l’incroyable mérite, en dix ans, de faire pratiquement disparaître en Suède la traite d’êtres humains à destination de prostitution. Il a été néanmoins très critiqué par les partisans du maintien de la prostitution. On a critiqué en particulier la façon dont les services sociaux ont éradiqué la prostitution, donnant lieu parfois à des abus.
D’un point de vue individuel, la question de la prostitution est très complexe, car elle engage la question de la liberté de l’être humain, qui est inextricable. On peut cependant dire qu’il ne fait pas de doute que d’un point de vue structurel, la prostitution est une énorme violence. D’une part, elle donne lieu à la traite de personnes, pour laquelle la prostitution est une des destinées majeures. Quatre millions de personnes font ainsi objet de trafic chaque année, selon les Nations Unies, Europol estime à 12 milliards d’euros les revenus produits par la traite de personnes. D’autre part, la prostitution induit une représentation des femmes en objet, ce qui a des répercussions effectives sur les violences faites à toutes les femmes, au-delà des personnes en situation de prostitution, puisque la représentation en objet est une des causes des violences structurelles faites aux femmes.
Puis, même d’un point de vue individuel, il faut tenir compte de deux données. La première est le nombre de personnes s’engageant sur cette voie qui ont subi des abus sexuels dans l’enfance où à l’âge adulte. En effet, entre 33% et 80% des femmes prostituées ont été victimes d’abus sexuels, contre 15% à 20% pour les femmes non prostituées (1). La deuxième, que, comme je l’avais montré dans Le symbolique est politique. Quel projet politique pour contrer les violences interrelationnelles structurelles ? (2017), le système prostitueur en lui-même abonde en mécanismes visant à briser la volonté de l’individu : le viol institué en sorte de rituel initiatique est assez courant dans les locaux qui offrent des services de prostitution, y compris sur les femmes qui y viennent volontairement ; les femmes prostituées les plus réticentes sont bien souvent initiées à la consommation de substances hallucinogènes ; il est courant, pour les propriétaires de plusieurs locaux, de faire changer de local les femmes qui y travaillent, afin de briser les éventuels liens de solidarité qui pourraient se créer entre elles. Il va sans dire qu’une pratique libre n’abonderait pas en mécanismes destinés à briser la volonté de l’individu. Par ailleurs, sans tomber en déterminismes, la réalité est que le vécu corporel change avant et après une agression sexuelle. L’estime de soi peut, elle aussi, changer. On ne peut donc pas envisager comme donnée anodine que le pourcentage de femmes prostituées ayant vécu des abus soit si élevé : il est significatif. Ces deux données démentent donc à elles seules l’image de carte postale de la pratique libre généralisée de la prostitution que certains secteurs du féminisme et de la gauche s’obstinent à véhiculer.
Par ailleurs, plusieurs études ont déjà démontré que le syndrome de stress post-traumatique des femmes qui ont été prostituées est plus sévère parfois que celui des vétérans de la guerre du Vietnam et du Golfe. Les études de l’impact du retour au pays, chaque année, de centaines de femmes originaires des pays de l’Est qui sont allées se prostituer dans les maisons closes allemandes sont déjà amorcées. Plusieurs d’entre elles ont démontré que, puisque les traumatismes graves se transmettent partiellement de mère en fils, la naissance de dizaines d’enfants issus d’une mère qui s’est prostituée peut avoir un impact sur le long terme.
La prostitution est en elle-même une violence, parce qu’elle réduit à l’état d’objet majoritairement une catégorie d’individus – entre 80% et 90% des personnes prostituées sont des femmes. Il n’y a pas à répondre par un non catégorique à la question qu’il ne puisse pas exister des femmes qui se prostituent librement, mais il ne fait pas de doute non plus que dans un monde gouverné par une logique économique, une majorité des femmes prostituées le sont, au mieux, par manque d’options concurrentielles.
L’on peut comprendre que les personnes travaillant sur le terrain souhaitent, éventuellement, un meilleur aménagement de la loi 2016 -qui sans réels financements et avec une application déficitaire ne peut encore être correctement évaluée-, mais on ne comprend pas, au regard de l’ensemble, qu’elles en demandent la remise en cause. Je m’étais déjà exprimée à ce propos, je pense qu’on ne peut concilier féminisme et défense du système porno-prostitutionnel qu’en perdant celui-ci de vue en tant que système d’ensemble.
(1) Diana Lavallée, La prostitution : profession ou exploitation ?, https://journals.openedition.org/ethiquepublique/2078
Gustav Moreau, Le Sphinx victorieux (detail), 1886.
En France nous soutenons le Parti pour la Decroissance et le NPA:
Verdad de terreno y verdad de fondo: la cuestión de la prostitución en Francia
La ley de 2006 referente a la penalización del cliente ha sido recientemente cuestionada por ciertas ONG, entre las cuales se encuentra Médicos del Mundo. Si es posible concebir que dicho posicionamiento refleja quizá una verdad puntual de terreno, parece evidente que no puede recelar un beneficio a largo plazo para las mujeres.
La ONG Médicos del Mundo ha anunciado recientemente que se dirigía al Tribunal europeo de derechos humanos para tratar de abrogar la penalización del cliente prevista en la ley de 2016 que enmarca el ejercicio de la prostitución, en compañía de 19 asociaciones y de 250 trabajadoras del sexo. Ha fracasado, en efecto, en su tentativa de que el Consejo Constitucional la abrogue. Sus argumentos: la ley precariza y fragiliza a las personas prostituidas, exponiéndolas a mayores violencias que a las que confrontaban antes en su actividad. También pretende que la ley constituye, en última instancia, una vulneración de los derechos fundamentales de la salud y de la seguridad, así como el del respeto de la vida privada. La distancia crítica que ya tenemos sobre el modelo nórdico bastaría para afirmar que hace peligrar la salud de las personas prostituidas y la ONG desea, en ese sentido, que, siguiendo las recomendaciones de la ONU, Francia cese de adoptar leyes represivas, dice en su comunicado.
La iniciativa ilustra sin duda una verdad de la gente de terreno que, a la vez que refleja una verdad parcial, no es operacional en su conjunto. Es difícil cuestionar que la vida cotidiana se haya quizá endurecido para las personas prostituidas desde 2016, siendo la cuestión que esa ley no ha sido aplicada adecuadamente, como ya ha sido señalado. De los tres aspectos que contempla la ley -prevención, represión y protección de las víctimas-, sólo la penalización del recurso a la prostitución por parte del cliente y la puesta en marcha de una vía de salida de la prostitución han sido contemplados. Por lo demás, el financiamiento que el Estado le ha dedicado está a la baja: de 6,8 millones ha pasado a 5 millones en 2018, y a 2 millones en 2019. Los créditos de Ayuda financiera a la inserción social y profesional (AFIS) y los Centros de alojamiento y de reinserción social (CHRS) han bajado particularmente. Sería necesaria además una impulsión del gobierno, una directiva que ponga en adecuación las políticas locales y las políticas de 2016 para que una aplicación homogénea y sistemática se realice en el territorio.
Desde luego, para evaluar esa ley tenemos el modelo sueco, sobre el que toma modelo. La cuestión es que, en lo relativo a la prostitución, tenemos otro modelo: el de Alemania, que desde 2002 ha modificado la situación legal de esta actividad. Desde 2002, ha sido legalizada la gestión de personas prostituidas. Aunque su explotación siga siendo ilegal, el cambio ha complicado mucho la persecución del proxenetismo.
En efecto, el número de burdeles ha aumentado mucho en Alemania desde 2002, hasta totalizar unos 3500, dispersados por todo el territorio. El volumen de negocio que resulta de la prostitución también ha aumentado: 14,5 mil millones de euros en 2013, contra entre tres y cuatro veces menos en 2002. Para muchos, Alemania se ha convertido en el mayor burdel de Europa. Es un hecho comprobado: “los derechos fundamentales a la salud, a la seguridad y al respeto a la vida privada” de las personas en situación de prostitución, por retomar los términos empleados por Médicos del Mundo, no se respetan más allí.
El país tiene unas 400.000 prostitutas -diez veces más que en Francia-, en su mayoría migrantes sin papeles, víctimas de la trata, que provienen de países del Este y de Nigeria. Puesto que, una vez legalizada, la prostitución ha sido contemplada como un asunto comercial que no se distingue de los demás, las ofertas comerciales que se descubren en Alemania son, a menudo, simplemente aberrantes para las mujeres, tanto para las que son prostituidas como para las mujeres en general, en tanto que categorías de individuos cuya extrema degradación puede contemplarse. En efecto, algunos burdeles ofrecen así ofertas de 70 euros por día y de 100 euros por una velada. Todas las prácticas sexuales se ofertan, incluso sin preservativo, así como el gangbang. Los burdeles ofrecen incluso mujeres prostituidas embarazadas, de hasta seis meses, fantasía que estuvo de moda en cierto momento.
Es en 1999 cuando Suecia puso en marcha su modelo. Penaliza al cliente y ofrece una vía de reinserción para las personas en situación de prostitución. Su puesta en marcha corresponde al análisis según el cual la prostitución es en sí una violencia. En términos de Françoise Héritier, “decir que las mujeres tienen derecho a venderse, es ocultar que los hombres tienen derecho a comprarlas”. Dicho modelo ha tenido el increíble mérito, en diez años, de hacer que en Suecia desaparezca prácticamente la trata de seres humanos destinada a la prostitución. Ha sido sin embargo muy criticado por los partidarios del mantenimiento de la prostitución. Se ha criticado en particular la manera en la que los servicios sociales han erradicado la prostitución, dando a veces lugar a abusos.
La cuestión de la prostitución es complicada de dirimir desde un punto de vista individual, pues solicita la cuestión de la libertad del ser humano, que es inextricable. Sin embargo, se puede decir que no cabe duda que, desde un punto de vista estructural, la prostitución constituye una violencia enorme. Por una parte, da lugar a la trata de personas, que abastece en gran medida la prostitución. Cuatro millones de personas son así objeto de tráfico cada año, según las Naciones Unidas; Europol estima en 12 mil millones de euros los ingresos producidos por la trata de personas. Por otra parte, la prostitución induce una representación de las mujeres en tanto objeto, que tiene repercusiones efectivas sobre la violencia ejercida hacia todas las mujeres, que va más allá de las personas en situación de prostitución, puesto que la representación en tanto objeto es una de las causas de las violencias estructurales dirigidas hacia las mujeres.
Incluso desde el punto de vista individual, es necesario tener en cuenta dos datos. El primero es el número de personas que se encuentran en esta vía que han sufrido abusos sexuales en la infancia o en la edad adulta. En efecto, entre un 33% y un 80% de las mujeres prostituidas han sido víctimas de abusos sexuales, contra un 15% a un 20% de las mujeres no prostituidas (1). El segundo, que como lo demostré en Le symbolique est politique. Quel projet politique pour contrer les violences interrelationnelles structurelles ? (2017), el sistema prostituidor en sí mismo abunda en mecanismos destinados a romper la voluntad del individuo: la violación instituida en ritual iniciático es bastante corriente en los locales que ofrecen servicios de prostitución, incluso sobre las mujeres que llegan voluntariamente a esta actividad; las mujeres prostituidas más reticentes a menudo son iniciadas al consumo de sustancias alucinógenas; es corriente, para los propietarios de varios locales, cambiar de local a las mujeres que trabajan en ellos, con el fin de romper los eventuales vínculos de solidaridad que pudieran crearse entre ellas De más está decir que una práctica libre no abundaría en mecanismos destinados a romper la voluntad del individuo. Por lo demás, sin incurrir en determinismos, la realidad es que la vivencia corporal cambia antes y después de una agresión sexual. La autoestima también puede cambiar. No puede por tanto un@ enfocar como dato anodino el que un porcentaje tan elevado de mujeres prostituidas haya sufrido abusos: es significativo. Estos dos datos desmienten por tanto de por sí la imagen de postal de la práctica libre generalizada en prostitución, que algunos sectores del feminismo y de la izquierda se obstinan en vehicular.
Además, varios estudios ya han demostrado que el síndrome de estrés post-traumatico de las mujeres que han sido prostituidas es más severo que el de los veteranos de la guerra de Vietnam y del Golfo. Los estudios del impacto del regreso a sus países, cada año, de cientos de mujeres originarias de países del Este que se prostituyeron en burdeles alemanes ya están en curso. Varios de ellos ya han demostrado que, puesto que los traumatismos graves se transmiten parcialmente de madre a hijo, el nacimiento de decenas de niñ@s hij@s de una madre que se prostituyó puede tener un impacto a largo plazo.
La prostitución es en sí una violencia, porque cosifica mayoritariamente a una categoría de individuos -entre un 80% y un 90% de las personas prostituidas son mujeres. No hay por qué responder con un no categórico a la cuestión de si hay mujeres que se prostituyen libremente, pero no cabe duda de que en un mundo gobernado por una lógica económica, una mayoría de las mujeres prostituidas lo son, en el mejor de los casos, por falta de otras opciones.
Se puede entender que l@s trabajadores de terreno deseen eventualmente una mejor organización de la ley de 2016 -que sin financiamientos reales y con una aplicación deficitaria todavía no puede ser evaluada correctamente-, pero no se entiende, si se tiene en cuenta el conjunto, que planteen su cuestionamiento. Ya me había expresado al respecto, no creo que sea posible conciliar feminismo y defensa del sistema porno-prostitucional sino perdiendo de vista este último en tanto que sistema de conjunto.
(1) Diana Lavallée, La prostitution : profession ou exploitation ?, https://journals.openedition.org/ethiquepublique/2078
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